Prétextes: Réflexions sur quelques points de littérature et de morale. Андре Жид

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Prétextes: Réflexions sur quelques points de littérature et de morale - Андре Жид страница 4

Prétextes: Réflexions sur quelques points de littérature et de morale - Андре Жид

Скачать книгу

l'histoire de ses influences—(nationales avec Gœtz; moyenâgeuses avec Faust; grecques avec les Iphigénies; italiennes avec le Tasse, etc.; enfin vers la fin de sa vie encore, l'influence orientale, à travers le divan de Hafiz, que venait de traduire Hammer—influence si puissante que, à plus de 70 ans, il apprend le persan et écrit lui aussi un Divan).

      La même frénésie désireuse qui poussait Gœthe vers l'Italie, poussait le Dante vers la France. C'est parce qu'il ne trouvait plus en Italie d'influences suffisantes, qu'il accourait jusqu'à Paris se soumettre à celle de notre Université.

      Il faudrait pourtant se convaincre que la peur dont je parle est une peur toute moderne, dernier effet de l'anarchie des lettres et des arts; avant, on ne connaissait pas cette crainte-là. Dans toute grande époque on se contentait d'être personnel, sans chercher à l'être, de sorte qu'un admirable fonds commun semble unir les artistes des grandes époques, et, par la réunion de leurs figures involontairement diverses, créer une sorte de société, admirable presque autant par elle-même, que l'est chaque figure isolée. Un Racine se préoccupait-il de ne ressembler à nul autre? Sa Phèdre est-elle diminuée parce qu'elle naquit, prétend-on, d'une influence janséniste? Le xviie siècle français est-il moins grand pour avoir été dominé par Descartes? Shakespeare a-t-il rougi de mettre en scène les héros de Plutarque; de reprendre les pièces de ses prédécesseurs ou de ses contemporains?

      Je conseillais un jour à un jeune littérateur un sujet qui me paraissait à ce point fait pour lui, que je m'étonnais presque qu'il n'eût pas déjà songé à le prendre. Huit jours après, je le revis, navré. Qu'avait-il? Je m'inquiétai... «Eh! me dit-il amèrement, je ne veux vous faire aucun reproche, parce que je pense que le motif qui vous faisait me conseiller était bon,—mais pour l'amour de Dieu, cher ami, ne me donnez plus de conseils! Voici qu'à présent je viens de moi-même au sujet dont vous m'avez parlé l'autre jour. Que diable voulez-vous que j'en fasse à présent? C'est vous qui me l'avez conseillé; je ne pourrai jamais plus croire que je l'ai trouvé tout seul.»—Ah! je n'invente pas!—j'avoue que je fus quelque temps sans comprendre:—le malheureux craignait de ne pas être personnel.

      On raconte que Pouchkine un jour dit à Gogol: «Mon jeune ami, il m'est venu en tête, l'autre jour, un sujet—une idée que je crois admirable—mais dont je sens bien que moi, je ne pourrai rien tirer. Vous devriez la prendre; il me semble, tel que je vous connais, que vous en feriez quelque chose.»—Quelque chose!—en effet—Gogol n'en fit rien moins que les Ames mortes, à quoi il dut sa gloire, de ce petit sujet, de ce germe que Pouchkine un jour posait dans son esprit.

      Il faut aller plus loin et dire: les grandes époques de création artistique, les époques fécondes, ont été les époques les plus profondément influencées.—Telle la période d'Auguste, par les lettres grecques; la renaissance anglaise, italienne, française par l'invasion de l'antiquité, etc.

      La contemplation de ces grandes époques où, par suite de conjonctures heureuses, grandit, s'épanouit, éclate, tout ce qui, depuis longtemps semé, germinait et restait dans l'attente—peut nous emplir aujourd'hui de regrets et de tristesse. A notre époque, que j'admire et que j'aime, il est bon, je crois, de chercher d'où vient cette régnante anarchie, qui peut nous exalter un instant en nous faisant prendre la fièvre qu'elle nous donne pour une surabondance de vie;—il est utile de comprendre que ce qui fait, dans sa plantureuse diversité, l'unité malgré tout d'une grande époque, c'est que tous les esprits qui la composent se viennent abreuver aux mêmes eaux...

      Aujourd'hui nous ne savons plus à quelle source boire—nous croyons trop d'eaux salutaires, et tel va boire ici, tel va là.

      C'est aussi qu'aucune grande source unique, ne jaillit, mais que les eaux, surgies de toutes parts, sans élan, sourdent à peine, puis restent sur le sol, stagnantes—et que l'aspect du sol littéraire, aujourd'hui, est assez proprement celui d'un marécage.

