Eaux printanières. Turgenev Ivan Sergeevich

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Eaux printanières - Turgenev Ivan Sergeevich

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le regarda en clignant des yeux, et partit d'un éclat de rire. Samère la gronda.

      – Comment, ce jeune homme a dépensé de l'argent pour rien, et toi, celate fait rire?

      – Ce n'est pas une affaire! répondit Gemma. Cette dépense ne ruinera pasmonsieur Sanine… et nous tâcherons de le consoler… Voulez-vous de lalimonade?

      Sanine but un verre de limonade. Gemma reprit sa lecture et la gaietégénérale fut rétablie.

      Quand la pendule sonna minuit, Sanine se leva pour se retirer.

      – Maintenant, il vous faut rester encore quelques jours à Francfort, ditGemma… À quoi bon vous dépêcher de partir?.. Vous vous amuserez toutautant ici qu'ailleurs.

      Elle se tut.

      – Je vous assure, vous ne vous amuserez pas davantage ailleurs!ajouta-t-elle en souriant.

      Sanine ne répondit rien, mais il réfléchit que son porte-monnaie étantvide, il était obligé de rester à Francfort en attendant la réponse d'unami de Berlin, à qui il pensait pouvoir emprunter quelque argent.

      – Restez encore quelque temps avec nous, restez, dit à son tour FrauLénore, vous ferez la connaissance de M. Charles Kluber, le fiancé deGemma. Il n'a pas pu venir ce soir parce qu'il avait beaucoup à fairedans son magasin… Vous avez sans doute remarqué sur la Zeile, le plusgrand magasin de draps et de soieries… M. Kluber est le premiercommis… Il sera très heureux de vous être présenté.

      Sanine ne comprit pas lui-même pourquoi cette nouvelle l'abasourdit.

      – L'heureux fiancé! pensa-t-il.

      Il regarda Gemma et il crut discerner dans les yeux de la jeune filleune expression moqueuse.

      Il prit congé de madame Roselli et de sa fille.

      – À demain, n'est-ce pas? vous reviendrez demain?.. demanda Frau

      Lénore.

      – À demain! répéta Gemma d'un ton affirmatif, comme si cela allait sansdire.

      – À demain! répondit Sanine.

      Emilio, Pantaleone et le caniche Tartaglia lui firent conduite jusqu'aucoin de la rue. Pantaleone ne put se retenir d'exprimer le déplaisir quelui causait la lecture de Gemma.

      – Comment n'a-t-elle pas honte! Elle se tord, elle crie —unacaricatura. Elle devrait représenter Mérope, Clytemnestre, unpersonnage tragique et grand… mais elle aime mieux singer une vilaineAllemande! Tout le monde peut en faire autant:… Mertz, Kertz, spertz, cria-t-il de sa voix enrouée en poussant le menton en avant eten écarquillant les doigts.

      Tartaglia aboya contre lui, tandis qu'Emilio riait…

      Le vieillard fit brusquement volte-face et rebroussa chemin.

      Sanine rentra à l'Hôtel du Cygne Blanc, dans un état d'espritpassablement troublé.

      Toute cette conversation italo-franco-allemande bourdonnait encore à sonoreille.

      – Fiancée! se dit-il, lorsqu'il fut couché dans sa modeste chambred'hôtel. – Quelle belle jeune fille!.. Mais pourquoi ne suis-je pasparti?

      Pourtant le lendemain il expédia une lettre à son ami de Berlin.

      VIII

      Avant que Sanine eût achevé sa toilette, le garçon de l'hôtel vint luiannoncer la visite de deux messieurs.

      L'un était Emilio, l'autre un jeune homme grand et fort présentable, avec une tête tirée à quatre épingles; c'était Herr Karl Kluber, lefiancé de la belle Gemma.

      Il est avéré qu'à cette époque on n'aurait pas trouvé dans toutFrancfort un premier commis plus poli, plus comme il faut, plus sérieuxni plus avenant que M. Kluber.

      Sa toilette irréprochable était en harmonie avec sa prestance et lagrâce de ses manières, un peu réservées et froides, il est vrai, ungenre britannique, contracté pendant un séjour de deux ans enAngleterre, et en somme d'une élégance séduisante.

      De prime abord il sautait aux yeux que ce beau jeune homme, un peugrave, mais très bien élevé et encore mieux lavé, était habitué à obéiraux ordres d'un supérieur et à commander à des inférieurs, et quederrière le comptoir de son magasin, il devait fatalement inspirer durespect aux clients.

      Sa probité scrupuleuse ne pouvait pas être mise en doute; il suffisaitpour s'en convaincre d'un coup d'œil sur ses manchettes impeccablementempesées! Sa voix d'ailleurs était en harmonie avec tout son être: unevoix de basse assurée et mœlleuse, mais pas trop élevée et même avecdes inflexions caressantes dans le timbre. C'est bien la voix quiconvient pour donner des ordres à des subordonnés: – «Montrez à Madame levelours de Lyon ponceau». – «Donnez une chaise à Madame!..»

      M. Kluber commença par se présenter à Sanine selon toutes les règles; ilinclina sa taille avec tant de noblesse, rapprocha si élégamment lesjambes et serra les talons l'un contre l'autre avec une politesse siexquise, qu'il était impossible de ne pas s'écrier mentalement: «Oh! cejeune homme a du linge et des qualités d'âme de premier ordre!»

      Le fini de sa main droite dégantée, – de sa main gauche couverte d'ungant de suède, il tenait son chapeau lissé comme un miroir et au fondduquel s'étalait l'autre gant; – le fini de sa main droite qu'il tendit àSanine avec modestie mais fermement était au-dessus de tout éloge: chaque ongle était à lui seul une œuvre d'art.

      Ensuite, M. Kluber expliqua, dans un allemand choisi, qu'il était venuprésenter ses hommages et exprimer sa reconnaissance au monsieurétranger qui avait rendu un service si important à son futur parent, aufrère de sa fiancée; en disant ces mots il étendit sa main gauche versEmilio, qui rougit, de honte semblait-il, se détourna dans la directionde la fenêtre et mit un doigt dans sa bouche.

      M. Kluber ajouta qu'il serait heureux s'il pouvait être agréable àmonsieur l'Étranger.

      Sanine répondit non sans quelque difficulté, en allemand, qu'il étaittrès heureux… que le service rendu était insignifiant… et il invitases hôtes à s'asseoir.

      Herr Kluber remercia – et rejetant vivement les pans de son habit, seposa sur une chaise, mais il s'asseyait si légèrement, si peuconfortablement, qu'on comprenait aussitôt qu'il s'était assis parpolitesse, mais qu'il se lèverait dans une minute.

      En effet, au bout de quelques secondes il se leva, fit modestement deuxpas en arrière, comme dans une contredanse, et déclara qu'à son vifregret il ne pouvait prolonger sa visite, car c'était l'heure d'entrerau magasin… les affaires avant tout! Cependant, le lendemain étant undimanche, il avait organisé, avec l'assentiment de Frau Lénore et deFraülein Gemma, une promenade à Soden, et il avait l'honneur d'invitermonsieur l'Étranger à se joindre à eux; il espérait que M. Sanine nerefuserait pas d'orner cette partie de plaisir de sa présence.

      Sanine, en effet, consentit à orner de sa présence cette partie deplaisir – et M. Kluber, après avoir fait pour la seconde fois un salutdans toutes les règles, se retira gracieusement avec son pantaloncouleur de pois tendres et en faisant résonner agréablement les semellesde ses bottes neuves…

      IX

      Emilio,

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