Le corricolo. Dumas Alexandre
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– Vous donnerez votre démission.
– Tout cela est vrai jusqu'à un certain point. Mais si ni les artistes, ni le public, ni le roi lui-même ne peuvent me forcer à tenir ma promesse, j'ai donné ma parole, monsieur, et Domenico Barbaja n'a jamais manqué à sa parole d'honneur.
– Alors c'est différent.
– Ainsi, tu me promets de commencer demain.
– Demain, c'est impossible, j'ai une partie de pêche au Fusaro.
– C'est bien, dit Barbaja, enfonçant ses mains dans ses poches, n'en parlons plus. Je verrai quel parti il me reste à prendre.
Et il s'éloigna sans ajouter un mot.
Le soir, Rossini soupa de bon appétit, et fit honneur à la table de l'impresario en homme qui avait parfaitement oublié la discussion du matin. En se retirant, il recommanda bien à son domestique de le réveiller au point du jour et de lui tenir prête une barque pour le Fusaro. Après quoi il s'endormit du sommeil du juste.
Le lendemain, midi sonnait aux cinq cents cloches que possède la bienheureuse ville de Naples, et le domestique de Rossini n'était pas encore monté chez son maître; le soleil dardait ses rayons à travers les persiennes. Rossini, réveillé en sursaut, se leva sur son séant, se frotta les yeux et sonna: le cordon de la sonnette resta dans sa main.
Il appela par la croisée qui donnait sur la cour: le palais demeura muet comme un sérail.
Il secoua la porte de sa chambre: la porte résista à ses secousses, elle était murée au dehors!
Alors Rossini, revenant à la croisée, se mit à hurler au secours, à la trahison, au guet-apens! Il n'eut pas même la consolation que l'écho répondit à ses plaintes, le palais de Barbaja étant le bâtiment le plus sourd qui existe sur le globe.
Il ne lui restait qu'une ressource, c'était de sauter du quatrième étage; mais il faut dire, à la louange de Rossini, que cette idée ne lui vint pas un instant à la tête.
Au bout d'une bonne heure, Barbaja montra son bonnet de coton à une croisée du troisième. Rossini, qui n'avait pas quitté sa fenêtre, eut envie de lui lancer une tuile; il se contenta de l'accabler d'imprécations.
– Désirez-vous quelque chose? lui demanda l'impresario d'un ton patelin.
– Je veux sortir à l'instant même.
– Vous sortirez quand votre opéra sera fini.
– Mais c'est une séquestration arbitraire.
– Arbitraire tant que vous voudrez; mais il me faut mon opéra.
– Je m'en plaindrai à tous les artistes, et nous verrons.
– Je les mettrai à l'amende.
– J'en informerai le public.
– Je fermerai le théâtre.
– J'irai jusqu'au roi.
– Je donnerai ma démission.
Rossini s'aperçut qu'il était pris dans ses propres filets. Aussi, en homme supérieur, changeant tout à coup de ton et de manières, demanda-t-il d'une voix calme:
– J'accepte la plaisanterie, et je ne m'en fâche pas; mais puis-je savoir quand me sera rendue ma liberté?
– Quand la dernière scène de l'opéra me sera remise, répondit Barbaja en ôtant son bonnet.
– C'est bien: envoyez ce soir chercher l'ouverture.
Le soir, on remit ponctuellement à Barbaja un cahier de musique sur lequel était écrit en grandes lettres: Ouverture d'Otello.
Le salon de Barbaja était rempli de célébrités musicales au moment où il reçut le premier envoi de son prisonnier. On se mit sur-le-champ au piano, on déchiffra le nouveau chef-d'oeuvre, et on conclut que Rossini n'était pas un homme, et que, semblable à Dieu, il créait sans travail et sans effort, par le seul acte de sa volonté. Barbaja, que le bonheur rendait presque fou, arracha le morceau des mains des admirateurs et l'envoya à la copisterie. Le lendemain il reçut un nouveau cahier sur lequel on lisait: Le premier acte d'Otello; ce nouveau cahier fut envoyé également aux copistes, qui s'acquittaient de leur devoir avec cette obéissance muette et passive à laquelle Barbaja les avait habitués. Au bout de trois jours, la partition d'Otello avait été livrée et copiée.
L'impresario ne se possédait pas de joie; il se jeta au cou de Rossini, lui fit les excuses les plus touchantes et les plus sincères pour le stratagème qu'il avait été forcé d'employer, et le pria d'achever son oeuvre en assistant aux répétitions.
– Je passerai moi-même chez les artistes, répondit Rossini d'un ton dégagé, et je leur ferai répéter leur rôle. Quant à ces messieurs de l'orchestre, j'aurai l'honneur de les recevoir chez moi!
– Eh bien! mon cher, tu peux t'entendre avec eux. Ma présence n'est pas nécessaire, et j'admirerai ton chef-d'oeuvre à la répétition générale. Encore une fois, je te prie de me pardonner la manière dont j'ai agi.
– Pas un mot de plus sur cela, ou je me fâche.
– Ainsi, à la répétition générale?
– A la répétition générale.
Le jour de la répétition générale arriva enfin: c'était la veille de ce fameux 30 mai qui avait coûté tant de transes à Barbaja. Les chanteurs étaient à leur poste, les musiciens prirent place à l'orchestre, Rossini s'assit au piano.
Quelques dames élégantes et quelques hommes privilégiés occupaient les loges d'avant-scène. Barbaja, radieux et triomphant, se frottait les mains et se promenait en sifflotant sur son théâtre.
On joua d'abord l'ouverture. Des applaudissemens frénétiques ébranlèrent les voûtes de Saint-Charles. Rossini se leva et salua.
– Bravo! cria Barbaja. Passons à la cavatine du ténor.
Rossini se rassit à son piano, tout le monde fit silence, le premier violon leva l'archet, et on recommença à jouer l'ouverture. Les mêmes applaudissemens, plus enthousiastes encore, s'il était possible, éclatèrent à la fin du morceau.
Rossini se leva et salua.
– Bravo! bravo! répéta Barbaja. Passons maintenant à la cavatine.
L'orchestre se mit à jouer pour la troisième fois l'ouverture.
– Ah ça! s'écria Barbaja exaspéré, tout cela est charmant, mais nous n'avons pas le temps de rester là jusqu'à demain. Arrivez à la cavatine.
Mais, malgré l'injonction de l'imprésario, l'orchestre n'en continuât pas moins la même ouverture. Barbaja s'élança sur le premier violon, et, le prenant au collet, lui cria à l'oreille:
– Mais que diable avez-vous donc à jouer la même chose depuis une heure?
– Dame! dit le violon avec un flegme qui