      Plus de puissant courant, plus de canal, plus de grande influence générale qui groupe et unisse les esprits en les soumettant à quelque grande croyance commune, à quelque grande idée dominatrice—plus d'école, en un mot—mais, par crainte de se ressembler, par horreur d'avoir à se soumettre, par incertitude aussi, par scepticisme, complexité, une multitude de petites croyances particulières, pour le triomphe des bizarres petits particuliers.

      Si donc les grands esprits cherchent avidement les influences, c'est que, sûrs de leurs propres richesses, pleins du sentiment intuitif, ingénu de l'abondance immanente de leur être, ils vivent dans une attente joyeuse de leurs nouvelles éclosions.—Ceux, au contraire, qui n'ont pas en eux grande ressource, semblent garder toujours la crainte de voir se vérifier pour eux le mot tragique de l'Evangile: «Il sera donné à celui qui a; mais à celui qui n'a pas, on ôtera même ce qu'il a.» Ici encore la vie est sans pitié pour les faibles.—Est-ce une raison pour fuir les influences?—Non.—Mais les faibles y perdront le peu d'originalité à laquelle ils peuvent prétendre... Messieurs: tant mieux! C'est là ce qui permet une Ecole.

      Une Ecole est composée toujours de quelques rares grands esprits directeurs—et de toute une série d'autres subordonnés, qui forment comme le terrain neutre sur lequel ces quelques grands esprits peuvent s'élever. Nous y reconnaissons d'abord une subordination, une sorte de soumission tacite, inconsciente, à quelques grandes idées que quelques grands esprits proposent, que les esprits moins grands prennent pour Vérités.—Et, s'ils suivent ces grands esprits, peu m'importe! car ces grands esprits les mèneront plus loin qu'ils n'eussent su aller par eux-mêmes. Nous ne pouvons savoir ce qu'eût été Jordaens sans Rubens. Grâce à Rubens, Jordaens s'est élevé parfois si haut, qu'il semble que mon exemple soit mal choisi et qu'il faille placer Jordaens au contraire parmi les grands esprits directeurs.—Et que serait ce si je parlais de Van Dyck, qui, à son tour, crée et domine l'école anglaise?

      Autre chose: souvent une grande idée n'a pas assez d'un seul grand homme pour l'exprimer, pour l'exagérer tout entière; un grand homme n'y suffit pas; il faut que plusieurs s'y emploient, reprennent cette idée première, la redisent, la réfractent en fassent valoir une dernière beauté.—La grandeur, qui paraissait démesurée, de Shakespeare, a longtemps empêché de voir, mais ne nous empêche plus aujourd'hui d'admirer, l'admirable pléiade de dramaturges qui l'entourent.—L'idée qu'exalte l'école hollandaise s'est-elle satisfaite d'un Terburg, d'un Metsu, d'un Pieter de Hooch? Non, non, il fallait chacun de ceux-là, et combien d'autres!

      Enfin, disons que si toute une suite de grands esprits se dévouent pour exalter une grande idée, il en faut d'autres, qui se dévouent aussi, pour l'exténuer, la compromettre et la détruire.—Je ne parle pas de ceux qui s'acharnent contre—non—ceux-là d'ordinaire servent l'idée qu'ils combattent, la fortifient de leur inimitié.—Mais je parle de ceux qui croient la servir, de cette malheureuse descendance en qui s'épuise enfin l'idée.—Et, comme l'humanité fait et doit faire une consommation effroyable d'idées, il faut être reconnaissant à ceux-ci qui, en épuisant enfin ce qu'une idée avait encore de généreux en elle, en la faisant redevenir Idée, de vérité qu'elle semblait, la vident enfin de tout suc, et forcent ceux qui viennent à chercher une idée nouvelle,—idée qui, à son tour, paraisse pour un temps Vérité.

      Bénis soient les Miéris et les Philippe Van Dyck pour achever de ruiner la moribonde école hollandaise, pour venir à bout de ses dernières dominations.

      En littérature, croyez bien que ce sont pas les «verslibristes», pas même les plus grands, les Vielé-Griffin, les Verhaeren, qui viendraient à bout du Parnasse; c'est le Parnasse lui-même qui se supprime, se compromet en ses derniers lamentables représentants.

      Disons encore ceci: ceux qui craignent les influences et s'y refusent en sont punis de cette manière admirable: dès qu'on signale un pasticheur, c'est parmi eux qu'il faut chercher.—Ils

Скачать книгу