Georges. Dumas Alexandre

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Georges - Dumas Alexandre

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des Français; mais aussi, c'est que quatorze ans s'étaient écoulés depuis cette époque; la génération ancienne avait en partie disparu, et la génération nouvelle ne gardait le souvenir des choses passées que par ostentation et comme on garde une vieille charte de famille. Quatorze ans s'étaient écoulés, avons-nous déjà dit, et c'est plus qu'il n'en faut pour oublier la mort de son meilleur ami, pour violer un serment juré; plus qu'il n'en faut enfin pour tuer, enterrer et débaptiser un grand homme ou une grande nation.

      Chapitre V – L'enfant prodigue

      Tous les yeux avaient suivi lord Murrey jusqu'à l'hôtel du gouvernement; mais, lorsque la porte du palais se fut refermée sur lui et sur ceux qui l'accompagnaient, tous les yeux se reportèrent sur le navire.

      En ce moment, le jeune homme aux cheveux noirs en descendait à son tour, et la curiosité, qui venait d'abandonner le gouverneur, s'était reportée sur lui. En effet, on avait vu lord Murrey lui adresser gracieusement la parole et lui serrer la main; de sorte que la foule assemblée décidait, avec sa sagacité ordinaire, que cet étranger était quelque jeune seigneur appartenant à la haute aristocratie de France ou d'Angleterre. Cette probabilité s'était changée en une véritable certitude à la vue du double ruban qui ornait sa boutonnière, et dont l'un, il faut bien l'avouer, était un peu moins répandu à cette époque qu'il ne l'est aujourd'hui. Au reste, les habitants de Port-Louis eurent le temps d'examiner le nouvel arrivant; car, après avoir cherché des yeux autour de lui comme s'il se fût attendu à trouver quelqu'un de ses amis ou de ses parents sur la jetée, il s'était arrêté au bord de la mer, attendant que les chevaux du gouverneur fussent débarqués; puis, quand cette opération fut terminée, un domestique au teint basané, vêtu du costume des Maures d'Afrique, avec lequel l'étranger avait échangé quelques mots dans une langue inconnue, en équipa deux à la manière arabe, et, les prenant tous deux en bride, car on ne pouvait se fier encore à leurs jambes engourdies, il suivit son maître, qui s'était déjà acheminé à pied vers la chaussée, regardant toujours autour de lui, comme s'il se fût attendu à voir apparaître tout à coup, au milieu de toutes ces figures insignifiantes, une figure amie.

      Parmi les groupes qui attendaient les étrangers à l'endroit qu'on appelle caractéristiquement la Pointe-aux-Blagueurs, il y en avait un dont le centre se composait d'un gros homme de cinquante à cinquante-quatre ans, aux cheveux grisonnants, aux traits vulgaires, à la voix éclatante, aux favoris taillés en pointe et venant joindre de chaque côté le coin de la bouche, et d'un beau garçon de vingt-cinq à vingt-six ans; le gros homme était vêtu d'une redingote de mérinos marron, d'un pantalon de nankin et d'un gilet de piqué blanc. Il portait une cravate à coins brodés, et un long jabot, garni de dentelle, flottait sur sa poitrine. Le jeune homme, dont les traits, un peu plus accentués que ceux de son voisin, avaient cependant avec ceux-ci une telle ressemblance, qu'il était évident que ces deux individus se touchaient par les liens les plus proches de la parenté, était coiffé d'un chapeau gris, portait un mouchoir de soie noué négligemment autour du cou, était vêtu d'un gilet et d'un pantalon blancs.

      – Voilà, par ma foi, un joli garçon, dit le gros homme en regardant l'étranger, qui passait en ce moment à quelques pas de lui, et je conseille, s'il doit faire séjour dans notre île, à nos mères et à nos maris de veiller sur leurs femmes et leurs filles.

      – Voilà un joli cheval, dit le jeune homme en portant un lorgnon à son œil; pur sang, si je ne me trompe, tout ce qu'il y a de plus arabe, arabissime.

      – Connais-tu ce monsieur, Henri? demanda le gros homme.

      – Non, mon père; mais, s'il veut vendre son cheval, je sais bien qui lui en donnera mille piastres.

      – Ce sera Henri de Malmédie, n'est-ce pas, mon enfant? dit le gros homme, et tu feras bien, si le cheval te plaît, de t'en passer la fantaisie; tu le peux, tu es riche.

