La San-Felice, Tome 05. Dumas Alexandre
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Michele entra; il tenait une lettre à la main.
Luisa resta les yeux fixés sur cette lettre, les bras étendus, la respiration suspendue.
Aurait-elle cette suprême consolation dans un pareil moment de recevoir une dernière lettre de Salvato?
–C'est une lettre de Portici, dit Michele. Je l'ai prise des mains du facteur, et je te l'apporte.
–Oh! donne, donne! s'écria Luisa, c'est de lui!
Michele lui remit la lettre et alla fermer la porte. Mais, avant de la fermer:
–Dois-je rester? dois-je sortir? demanda-t-il.
–Reste, reste, cria Luisa. Tu sais bien que je n'ai pas de secrets pour toi.
Michele resta, mais se tint près de la porte.
Luisa décacheta vivement la lettre, et, comme toujours, essaya vainement de la lire. Les larmes et l'émotion étendaient devant ses yeux un brouillard qu'il fallait quelques secondes pour dissiper.
Enfin, elle put lire:
«San-Germano, 19 décembre, au matin.»
–Il est à San-Germano, ou plutôt il y était lorsqu'il m'écrivait cette lettre, dit Luisa à Michele.
–Lis, petite soeur, lui répondit celui-ci: cela te fera du bien.
Elle reprit, – car elle s'était interrompue pour respirer en renversant sa tête en arrière et en appuyant la lettre contre son coeur, – elle reprit:
«San-Germano, 19 décembre, au matin.
»Chère Luisa,
»Laissez-moi partager avec vous une grande joie: je viens de revoir la seule personne que j'aime d'un amour égal à celui que je vous ai voué, quoiqu'il soit bien différent: je viens de revoir mon père!
»Ce qu'il est et où il est, c'est un secret que je dois garder, même vis-à-vis de vous, mais que néanmoins je vous dirais bien certainement si j'étais près de vous. Un secret pour vous! En vérité, j'en ris moi-même. Est-ce qu'on a des secrets pour sa seconde âme?
»Je viens de passer une nuit, depuis neuf heures du soir jusqu'à six heures du matin avec mon père, que, depuis dix ans, je n'avais pas vu. Toute la nuit, il m'a parlé de la mort et de Dieu; toute la nuit, je lui ai parlé de mon amour et de vous.
»C'est à la fois, chose rare, un esprit élevé et un coeur tendre que mon père. Il a beaucoup aimé, beaucoup souffert, et, plaignez-le, il ne croit pas.
»Priez pour le père, cher ange du fils, et Dieu, qui ne doit avoir rien à vous refuser, lui accordera peut-être la foi.
»Une autre femme que vous, Luisa, se serait déjà étonnée de ne pas avoir trouvé vingt fois dans ces lignes le mot: «Je vous aime!» Vous l'avez déjà lu cent fois, vous, n'est-ce pas? Vous parler de mon père, dont je ne puis parler à personne, vous dire ma joie de l'avoir revu, vous le comprenez bien, n'est-ce pas? c'est mettre mon coeur dans vos mains, et c'est vous dire à deux genoux: «Je vous aime, ma Luisa! je vous aime!»
»Me voilà donc à vingt lieues de vous, ma belle fée du Palmier, et, quand vous recevrez cette lettre, j'en serai plus rapproché encore. Les brigands nous harcèlent, nous assassinent, nous mutilent, mais ne nous arrêtent point. C'est que nous ne sommes point une armée, c'est que nous ne sommes point des hommes en marche pour envahir un royaume et conquérir une capitale: nous sommes une idée faisant le tour du monde.
»Bon! voilà que je parle politique!
»Je parie que je devine où vous lisez ma lettre. Vous la lisez dans notre chambre, assise au chevet de mon lit, dans cette chambre où nous nous reverrons et ou j'oublierai, en vous revoyant, les longs jours passés loin de vous…»
Luisa s'interrompit: les larmes lui voilaient les yeux, les sanglots lui coupaient la voix.
Michele courut à elle et se mit à ses genoux.
–Voyons, petite soeur, lui dit-il, du courage! C'est beau, ce que tu fais, et le bon Dieu t'en récompensera. Et qui sait, mon Dieu! vous êtes jeunes tous deux: peut-être, un jour, vous reverrez-vous.
Luisa secoua la tête.
–Non, non, dit-elle avec un mouvement qui fit pleuvoir les larmes de ses yeux fermés; non, nous ne nous reverrons jamais. Et il vaut mieux que je ne le revoie pas; je l'aime trop, Michele, et ce n'est que depuis que j'ai décidé de ne plus le revoir que je sais combien je l'aime.
–Enfin, tu sais, dit Michele, il y a dans ta douleur quelque chose de bon à ce que tu ne le revoies pas; il y avait, au bout de votre amour, une triste prédiction de Nanno.
–Oh! s'écria Luisa, que m'importeraient toutes les prédictions du monde si je pouvais l'aimer sans crime!
–Voyons, lis, lis; cela vaudra mieux, dit Michele.
–Non, dit Luisa mettant la lettre à moitié lue dans sa poitrine, non, s'il me parlait trop du bonheur qu'il aura de me revoir, peut-être ne partirais-je pas!
En ce moment, on entendit la voix de San-Felice qui appelait Luisa.
La jeune femme s'élança dans le corridor, dont Michele ferma la porte derrière elle et derrière lui.
La porte de la salle à manger donnant sur le salon était ouverte; dans le salon, était le docteur Cirillo.
Une vive rougeur monta aux joues de Luisa. Le docteur Cirillo, lui aussi, était dans son secret. D'ailleurs, elle n'ignorait point que c'était par les mains du comité libéral, dont Cirillo faisait partie, que lui parvenaient les lettres de Salvato.
–Chère amie, dit le chevalier à Luisa, voici notre bon docteur, que nous n'avions pas vu depuis longtemps, qui vient prendre des nouvelles de ta santé; j'espère qu'il en sera content.
Le docteur salua la jeune femme et s'aperçut, au premier coup d'oeil, du trouble moral qui l'agitait.
–Elle va mieux, dit-il, mais elle n'est point encore guérie, et je suis enchanté d'être venu aujourd'hui.
Le docteur appuya sur le mot aujourd'hui; Luisa baissa les yeux.
–Allons, dit San-Felice, il faut encore que je vous laisse seul avec elle. En vérité, vous autres médecins, vous avez des priviléges que les maris eux-mêmes n'ont pas. Heureusement pour vous, j'ai quelque chose à faire; sans quoi, bien certainement j'écouterais à la porte.
–Et vous auriez tort, mon cher chevalier, dit Cirillo; car nous avons à nous dire des choses de la plus haute importance politique; n'est-ce pas, ma chère enfant?
Luisa essaya de sourire; mais ses lèvres ne se crispèrent que pour laisser passer un soupir.
–Allons, allons, laissez-nous, chevalier, dit Cirillo; c'est plus grave que je ne croyais.
Et, en riant, il poussa San-Felice vers la porte, qu'il ferma derrière lui.
Puis, revenant à Luisa et lui prenant les deux mains.
–A nous deux, ma chère fille,