Le Collier de la Reine, Tome II. Dumas Alexandre
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– Vous l'avez brûlé cependant, monsieur, j'en ai vu la flamme.
– J'ai jeté ce papier dans le feu, c'est vrai, dit le comte, mais comme je vous l'ai dit, monseigneur, le hasard a voulu que vous ayez écrit sur un morceau d'amiante, au lieu d'écrire sur un papier ordinaire, de sorte que j'ai retrouvé le reçu intact sur les charbons consumés.
– Monsieur, dit le cardinal avec une certaine hauteur, car il croyait voir dans la représentation de ce reçu une marque de défiance, monsieur, croyez bien que je n'eusse pas plus renié ma dette sans ce papier, que je ne la renie avec ce papier; ainsi vous avez eu tort de me tromper.
– Moi, vous tromper, monseigneur, je n'en ai pas eu un instant l'intention, je vous jure.
Le cardinal fit un signe de tête.
– Vous m'avez fait croire, monsieur, dit-il, que le gage était anéanti.
– Pour vous laisser la jouissance calme et heureuse des cinq cent mille livres, répondit à son tour Balsamo, avec un léger mouvement d'épaules.
– Mais enfin, monsieur, continua le cardinal, comment, pendant dix années, avez-vous laissé une pareille somme en souffrance?
– Je savais, monseigneur, chez qui elle était placée. Les événements, le jeu, les voleurs, m'ont successivement dépouillé de tous mes biens. Mais sachant que j'avais cet argent en sûreté, j'ai patienté et attendu jusqu'au dernier moment.
– Et le dernier moment est arrivé?
– Hélas! oui, monseigneur!
– De sorte que vous ne pouvez plus patienter ni attendre.
– C'est, en effet, chose impossible pour moi, répondit Cagliostro.
– Ainsi vous me redemandez votre argent?
– Oui, monseigneur.
– Dès aujourd'hui.
– S'il vous plaît?
Le cardinal garda un silence tout palpitant de désespoir.
Puis, d'une voix altérée:
– Monsieur le comte, dit-il, les malheureux princes de la terre n'improvisent point des fortunes aussi rapides que vous autres enchanteurs, qui commandez aux esprits de ténèbres et de lumières.
– Oh! monseigneur, dit Cagliostro, croyez bien que je ne vous eusse pas demandé cette somme si je n'avais su d'avance que vous l'aviez.
– J'ai cinq cent mille livres, moi! s'écria le cardinal.
– Trente mille livres en or, dix mille en argent, et le reste en bons de caisse.
Le cardinal pâlit.
– Lesquels sont là dans cette armoire de Boule, continua Cagliostro
– Oh! monsieur, vous savez cela?
– Oui, monseigneur, et je sais aussi tout ce qu'il vous a fallu faire de sacrifices pour vous procurer cette somme. J'ai ouï dire même que vous avez acheté cet argent deux fois sa valeur.
– Oh! c'est bien vrai, cela.
– Mais…
– Mais?.. s'écria le malheureux prince.
– Mais moi, monseigneur, continua Cagliostro, depuis dix ans, j'ai vingt fois failli mourir de faim ou d'embarras à côté de ce papier, qui représentait pour moi un demi-million; et cependant, pour ne point vous troubler, j'ai attendu. Je crois donc que nous sommes à peu près quittes, monseigneur.
– Quittes, monsieur! s'écria le prince; oh! ne dites pas que nous sommes quittes, puisqu'il vous reste l'avantage de m'avoir si généreusement prêté une somme de cette importance; quittes! oh! non! non! je suis et demeurerai éternellement votre obligé. Seulement, monsieur le comte, je vous demande pourquoi vous, qui pouviez depuis dix ans me redemander cette somme, vous avez gardé le silence? Pendant ces dix ans, j'eusse eu vingt occasions de vous rendre cet argent sans me gêner.
– Tandis qu'aujourd'hui?.. demanda Cagliostro.
– Oh! aujourd'hui je ne vous cache point, s'écria le prince, que cette restitution que vous exigez, car vous l'exigez, n'est-ce pas?
– Hélas! monseigneur.
– Eh bien! me gêne horriblement.
Cagliostro fit de la tête et des épaules un petit mouvement qui signifiait. «Que voulez-vous, monseigneur, cela est ainsi et ne peut être autrement.»
– Mais vous qui devinez tout, s'écria le prince; vous qui savez lire au fond des cœurs, et même au fond des armoires, ce qui est quelquefois bien pis, vous n'en êtes probablement pas à apprendre pourquoi je tiens tant à cet argent, et quel est l'usage mystérieux et sacré auquel je le destine?
– Vous vous trompez, monseigneur, dit Cagliostro d'un ton glacial; non, je ne m'en doute pas, et mes secrets, à moi, m'ont rapporté assez de chagrins, de déceptions et de misères, pour que je n'aille point m'occuper des secrets d'autrui, à moins qu'ils ne m'intéressent. Il m'intéressait de savoir si vous aviez de l'argent ou si vous n'en aviez pas, attendu que j'avais de l'argent à réclamer de vous. Mais sachant une fois que vous aviez cet argent, peu m'importait de savoir à quoi vous le destiniez. D'ailleurs, monseigneur, si je savais en ce moment la cause de votre embarras, elle me paraîtrait peut-être fort grave et tellement respectable que j'aurais la faiblesse de temporiser encore, ce qui, dans les circonstances présentes, je vous le répète, m'occasionnerait le plus grand préjudice. Je préfère donc ignorer.
– Oh! monsieur, s'écria le cardinal dont ces dernières paroles venaient de réveiller l'orgueil et la susceptibilité, ne croyez pas au moins que je veuille vous apitoyer sur mes embarras personnels; vous avez vos intérêts: ils sont représentés et garantis par ce billet; ce billet est signé de ma main, c'est assez. Vous allez avoir vos cinq cent mille livres.
Cagliostro s'inclina.
– Je sais bien, continua le cardinal dévoré par la douleur de perdre en une minute tant d'argent, péniblement amassé, je sais, monsieur, que ce papier n'est qu'une reconnaissance de la dette, et ne fixe pas d'échéance au paiement.
– Votre Éminence veut-elle m'excuser, répliqua le comte; mais je m'en rapporte à la lettre de ce reçu, et j'y vois écrit:
«Je reconnais avoir reçu de monsieur Joseph Balsamo la somme de 500 000 livres, que je lui paierai sur sa première demande.
Le cardinal frissonna de tous ses membres; il avait oublié non seulement la dette, mais encore les termes dans lesquels elle était reconnue.
– Vous voyez, monseigneur, continua Balsamo, que je ne demande pas l'impossible, moi. Vous ne pouvez pas soit. Seulement, je regrette que Votre éminence paraisse oublier que la somme a été donnée par Joseph Balsamo spontanément, dans une heure suprême; et cela à qui, à monsieur de Rohan, qu'il ne connaissait pas. Voilà, ce me semble, un de ces procédés de grand seigneur que