Le Collier de la Reine, Tome II. Dumas Alexandre
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– L'avance faite à Sa Majesté la reine, sire.
– À la reine! s'écria Louis XVI… Cinq cent mille livres à la reine! Eh! monsieur, ce n'est pas possible.
– Pardon, sire; mais le chiffre est exact.
– Cinq cent mille livres à la reine! répéta le roi. Il faut qu'il y ait erreur. La semaine dernière… non, la quinzaine, j'ai fait payer le trimestre à Sa Majesté.
– Sire, si la reine a eu besoin d'argent – et l'on sait comment Sa Majesté en use – , il n'est point extraordinaire…
– Non, non! s'écria le roi, qui éprouva le besoin de faire parler de son économie et de concilier quelques applaudissements à la reine quand elle irait à l'Opéra; la reine ne veut pas de cette somme-là, monsieur de Calonne. La reine m'a dit qu'un vaisseau vaut mieux que des joyaux. La reine pense que si la France emprunte pour nourrir ses pauvres, nous autres riches nous devons prêter à la France. Donc, si la reine a besoin de cet argent, son mérite sera plus grand de l'attendre; et je vous garantis, moi, qu'elle l'attendra.
Les ministres applaudirent beaucoup cet élan patriotique du roi, que le divin Horace n'eût pas appelé Uxorius en ce moment.
Seul, monsieur de Calonne, qui savait l'embarras de la reine, insista sur l'allocation.
– Vraiment, dit le roi, vous êtes plus intéressé pour nous que nous-mêmes. Calmez-vous, monsieur de Calonne.
– La reine, sire, m'accusera d'avoir été bien peu zélé pour son service.
– Je plaiderai votre cause auprès d'elle.
– La reine, sire, ne demande jamais que forcée par la nécessité.
– Si la reine a des besoins, ils sont moins impérieux, je l'espère, que ceux des pauvres, et elle en conviendra toute la première.
– Sire…
– Article entendu, fit le roi résolument.
Et il prit la plume aux hachures.
– Vous biffez ce crédit, sire? fit monsieur de Calonne consterné.
– Je le biffe, répondit majestueusement Louis XVI. Et il me semble entendre d'ici la voix généreuse de la reine me remercier d'avoir si bien compris son cœur.
Monsieur de Calonne se mordit les lèvres; Louis, content de ce sacrifice personnel héroïque, signa tout le reste avec une bonne foi aveugle.
Et il dessina un beau zèbre, entouré de zéros, en répétant:
– J'ai gagné ce soir cinq cent mille livres: une jolie journée de roi, Calonne; vous donnerez cette bonne nouvelle à la reine; vous verrez, vous verrez.
– Ah! mon Dieu! sire, murmura le ministre, je serais au désespoir de vous ôter la joie de cet aveu. À chacun selon ses mérites.
– Soit, répliqua le roi. Levons la séance. Assez de besogne quand la besogne est bonne. Ah! voilà la reine qui revient; allons-nous au-devant d'elle, Calonne?
– Sire, je demande pardon à Votre Majesté, mais j'ai ma signature.
Et il s'esquiva le plus promptement possible par le corridor.
Le roi alla bravement et tout épanoui au-devant de Marie-Antoinette, qui chantait dans le vestibule, en appuyant son bras sur celui du comte d'Artois.
– Madame, dit-il, vous avez fait une bonne promenade, n'est-ce pas?
– Excellente, sire, et vous, avez-vous fait un bon travail?
– Jugez-en, je vous ai gagné cinq cent mille livres.
«Calonne a tenu parole», pensa la reine.
– Figurez-vous, ajouta Louis XVI, que Calonne vous avait porté sur le crédit pour un demi million.
– Oh! fit Marie-Antoinette en souriant.
– Et moi… j'ai biffé. Voilà cinq cent mille livres de gagnées d'un revers de plume.
– Comment, biffé? dit la reine en pâlissant.
– Tout net; cela va vous faire un bien énorme. Bonsoir, madame, bonsoir.
– Sire! Sire!
– J'ai grand-faim. Je rentre. N'est-ce pas que j'ai bien gagné mon souper?
– Sire! écoutez donc.
Mais Louis XVI sautilla et s'enfuit, radieux de sa plaisanterie, laissant la reine ébahie, muette et consternée.
– Mon frère, faites-moi chercher monsieur de Calonne, dit-elle enfin au comte d'Artois, il y a quelque mauvais tour là-dessous.
Justement on apportait à la reine le billet suivant du ministre:
«Votre Majesté aura su que le roi avait refusé le crédit. C'est incompréhensible, madame, et je me suis retiré du Conseil, malade et pénétré de douleur.»
– Lisez, fit-elle en passant le billet au comte d'Artois.
– Et il y a des gens qui disent que nous dilapidons les finances, ma sœur! s'écria le prince. C'est là un procédé…
– De mari, murmura la reine. Adieu, mon frère.
– Recevez mes compliments de condoléance, chère sœur; me voilà averti, moi qui voulais demander demain.
– Qu'on m'aille quérir madame de La Motte, dit la reine à madame de Misery, après une longue méditation, partout où elle sera, et sur le champ.
Chapitre LX
Marie-Antoinette reine, Jeanne de La Motte femme
Le courrier qu'on expédia à Paris, à madame de La Motte, trouva la comtesse, ou plutôt ne la trouva pas chez le cardinal de Rohan.
Jeanne était allée rendre visite à Son Éminence; elle y avait dîné, elle y soupait, et s'entretenait avec lui de cette restitution malencontreuse, quand le courrier vint demander si la comtesse se trouvait chez monsieur de Rohan.
Le suisse, en habile homme, répondit que Son Éminence était sortie, et que madame de La Motte n'était pas à l'hôtel, mais que rien n'était plus aisé que de lui faire dire ce dont la reine avait chargé son messager, attendu qu'elle viendrait probablement le soir à l'hôtel.
– Qu'elle se rende à Versailles le plus vite qu'il se pourra, dit le coureur, et il partit ayant semé le même avis dans tous les domiciles présumés de la nomade comtesse.
Mais à peine le messager fut-il parti, que le suisse, faisant sa commission sans aller bien loin, envoya sa femme prévenir madame de La Motte chez monsieur de Rohan, où les deux associés philosophaient à loisir sur l'instabilité des grosses sommes d'argent.
La comtesse, à l'avertissement, comprit qu'il y avait urgence à partir.