Le corricolo. Dumas Alexandre

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Le corricolo - Dumas Alexandre

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à peu près des mêmes avantages et des mêmes priviléges que les Suisses, elle exècre ces dignes descendans de Guillaume Tell, qui, à ses yeux, ont commis un crime irrémissible, celui de lui avoir pris le premier rang.

      Apres la garde vient la légion sicilienne, qui exècre les Suisses parce qu'ils sont Suisses, et les Napolitains parce qu'ils sont Napolitains.

      Après les Siciliens vient la ligne, qui exècre les Suisses et la garde parce que ces deux corps ont des avantages qu'elle n'a pas et des priviléges qu'on lui refuse, et les Siciliens par la seule raison qu'ils sont Siciliens.

      Enfin, vient la gendarmerie, qui, en sa qualité de gendarmerie, est naturellement exécrée par les autres corps.

      Voilà les cinq élémens dont se compose l'armée de Ferdinand II, cette formidable armée que le gouvernement napolitain offrait au prince impérial de Russie comme l'avant-garde de la future coalition qui devait marcher sur la France.

      Mettez dans une plaine les Suisses et la garde, les Siciliens et la ligne; faites-leur donner le signal du combat par la gendarmerie, et Suisses, Napolitains, Siciliens et gendarmes s'entr'égorgeront depuis le premier jusqu'au dernier, sans rompre d'une semelle. Échelonnez ces cinq corps contre l'ennemi, aucun ne tiendra peut-être, car chaque échelon sera convaincu qu'il a moins à craindre de l'ennemi que de ses alliés, et que, si mal attaqué qu'il sera par lui, il sera encore plus mal soutenu par les autres.

      Cela n'empêche pas que, lorsque cette mécanique militaire fonctionne, elle ne soit fort agréable à voir. Aussi, quand le lazzarone la regarde opérer, il bat des mains; lorsqu'il entend sa musique, il fait la roue. Seulement, lorsqu'elle fait l'exercice à feu, il se sauve: il peut rester une baguette dans les fusils; cela s'est vu.

      Mais le lazzarone a encore d'autres plaisirs.

      Il a les cloches qui, partout, sonnent, et qui, à Naples, chantent. L'instrument du lazzarone, c'est la cloche. Plus heureux que Guildenstern qui refuse à Hamlet de jouer de la flûte sous prétexte qu'il ne sait pas en jouer, le lazzarone sait jouer de la cloche sans l'avoir appris. Veut-il, après un long repos, un exercice agréable et sain, il entre dans une église et prie le sacristain de lui laisser sonner la cloche; le sacristain, enchanté de se reposer, se fait prier un instant pour donner de la valeur à sa concession; puis il lui passe la corde: le lazzarone s'y pend aussitôt, et, tandis que le sacristain se croise les bras, le lazzarone fait de la voltige.

      Il a la voiture qui passe et qui le promène gratis. A Naples, il n'y a pas de domestique qui consente à se tenir debout derrière une voiture, ni de maître qui permette que le domestique se tienne assis à côté de lui. Il en résulte que le domestique monte près du cocher et que le lazzarone monte derrière. On a essayé tous les moyens de chasser le lazzarone de ce poste, et tous les moyens ont échoué. La chose est passée en coutume, et, comme toute chose passée en coutume, a aujourd'hui force de loi.

      Il a la parade des Puppi. Le lazzarone n'entre pas dans l'intérieur où se joue la pièce, c'est vrai. Aux Puppi, les premières coûtent cinq sous, l'orchestre trois sous, et le parterre six liards. Ces prix exorbitans dépassent de beaucoup les moyens des lazzaroni. Mais, pour attirer les chalands, on apporte sur des tréteaux dressés devant l'entrée du théâtre les principales marionnettes revêtues de leur grand costume. C'est le roi Latinus avec son manteau royal, son sceptre à la main, sa couronne sur sa tête; c'est la reine Amata, vêtue de sa robe de grand gala et le front serré avec le bandeau qui lui serrera la gorge; c'est le pieux Eneas, tenant à la main la grande épée qui occira Turnus; c'est la jeune Lavinie, les cheveux ombragés de la fleur d'oranger virginale; c'est enfin Polichinelle. Personnage indispensable, diplomate universel, Talleyrand contemporain de Moïse et de Sésostris, Polichinelle est chargé de maintenir la paix entre les Troyens et les Latins; et, lorsqu'il perdra tout espoir d'arranger les choses, il montera sur un arbre pour regarder la bataille, et n'en descendra que pour en enterrer les morts. Voilà ce qu'on lui montre, à lui, cet heureux lazzarone; c'est tout ce qu'il désire. Il connaît les personnages, son imagination fera le reste.

