Georges. Dumas Alexandre

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Georges - Dumas Alexandre

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Munier, nous va monter là-haut, la montagne; nous capables voir encore petits maîtres Jacques et Georges.

      – Oui, tu as raison, mon bon Télémaque, s'écria Pierre Munier, et, si nous ne les voyons pas, eux, nous verrons au moins le bâtiment qui les emporte.

      Et Pierre Munier, s'élançant avec la rapidité d'un jeune homme, gravit en un instant le morne de la Découverte, du haut duquel il put, jusqu'à la nuit, du moins, suivre des yeux, non pas ses fils, la distance, comme il l'avait prévu, était trop grande pour qu'il pût les distinguer encore, mais la frégate la Bellone, à bord de laquelle ils étaient embarqués.

      En effet, Pierre Munier, quelque chose qu'il lui en coûtât, s'était décidé à se séparer de ses enfants, et les envoyait en France, sous la protection du brave général Decaen. Jacques et Georges partaient donc pour Paris, recommandés à deux ou trois des plus riches négociants de la capitale, avec lesquels Pierre Munier était depuis longtemps en relation d'affaires. Le prétexte de leur départ était leur éducation à faire. La cause réelle de leur absence était la haine bien visible que M. de Malmédie leur avait vouée à tous deux depuis le jour de la scène du drapeau, haine de laquelle leur pauvre père tremblait, surtout avec leur caractère bien connu, qu'ils ne fussent victimes un jour ou l'autre.

      Quant à Henri, sa mère l'aimait trop pour se séparer de lui. D'ailleurs, qu'avait-il donc besoin de savoir? si ce n'est que tout homme de couleur était né pour le respecter et lui obéir.

      Or, comme nous l'avons vu, c'était une chose que Henri savait déjà.

      Chapitre IV – Quatorze ans après

      C'est jour de fête à l'île de France le jour où l'on signale la vue d'un vaisseau européen ayant l'intention d'entrer dans le port; c'est que, sevrés depuis longtemps de la présence maternelle, la plupart des habitants de la colonie attendent avec impatience quelque nouvelle des peuples, des familles, ou des hommes d'outre-mer; chacun espère quelque chose, et tient, du plus loin qu'il l'aperçoit, ses regards attachés sur le messager maritime qui lui apporte soit la lettre d'un ami, soit le portrait d'une amie, soit enfin cette amie en personne ou cet ami lui-même.

      Car ce vaisseau, objet de tant de désirs et source de tant d'espérances, c'est la chaîne éphémère qui unit l'Europe à l'Afrique, c'est le pont volant jeté d'un monde à l'autre; aussi aucune nouvelle ne se répand-elle aussi rapidement dans toute l'île que celle-ci, qui jaillit du piton de la Découverte: «Il y a un vaisseau en vue.»

      Nous disons du piton de la Découverte, parce que, presque toujours, le navire, forcé d'aller chercher le vent d'est, passe devant Grand-Port, côtoie la terre à une distance de deux ou trois lieues, double la pointe des Quatre-Cocos, s'engage entre l'île Pilate et le Coin-de-Mire, et quelques heures après avoir franchi ce passage, apparaît à l'entrée du Port-Louis, dont les habitants, prévenus dès la veille par les signaux qui ont traversé l'île pour annoncer son approche, l'attendent en foule pressée sur le quai.

      D'après ce que nous avons dit de l'avidité avec laquelle tout le monde attend à l'île de France les nouvelles d'Europe, on ne s'étonnera sans doute point de l'affluence qui, par une belle matinée de la fin du mois de février 1824, vers les onze heures du matin, s'était portée sur tous les points d'où l'on pouvait voir entrer dans la rade de Port-Louis le Leycester, belle frégate de trente six canons, signalée depuis la veille à deux heures de l'après-midi.

      Nous demandons au lecteur la permission de lui faire faire, ou plutôt de lui faire renouveler connaissance avec deux des personnages qu'il transportait à son bord.

