Le corricolo. Dumas Alexandre

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Le corricolo - Dumas Alexandre

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à l'amour filial.

      Aussi ne faut-il pas demander dans quel état je retrouvai mon pauvre compatriote. Il se regardait comme un homme condamné par le médecin, et qui n'a plus que sept à huit jours à vivre. Le fait est qu'en examinant sa position il n'y avait guère qu'un charlatan qui pût promettre de le sauver. J'essayai cependant de ces consolations banales qui ne consolent pas. Mais à tous mes argumens il répondait par une seule parole: Grand gala! mon ami, grand gala! Je lui pris la main: il avait la fièvre; je me retournai vers le chef d'orchestre, qui fumait avec un chibouque, et je lui dis en soupirant: Il y a un commencement de délire.

      – Non, non, dit Festa en ôtant gravement le tuyau d'ambre de sa bouche: il a parbleu raison, grand gala! grand gala! mon cher monsieur, grand gala!

      J'allai alors vers Duprez, qui faisait dans un coin des boulettes avec de la cire d'une bougie, et je le regardai comme pour lui dire: Voyons, tout le monde n'est-il pas fou ici? Il comprit ma pantomime avec une rapidité qui aurait fait honneur à un Napolitain.

      – Non, me dit-il en s'appliquant la boulette de cire sur le nez, non, ils ne sont pas fous; vous ne savez pas ce que c'est que grand gala, vous?

      Je sortis humblement. J'allai prendre mon Dictionnaire, je cherchai à la lettre G: je ne trouvai rien.

      – Auriez-vous la bonté, dis-je en rentrant, de m'expliquer ce que veut dire grand gala?

      – Cela veut dire, répondit Duprez, qu'il y a ce jour-là dans la salle douze cents bougies qui vous aveuglent et dont la fumée prend les chanteurs à la gorge.

      – Cela veut dire, continua le chef d'orchestre, qu'il faut jouer l'ouverture la toile levée, attendu que la cour ne peut pas attendre; ce qui nuit infiniment au choeur d'introduction.

      – Cela veut dire, termina Ruoltz, que toute la cour assiste à la représentation, et que le public ne peut applaudir que lorsque la cour applaudit, et la cour n'applaudit jamais.

      – Diable! diable! dis-je, ne trouvant pas autre chose à répondre à cette triple explication. Et joignez à cela, ajoutai-je pour avoir l'air de ne pas rester court, que vous n'avez plus, je crois, que sept jours devant vous.

      – Et que les musiciens n'ont pas encore répété l'ouverture, dit Ruoltz.

      – Oh! l'orchestre, cela ne m'inquiète pas, répondit Festa.

      – Que les acteurs n'ont point encore répété ensemble, ajouta l'auteur.

      – Oh! les chanteurs, dit Duprez, ils iront toujours.

      – Et je n'aurai jamais ni la force ni la patience de faire la dernière répétition.

      – Eh bien! mais ne suis-je pas là? dit Donizetti en se levant. Ruoltz alla à lui et lui tendit la main.

      – Oui, vous avez raison, j'ai trouvé de bons amis.

      – Et, ce qui vaut mieux encore pour le succès, vous avez fait de la belle musique.

      – Croyez-vous? dit Ruoltz avec cet accent naïf et modeste qui lui est propre. Nous nous mîmes à rire.

      – Allons à la répétition! dit Duprez.

      En effet, tout se passa comme l'avaient prévu Festa, Duprez et Donizetti. L'orchestre joua l'ouverture à la première vue; les chanteurs, habitués à jouer ensemble, n'eurent qu'à se mettre en rapport pour s'entendre, et Ruoltz, mourant de fatigue, laissa le soin de ses trois dernières répétitions à l'auteur d'Anna Bolena.

