Le corricolo. Dumas Alexandre
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– Comment! il n'y a que l'ouverture! s'écria l'impresario en pâlissant: c'est donc une atroce mystification?
Rossini se leva et salua.
Mais Barbaja était retombé sur un fauteuil sans mouvement. La prima donna, le ténor, tout le monde s'empressait autour de lui. Un moment on le crut frappé par une apoplexie foudroyante.
Rossini, désolé que la plaisanterie prit une tournure aussi sérieuse, s'approche de lui avec une réelle inquiétude.
Mais à sa vue, Barbaja, bondissant comme un lion, se prit à hurler de plus belle.
– Va-t'en d'ici, traître, ou je me porte à quelque excès!
– Voyons, voyons, dit Rossini en souriant, n'y a-t-il pas quelque remède?
– Quel remède, bourreau! C'est demain le jour de la première représentation.
– Si la prima donna se trouvait indisposée? murmura Rossini tout bas à l'oreille de l'impresario.
– Impossible, lui répondit celui-ci du même ton; elle ne voudra jamais attirer sur elle la vengeance et les citrons du public.
– Si vous vouliez la prier un peu?
– Ce serait inutile. Tu ne connais pas la Colbron.
– Je vous croyais au mieux avec elle.
– Raison de plus.
– Voulez-vous me permettre d'essayer, moi?
– Fais tout ce que tu voudras; mais je t'avertis que c'est du temps perdu.
– Peut-être.
Le jour suivant, on lisait sur l'affiche de Saint-Charles que la première représentation d'Otello était remise par l'indisposition de la prima donna.
Huit jours après on jouait Otello.
Le monde entier connaît aujourd'hui cet opéra; nous n'avons rien à ajouter. Huit jours avaient suffi à Rossini pour faire oublier le chef-d'oeuvre de Shakespeare.
Après la chute du rideau, Barbaja, pleurant d'émotion, cherchait partout le maître pour le presser sur son coeur; mais Rossini, cédant sans doute à cette modestie qui va si bien aux triomphateurs, s'était dérobé à l'ovation de la foule.
Le lendemain, Domenico Barbaja sonna son souffleur, qui remplissait auprès de lui les fonctions de valet de chambre, impatient qu'il était, le digne imprésario, de présenter à son hôte les félicitations de la veille.
Le souffleur entra.
– Va prier Rossini de descendre chez moi, lui dit Barbaja.
– Rossini est parti, répondit le souffleur.
– Comment! parti?
– Parti pour Bologne au point du jour.
– Parti sans rien me dire!
– Si fait, monsieur, il vous a laissé ses adieux.
– Alors va prier la Colbron de me permettre de monter chez elle.
– La Colbron?
– Oui, la Colbron; es-tu sourd ce matin?
– Faites excuse, mais la Colbron est partie.
– Impossible!
– Ils sont partis dans la même voiture.
– La malheureuse! elle me quitte pour devenir la maîtresse de Rossini.
– Pardon, monsieur, elle est sa femme.
– Je suis vengé! dit Barbaja.
VI
Forcella
De même que Chiaja est la rue des étrangers et de l'aristocratie, de même que Toledo est la rue des flâneurs et des boutiques, Forcella est la rue des avocats et des plaideurs.
Cette rue ressemble beaucoup, pour la population qui la parcourt, à la galerie du Palais-de-Justice, à Paris, qu'on appelle salle des Pas-Perdus, si ce n'est que les avocats y sont encore plus loquaces et les plaideurs râpés.
C'est que les procès durent à Naples trois fois plus long-temps qu'ils ne durent à Paris.
Le jour où nous la traversions, il y avait encombrement; nous fûmes forcés de descendre de notre corricolo pour continuer notre route à pied, et nous allions à force de coups de coude parvenir à traverser cette foule lorsque nous nous avisâmes de demander quelle cause la rassemblait: on nous répondit qu'il y avait procès entre la confrérie des pèlerins et don Philippe Villani. Nous demandâmes quelle était la cause du procès: on nous répondit que le défendeur, s'étant fait enterrer quelques jours auparavant aux frais de la confrérie des pèlerins, venait d'être assigné afin de prouver légalement qu'il était mort. Comme on le voit, le procès était assez original pour attirer une certaine affluence. Nous demandâmes à Francesco ce que c'était que don Philippe Villani. En ce moment, il nous montra un individu qui passait tout courant.
– Le voici, nous dit-il.
– Celui qu'on a enterré il y a huit jours?
– Lui-même.
– Mais comment cela se fait-il?
– Il sera ressuscité.
– Il est donc sorcier?
– C'est le neveu de Cagliostro.
En effet, grâce à la filiation authentique qui le rattache à son illustre aïeul, et à une série de tours de magie plus ou moins drôles, don Philippe était parvenu à accréditer à Naples le bruit qu'il était sorcier.
On lui faisait tort: don Philippe Villani était mieux qu'un sorcier, C'était un type: don Philippe Villani était le Robert Macaire napolitain. Seulement l'industriel napolitain a une grande supériorité sur l'industriel français; notre Robert Macaire à nous est un personnage d'invention, une fiction sociale, un mythe philosophique, tandis que le Robert Macaire ultramontain est un personnage de chair et d'os, une individualité palpable, une excentricité visible.
Don Philippe est un homme de trente-cinq à quarante ans, aux cheveux noirs, aux yeux ardens, à la figure mobile, à la voix stridente, aux gestes rapides et multipliés; don Philippe a tout appris et sait un peu de tout; il sait un peu de droit, un peu de médecine, un peu de chimie, un peu de mathématiques, un peu d'astronomie; ce qui fait qu'en se comparant à tout ce qui l'entourait, il s'est trouvé fort supérieur à la société et a résolu de vivre par conséquent aux dépens de la société.
Don Philippe avait vingt ans lorsque son père mourut: il lui laissait tout juste assez d'argent pour faire quelques dettes. Don Philippe eut le soin d'emprunter avant d'être ruiné toute fait, de sorte que ses premières lettres de change furent scrupuleusement payées: il s'agissait d'établir son crédit. Mais toute chose a sa fin dans ce monde; un jour