      L'un était un homme aux cheveux blonds, au teint blanc, aux yeux bleus, aux traits réguliers, à la figure calme, à la taille un peu au-dessus de la moyenne, auquel on n'eût guère donné plus de trente ou trente-deux ans, quoiqu'il en eût plus de quarante. En lui, au premier abord, on ne remarquait rien de saillant; mais aussi l'on était forcé d'avouer que tout était convenable. Si, après un premier coup d'œil jeté sur lui, on avait un motif quelconque de continuer l'examen de sa personne, on remarquait qu'il avait le pied et la main petits et admirablement bien faits, ce qui, dans tous les pays, mais chez les Anglais particulièrement, est un signe de race. Sa voix était claire et arrêtée, mais sans intonation et, pour ainsi dire, sans musique. Ses yeux bleu clair, auxquels on pouvait, dans les circonstances habituelles de sa vie, reprocher de manquer un peu d'expression, laissaient errer un regard limpide, mais qui ne s'attachait à rien et semblait ne rien chercher à approfondir. De temps en temps, cependant, il clignait les yeux comme un homme fatigué du soleil, accompagnant ce mouvement d'un léger écartement des lèvres qui laissaient apercevoir alors une double rangée de dents petites, bien rangées, et blanches comme des perles. Cette espèce de tic semblait alors ôter à son regard le peu d'expression qu'il avait; mais, si on l'examinait avec soin, on s'apercevait, au contraire, que c'était dans ce moment que sa vue, profonde et rapide, dardant un rayon de flamme entre ses deux paupières rapprochées, allait chercher la pensée de son interlocuteur jusqu'au plus profond de son âme. Ceux qui le voyaient pour la première fois ne manquaient presque jamais de le prendre pour un esprit nul; il savait que c'était, en général, l'opinion que les hommes superficiels avaient de lui, et, presque toujours, soit calcul, soit indifférence, il se plaisait à la leur laisser, bien sûr de les détromper quand le caprice lui en prendrait ou quand le moment en serait venu; car cette enveloppe menteuse cachait un esprit singulièrement profond, comme il arrive souvent que deux pouces de neige cachent un précipice de mille pieds; aussi, avec la conscience de sa supériorité presque universelle, attendait-il patiemment qu'on vînt lui offrir l'occasion de triompher. Alors, et dès qu'il rencontrait dans une pensée opposée à la sienne, et dans la personne qui émettait cette pensée, une lutte digne de lui, il s'accrochait à la conversation, que, jusque-là, il avait laissé errer dans tous ses capricieux détours, s'animait peu à peu, se répandait au dehors, grandissait à toute hauteur; car sa voix stridente, ses yeux enflammés, secondaient parfaitement sa parole vive, incisive, colorée, à la fois séduisante et grave, éblouissante et positive; si cette occasion ne venait pas, il s'en passait, et continuait d'être regardé par ceux qui l'entouraient comme un homme ordinaire. Ce n'est pas qu'il manquât d'amour-propre, au contraire, il poussait l'orgueil de certaines choses jusqu'à l'excès. Mais c'était un système de conduite qu'il s'était imposé et duquel il ne s'écartait jamais. Toutes les fois qu'une position erronée, une pensée fausse, une vanité mal soutenue, un ridicule quelconque, enfin, venait poser devant lui, l'extrême finesse de son esprit lui faisait aussitôt venir sur la langue un sarcasme incisif ou sur les lèvres un sourire moqueur; mais il étouffait à l'instant même ce genre d'ironie extérieure, et, quand il ne pouvait renfermer entièrement cette irruption de dédain, il déguisait sous un des clignements d'yeux qui lui étaient habituels le mouvement railleur qui lui échappait malgré lui, sachant bien que le moyen de tout voir, de tout entendre, était de paraître aveugle et sourd. Peut-être eût-il bien voulu, comme Sixte-Quint, paraître aussi paralytique: mais, comme cela l'eût entraîné à une trop longue et trop fatigante dissimulation, il y avait renoncé.

      L'autre était un jeune homme brun, au teint pâle et aux longs cheveux noirs; ses yeux, qui étaient grands, admirablement fendus et du plus beau velouté, avaient, derrière la douceur apparente qu'ils ne devaient qu'à la préoccupation éternelle de sa pensée, un caractère de fermeté qui frappait au premier abord. S'emportait-il, ce qui était rare, car toute son organisation paraissait obéir non pas à des instincts physiques, mais à une puissance morale, alors ses yeux s'illuminaient d'une flamme intérieure et lançaient des éclairs dont le foyer semblait être au fond de son âme. Quoique les lignes de son visage fussent pures, elles manquaient jusqu'à un certain point de régularité; son front harmonieux, quoique, d'une modulation vigoureuse et carrée, était sillonné par une légère cicatrice, presque imperceptible dans l'état de calme qui lui était habituel, mais qui se trahissait par une ligne blanche, lorsque la rougeur lui montait au visage. Une moustache noire comme ses cheveux, régulière comme

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