      Je revins du théâtre fortement impressionné. J'avais cru assister à l'essai d'un écolier, je venais d'entendre une partition de maître. On se fait malgré soi une idée des oeuvres par les hommes qui les produisent, et malheureusement on prend presque toujours de ces oeuvres et de ces hommes l'opinion qu'ils en ont eux-mêmes. Or, Ruoltz était l'enfant le plus simple et le plus modeste que j'aie jamais vu. Depuis trois mois que nous nous connaissions, je ne l'avais jamais entendu dire du mal des autres, ni, ce qui est plus étonnant encore pour un homme qui en est à son premier ouvrage, du bien de lui. J'ai trouvé en général beaucoup plus d'amour-propre dans les jeunes gens qui n'ont encore rien fait que dans les hommes arrivés, et, qu'on me passe le paradoxe, je crois qu'il n'y a rien de tel que le succès pour guérir de l'orgueil. J'attendis donc, avec plus de confiance, le jour de la première représentation. Il arriva.

      C'est une splendide chose que le théâtre Saint-Charles, jour de grand gala. Cette immense et sombre salle, triste pour un oeil français pendant les représentations ordinaires, prend, dans les occasions solennelles un air de vie qui lui est communiqué par les faisceaux de bougies qui brûlent à chaque loge. Alors les femmes sont visibles, ce qui n'arrive pas les jours où la salle est mal éclairée. Ce n'est, certes, ni la toilette de l'Opéra ni la fashion des Bouffes; mais c'est une profusion de diamans dont on n'a pas d'idée en France; ce sont des yeux italiens qui pétillent comme des diamans, c'est toute la cour avec son costume d'apparat, c'est le peuple le plus bruyant de l'univers, sinon dans la plus belle, du moins dans la plus grande salle du monde.

      Le soir, contre l'habitude des premières représentations, la salle était pleine. La foule italienne, tout opposée à la nôtre, n'affronte jamais une musique inconnue. Non; à Naples surtout, où la vie est toute de bonheur, de plaisir, de sensations, on craint trop que l'ennui n'en ternisse quelques heures. Il faut à ces habitans du plus beau pays de la terre une vie comme leur ciel avec un soleil brûlant, comme leur mer avec des flots qui réfléchissent le soleil. Lorsqu'il est bien constaté que l'oeuvre est du premier mérite, lorsque la liste est faite des morceaux qu'on doit écouter et de ceux pendant lesquels on peut se mouvoir, oh! alors on s'empresse, on s'encombre, on s'étouffe: mais cette vogue ne commence jamais qu'à la sixième ou huitième représentation. En France, on va au théâtre pour se montrer; à Naples, on va à l'Opéra pour jouir.

      Quant aux claqueurs, il n'en est pas question: c'est une lèpre qui n'a pas encore rongé les beaux succès, c'est un ver qui n'a pas encore piqué les beaux fruits. L'auteur n'a de billets que ceux qu'il achète, de loges que celles qu'il loue. Auteurs et acteurs sont applaudis quand le parterre croit qu'ils méritent de l'être, les jours de grand gala exceptés, où, comme nous l'avons dit, l'opinion du public est subordonnée à l'opinion de la cour; quand le roi n'y est pas, à celle de la reine; quand la reine est absente, à celle de don Carlos, et ainsi de suite jusqu'au prince de Salerne.

      A sept heures précises, des huissiers parurent dans les loges destinées à la famille royale. Au même instant la toile se leva, et l'ouverture fit entendre son premier coup d'archet.

      Ce fut donc une chose perdue que l'ouverture, si belle qu'elle fût. Moi-même tout le premier, et malgré l'intérêt que je prenais à la pièce et à l'auteur, j'étais plus occupé de la cour, que je ne connaissais pas, que de l'opéra qui commençait. Les aides-de-camp s'emparèrent de l'avant-scène; la jeune reine, la reine-mère et le prince de Salerne prirent la loge suivante; le roi et le prince Charles occupaient la troisième, et le comte de Syracuse, exilé dans la quatrième, conserva au théâtre la place isolée que sa disgrâce lui assignait à la cour.

      L'ouverture, si peu écoutée qu'elle fût, parut bien disposer le public. L'ouverture d'un opéra est comme la préface d'un livre; l'auteur y explique ses intentions, y indique ses personnages et y jette le prospectus de son talent. On reconnut dans celle de Lara une instrumentation vigoureuse et soutenue, plutôt allemande qu'italienne, des motifs neufs et suaves qu'on espéra retrouver dans le courant de la partition, enfin une connaissance approfondie du matériel de l'orchestre.

      Dès les premiers morceaux, je m'aperçus

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