      Il a l'Anglais. Peste! nous avions oublié l'Anglais.

      L'Anglais, qui est plus pour lui que l'improvisateur, plus que la revue, plus que les cloches, plus que les Puppi; l'Anglais, qui lui procure non seulement du plaisir, mais de l'argent; l'Anglais, sa chose, son bien, sa propriété; l'Anglais, qu'il précède pour lui montrer son chemin, ou qu'il suit pour lui voler son mouchoir; l'Anglais, auquel il rend des curiosités; l'Anglais, auquel il procure des médailles antiques; l'Anglais, auquel il apprend son idiome; l'Anglais, qui lui jette dans la mer des sous qu'il rattrape en plongeant; l'Anglais enfin, qu'il accompagne dans ses excursions à Pouzzoles, à Castellamare, à Capri ou à Pompéia. Car l'Anglais est original par système: l'Anglais refuse parfois le guide patenté et le cicérone à numéro; l'Anglais prend le premier lazzarone venu, sans doute parce que l'Anglais a une attraction instinctive pour le lazzarone, comme le lazzarone a une sympathie calculée pour l'Anglais.

      Et, il faut le dire, le lazzarone est non seulement bon guide, mais encore bon conseiller. Pendant mon séjour à Naples, un lazzarone avait donné à un Anglais trois conseils dont il s'était trouvé fort bien. Aussi, les trois conseils avaient rapporté cinq piastres au lazzarone, ce qui lui avait fait une existence assurée et tranquille pour six mois.

      Voici le fait.

       X

      Le Lazzarone et l'Anglais

      Il y avait à Naples en même temps que moi et dans le même hôtel que moi un de ces Anglais quinteux, flegmatiques, absolus, qui croient l'argent le mobile de tout, qui se figurent qu'avec de l'argent on doit venir à bout de tout, enfin pour qui l'argent est l'argument qui répond à tout.

      L'Anglais s'était fait ce raisonnement: Avec mon argent, je dirai ce que je pense; avec mon argent, je me procurerai ce que je veux; avec mon argent, j'achèterai ce que je désire. Si j'ai assez d'argent pour donner un bon prix de la terre, je verrai après cela à marchander le ciel.

      Et il était parti de Londres dans cette douce illusion. Il était venu droit à Naples par le bateau à vapeur the Sphinx. Une fois à Naples, il avait voulu voir Pompéia; il avait fait demander un guide; et comme le guide ne se trouvait pas là sous sa main à l'instant même où il le demandait, il avait pris un lazzarone pour remplacer le guide.

      En arrivant la veille dans le port, l'Anglais avait éprouvé un premier désappointement: le bâtiment avait jeté l'ancre une demi-heure trop tard pour que les passagers pussent descendre à terre le même soir. Or, comme l'Anglais avait eu constamment le mal de mer pendant les six jours que le bâtiment avait mis pour venir de Porsmouth à Naples, ce digne insulaire avait supporté fort impatiemment cette contrariété. En conséquence, il avait fait offrir à l'instant même cent guinées au capitaine du port; mais comme les ordres sanitaires sont du dernier positif, le capitaine du port lui avait ri au nez; l'Anglais alors s'était couché de fort mauvaise humeur, envoyant à tous les diables le roi qui donnait de pareils ordres et le gouvernement qui avait la bassesse de les exécuter.

      Grâce à leur tempérament lymphatique, les Anglais sont tout particulièrement rancuniers; notre Anglais conservait donc une dent contre le roi Ferdinand; et, comme les Anglais n'ont pas l'habitude de dissimuler ce qu'ils pensent, il déblatérait tout en suivant la route de Pompéia, et dans le plus pur italien que pouvait lui fournir sa grammaire de Vergani, contre la tyrannie du roi Ferdinand.

      Le lazzarone ne parle pas italien, mais le lazzarone comprend toutes les langues. Le lazzarone comprenait donc parfaitement ce que disait l'Anglais, qui, par suite de ses principes d'égalité sans doute, l'avait fait s'asseoir dans sa voiture. La seule distance sociale qui existât entre l'Anglais et le lazzarone, c'est que l'Anglais allait en avant, et le lazzarone allait en arrière.

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