      Sans doute l'étranger entendit l'offre de M. Henri et l'approbation qu'y donnait son père, car sa lèvre se releva dédaigneusement, et il fixa tour à tour sur le père et sur le fils un regard hautain, et qui n'était pas exempt de menace, puis, plus instruit sans doute à leur égard qu'ils ne l'étaient au sien, il continua sa route en murmurant:

      – Encore eux! Toujours eux!

      – Que nous veut donc ce muscadin? demanda M. de Malmédie à ceux qui l'entouraient.

      – Je n'en sais rien, mon père, répondit Henri; mais à la première fois que nous le rencontrerons, s'il nous regarde encore de la même manière, je vous promets de le lui demander.

      – Que veux-tu, Henri, dit M. de Malmédie d'un air de pitié pour l'ignorance de l'étranger, le pauvre garçon ne sait pas qui nous sommes.

      – Eh bien, alors, je le lui apprendrai, moi, murmura Henri.

      Pendant ce temps, l'étranger, dont le dédaigneux regard avait éveillé ce menaçant colloque, avait, sans paraître s'inquiéter de l'impression produite par son passage, et, sans daigner se retourner pour en voir l'effet, continué son chemin vers le rempart. Parvenu au tiers du jardin de la Compagnie, à peu près, son attention fut attirée par un groupe qui s'était formé sur un petit pont, lequel communiquait du jardin avec la cour d'une maison de belle apparence, et dont le centre était occupé par une ravissante jeune fille de quinze ou seize ans, que l'étranger, homme d'art sans doute, et, par conséquent, amoureux de toute beauté, s'arrêta pour regarder plus à son aise. Quoique sur le seuil de sa maison, la jeune fille, qui sans doute appartenait à l'une des plus riches familles de l'île, avait auprès d'elle une gouvernante européenne, qu'à ses longs cheveux blonds et à la transparence de sa peau, on reconnaissait pour une Anglaise, tandis qu'un vieux nègre, aux cheveux grisonnants, vêtu d'une veste et d'un pantalon de basin blanc, se tenait prêt, les yeux fixés sur elle, et, pour ainsi dire, le pied levé, à exécuter ses moindres ordres. Peut-être aussi, comme toute chose grandit par le contraste, cette beauté, que nous avons signalée comme merveilleuse, s'augmentait-elle encore de la laideur du personnage qui se tenait debout, muet et immobile devant elle, et avec lequel elle essayait d'entamer des négociations à l'endroit d'un de ces charmants éventails d'ivoire découpé, transparent et fragile comme une dentelle.

      En effet, celui qui causait avec elle était un individu au corps osseux, au teint jaune, aux yeux relevés par les coins, coiffé d'un large chapeau de paille, duquel s'échappait, comme un échantillon des cheveux dont aurait pu être couvert le crâne qu'il abritait, une longue natte qui lui tombait jusqu'au milieu du dos; il était vêtu d'un pantalon de coton bleu descendant jusqu'à mi-jambe et d'une blouse de même étoffe et de même couleur, descendant jusqu'au milieu des cuisses. À ses pieds était un bambou, long d'une toise, supportant à chacune de ses extrémités un panier, dont la double pesanteur faisait, lorsque le bambou était posé par le milieu sur l'épaule du marchand, plier cette longue canne comme un arc. Ces paniers étaient remplis de ces mille petits brimborions qui, aux colonies comme en France, dans la boutique en plein air du commerçant des tropiques comme dans les élégants magasins d'Alphonse Giroux et de Susse, font tourner la tête aux jeunes filles et quelquefois même à leurs mères. Or, comme nous l'avons dit, la belle créole, au milieu de toutes ces merveilles éparpillées sur une natte étendue à ses pieds, s'était arrêtée pour le moment à un éventail représentant des maisons, des pagodes et des palais impossibles, des chiens, des lions et des oiseaux fantastiques; enfin, mille portraits d'hommes, de bâtiments et d'animaux qui n'ont jamais existé que dans la drolatique imagination des habitants de Canton et de Pékin.

      Elle demandait donc purement et simplement le prix de cet éventail.

      Mais là était la difficulté. Le Chinois, débarqué depuis quelques jours seulement, ne savait pas un seul mot ni de français, ni d'anglais, ni d'italien, ignorance qui ressortait clairement de son silence, à la triple demande qui lui avait été

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