Le corricolo. Dumas Alexandre

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Le corricolo - Dumas Alexandre

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madame! la voix n'est pas mauvaise, mais du diable si j'ai pu comprendre un seul mot.

      Une autre fois (on était en plein hiver) on répétait un opéra nouveau, et les chanteurs chargés des premiers rôles, désolés de quitter leur édredon, étaient toujours en retard. Barbaja, furieux, avait juré la veille de mettre à l'amende le premier qui ne se trouverait pas à l'heure, fût-ce le ténor ou la prima donna elle-même, pour faire un exemple.

      La répétition commence, Barbaja s'éloigne un peu vers le fond d'une coulisse pour gronder le machiniste; tout à coup les voix se taisent, l'orchestre s'arrête, on attend quelqu'un.

      – Qu'y a-t-il? s'écrie l'impresario en se précipitant vers la rampe.

      – Rien, monsieur, répond le premier violon.

      – Qu'est-ce qui manque? Je veux le savoir.

      – Il manque un .

      – A l'amende.

      Tout cela n'empêche pas que Domenico Barbaja n'ait créé Lablache, Tamburini, Rubini, Donzelli, la Colbron, la Pasta, la Fodor, Donizetti, Bellini, Rossini lui-même; oui, le grand Rossini.

      Les plus grands chefs-d'oeuvre du maître souverain ont été composés pour Barbaja, et Dieu seul peut savoir ce qu'il en a coûté au pauvre impresario de prières, de violences et de ruses pour forcer au travail le génie le plus libre, le plus insouciant et le plus heureux qui ait jamais plané sur le beau ciel de l'Italie.

      J'en citerai un exemple qui caractérise parfaitement l'imprésario et le compositeur.

       V

      Otello

      Rossini venait d'arriver à Naples, précédé déjà par une grande réputation. La première personne qu'il rencontra en descendant de voiture fut, comme on s'en doute bien, l'impresario de Saint-Charles. Barbaja alla au devant du maestro les bras et le coeur ouverts, et, sans lui donner le temps de faire un pas ni de prononcer une parole:

      – Je viens, lui dit-il, te faire trois offres, et j'espère que tu ne refuseras aucune des trois.

      – J'écoute, répondit Rossini avec ce fin sourire que vous savez.

      – Je t'offre mon hôtel pour toi et pour tes gens.

      – J'accepte.

      – Je t'offre ma table pour toi et pour tes amis.

      – J'accepte.

      – Je t'offre d'écrire un opéra nouveau pour moi et pour mon théâtre.

      – Je n'accepte plus.

      – Comment! tu refuses de travailler pour moi?

      – Ni pour vous ni pour personne. Je ne veux plus faire de musique.

      – Tu es fou, mon cher.

      – C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire.

      – Et que viens-tu faire à Naples?

      – Je viens manger des macaroni et prendre des glaces. C'est ma passion.

      – Je te ferai préparer des glaces par mon limonadier, qui est le premier de Toledo, et je te ferai moi-même des macaroni dont tu me diras des nouvelles.

      – Diable! cela devient grave.

      – Mais tu me donneras un opéra en échange.

      – Nous verrons.

      – Prends un mois, deux mois, six mois, tout le temps que tu désires.

      – Va pour six mois.

      – C'est convenu.

      – Allons souper.

      Dès le soir même, le palais de Barbaja fut mis à la disposition de Rossini; le propriétaire s'éclipsa complètement, et le célèbre maestro put se regarder comme étant chez lui, dans la plus stricte acception du mot. Tous les amis ou même les simples connaissances qu'il rencontrait en se promenant étaient invités sans façon à la table de Barbaja, dont Rossini faisait les honneurs avec une aisance parfaite. Quelquefois ce dernier se plaignait de ne pas avoir trouvé assez d'amis pour les convier aux festins de son hôte: à peine s'il avait pu en réunir, malgré toutes les avances du monde, douze ou quinze. C'étaient les mauvais jours.

      Quant à Barbaja, fidèle au rôle de cuisinier qu'il s'était imposé, il inventait tous les jours un nouveau mets, vidait les bouteilles les plus anciennes de sa cave, et fêtait tous les inconnus qu'il plaisait à Rossini de lui amener, comme s'ils avaient été les meilleurs amis de son père. Seulement, vers la fin du repas, d'un air dégagé, avec une adresse infinie et le sourire à la bouche, il glissait entre la poire et le fromage quelques mots sur l'opéra qu'il s'était fait promettre et sur l'éclatant succès qui ne pouvait lui manquer.

      Mais, quelque précaution oratoire qu'employât l'honnête impresario pour rappeler à son hôte la dette qu'il avait contractée, ce peu de mots tombés du bout de ses lèvres produisait sur le maestro le même effet que les trois paroles terribles du festin de Balthazar. C'est pourquoi Barbaja, dont la présence avait été tolérée jusque alors, fut prié poliment par Rossini de ne plus paraître au dessert.

      Cependant les mois s'écoulaient, le libretto était fini depuis long-temps, et rien n'annonçait encore que le compositeur se fût décidé à se mettre à l'ouvrage. Aux dîners succédaient les promenades, aux promenades les parties de campagne. La chasse, la pêche, l'équitation se partageaient les loisirs du noble maître; mais il n'était pas question de la moindre note. Barbaja éprouvait vingt fois par jour des accès de fureur, des crispations nerveuses, des envies irrésistibles de faire un éclat. Il se contenait néanmoins, car personne plus que lui n'avait foi dans l'incomparable génie de Rossini.

      Barbaja garda le silence pendant cinq mois avec la résignation la plus exemplaire. Mais le matin du premier jour du sixième mois, voyant qu'il n'y avait plus de temps à perdre ni de ménagemens à garder, il tira le maestro à l'écart et entama l'entretien suivant:

      – Ah ça! mon cher, sais-tu qu'il ne manque plus que vingt-neuf jours pour l'époque fixée?

      – Quelle époque? dit Rossini avec l'ébahissement d'un homme à qui on adresserait une question incompréhensible en le prenant pour un autre.

      – Le 30 mai.

      – Le 30 mai!

      Même pantomime.

      – Ne m'as-tu pas promis un opéra nouveau qu'on doit jouer ce jour-là?

      – Ah! j'ai promis?

      – Il ne s'agit pas ici de faire l'étonné! s'écria l'impresario, dont la patience est à bout; j'ai attendu le délai de rigueur, comptant sur ton génie et sur l'extrême facilité de travail que Dieu t'a accordée. Maintenant il m'est impossible de plus attendre: il me faut mon opéra.

      – Ne pourrait-on pas arranger quelque opéra ancien en changeant le titre?

      – Y penses-tu? Et les artistes qui sont engagés exprès pour jouer dans un opéra

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