Le Collier de la Reine, Tome II. Dumas Alexandre
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– Monsieur de Calonne, merci.
– Mon plus grand bonheur est de plaire à Votre Majesté. Je la supplie de ne jamais se gêner avec ma caisse. Ce sera un plaisir tout d'amour-propre pour son contrôleur-général des finances.
Il s'était levé, avait salué gracieusement; la reine lui donna sa main à baiser.
– Un mot encore, dit-elle.
– J'écoute, madame.
– Cet argent me coûte un remords.
– Un remords… dit-il.
– Oui. C'est pour satisfaire un caprice.
– Tant mieux, tant mieux… Sur la somme, alors, il y aura au moins moitié de vrais bénéfices pour notre industrie, notre commerce ou nos plaisirs.
– Au fait, c'est vrai, murmura la reine, et vous avez une façon charmante de me consoler, monsieur.
– Dieu soit loué! madame; n'ayons jamais d'autres remords que ceux de Votre Majesté, et nous irons droit au paradis.
– C'est que, voyez-vous, monsieur de Calonne, ce serait trop cruel pour moi de faire payer mes caprices au pauvre peuple.
– Eh bien! dit le ministre en appuyant avec son sourire sinistre sur chacune de ses paroles, n'ayons donc plus de scrupules, madame, car, je vous le jure, ce ne sera jamais le pauvre peuple qui paiera.
– Pourquoi? dit la reine surprise.
– Parce que le pauvre peuple n'a plus rien, répondit imperturbablement le ministre, et que là où il n'y a rien le roi perd ses droits.
Il salua et sortit.
Chapitre LVII
Illusions retrouvées. Secret perdu
À peine monsieur de Calonne traversait-il la galerie pour retourner chez lui, que l'ongle d'une main pressée gratta la porte du boudoir de la reine.
Jeanne parut.
– Madame, dit-elle, il est là.
– Le cardinal? demanda la reine, un peu étonnée du mot il, qui signifie tant de choses prononcé par une femme.
Elle n'acheva pas, Jeanne avait déjà introduit monsieur de Rohan et pris congé, en serrant à la dérobée la main du protecteur protégé.
Le prince se trouva seul à trois pas de la reine, à laquelle il fit bien respectueusement les saluts obligés.
La reine, voyant cette réserve pleine de tact, fut touchée; elle tendit sa main au cardinal, qui n'avait pas encore levé les yeux sur elle.
– Monsieur, dit-elle, on m'a rapporté de vous un trait qui efface bien des torts.
– Permettez-moi, dit le prince en tremblant d'une émotion qui n'était pas affectée, permettez-moi, madame, de vous affirmer que les torts dont parle Votre Majesté seraient bien atténués par un mot d'explication entre elle et moi.
– Je ne vous défends point de vous justifier, répliqua la reine avec dignité, mais ce que vous me diriez jetterait une ombre sur l'amour et le respect que j'ai pour mon pays et ma famille. Vous ne pouvez vous disculper qu'en me blessant, monsieur le cardinal. Mais tenez, ne touchons pas à ce feu mal éteint, peut-être il brûlerait encore vos doigts ou les miens; vous voir sous le nouveau jour qui vous a révélé à moi, obligeant, respectueux, dévoué…
– Dévoué jusqu'à la mort, interrompit le cardinal.
– À la bonne heure. Mais, fit Marie-Antoinette en souriant, jusqu'à présent, il ne s'agit que de la ruine. Vous me seriez dévoué jusqu'à la ruine, monsieur le cardinal? C'est fort beau, bien assez beau. Heureusement, j'y mets bon ordre. Vous vivrez et vous ne serez pas ruiné, à moins que, comme on le dit, vous ne vous ruiniez vous-même.
– Madame…
– Ce sont vos affaires. Toutefois, en amie, puisque nous voilà bons amis, je vous donnerai un conseil: soyez économe, c'est une vertu pastorale; le roi vous aimera mieux économe que prodigue.
– Je deviendrai avare pour plaire à Votre Majesté.
– Le roi, reprit la reine avec une nuance délicate, n'aime pas non plus les avares.
– Je deviendrai ce que Votre Majesté voudra, interrompit le cardinal avec une passion mal déguisée.
– Je vous disais donc, coupa brusquement la reine, que vous ne seriez pas ruiné par mon fait. Vous avez répondu pour moi, je vous en remercie, mais j'ai de quoi faire honneur à mes engagements; ne vous occupez donc plus de ces affaires qui, à partir du premier paiement, ne regarderont que moi.
– Pour que l'affaire soit terminée, madame, dit alors le cardinal en s'inclinant, il me reste à offrir le collier à Votre Majesté.
En même temps, il tira de sa poche l'écrin, qu'il présenta à la reine.
Elle ne le regarda même pas, ce qui accusait chez elle un bien grand désir de le voir, et tremblante de joie elle le déposa sur un chiffonnier, mais sous sa main.
Le cardinal essaya ensuite quelques propos de politesse qui furent très bien reçus, puis revint sur ce qu'avait dit la reine à propos de leur réconciliation.
Mais, comme elle s'était promis de ne pas regarder les diamants devant lui, et qu'elle brûlait de les voir, elle ne l'écouta plus qu'avec distraction.
Par distraction aussi elle lui abandonna sa main, qu'il baisa d'un air transporté. Alors il prit congé croyant gêner, ce qui le combla de joie. Un simple ami ne gêne jamais, un indifférent moins encore.
Ainsi se passa cette entrevue, qui ferma toutes les plaies du cœur du cardinal. Il sortit de chez la reine, enthousiasmé, ivre d'espérance, et prêt à prouver à madame de La Motte une reconnaissance sans bornes pour la négociation qu'elle avait si heureusement menée à bien.
Jeanne l'attendait dans son carrosse, cent pas en avant de la barrière; elle reçut la protestation ardente de son amitié.
– Eh bien! dit-elle, après la première explosion de cette gratitude, serez-vous Richelieu ou Mazarin? La lèvre autrichienne vous a-t-elle donné des encouragements d'ambition ou de tendresse? Êtes-vous lancé dans la politique ou dans l'intrigue?
– Ne riez pas, chère comtesse, dit le prince; je suis fou de bonheur.
– Déjà!
– Assistez-moi, et dans trois semaines je puis tenir un ministère.
– Peste! dans trois semaines; comme c'est long; l'échéance des premiers engagements est fixée à quinze jours d'ici.
– Oh! tous les bonheurs arrivent à la fois: la reine a de l'argent, elle paiera; j'aurai eu le mérite de l'intention, seulement. C'est trop peu, comtesse, d'honneur! c'est trop peu. Dieu m'est témoin que j'eusse payé bien volontiers cette réconciliation