La guerre et la paix - Recherches sur le principe et la constitution du droit des gens. Pierre-Joseph Proudhon

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non moins graves.

      L’emploi de la force, dans les luttes nationales, implique l’effusion du sang. On peut même dire que le péril de mort est nécessaire pour mettre en lumière, avec les forces physiques, les forces morales, le courage, la vertu, le dévouement. Or, suivant que la destruction de l’ennemi sera considérée comme le but spécial de la guerre, ou seulement comme la conséquence possible, mais non directement cherchée de la lutte des forces, on conçoit qu’ici, comme dans le duel, le choix des armes n’est pas chose indifférente. Il y a matière à règlement et définition.

      On s’est servi pour le duel ou combat singulier de toutes sortes d’armes: sabre, épée, fleuret, dague, poignard, couteau, fusil, carabine, pistolet, pique, lance, bâton, massue, hache, fléau, marteau, compas (dans les duels des compagnons du devoir), etc. Aujourd’hui les seules armes reçues sont l’épée, le sabre, le fleuret et le pistolet. Au moyen âge on se battait à pied ou à cheval, cuirassé ou en chemise; de nos jours, on ne se bat plus qu’à pied et en chemise. En cherchant la raison de cette simplification du duel, on découvre que l’on a voulu deux choses: en écarter tout ce qui pouvait le ravaler ou le rendre atroce, en même temps lui donner tout ce qui pouvait faire valoir le courage des combattants.

      Je demande donc s’il n’en devrait pas être de même à la guerre; s’il est permis à la guerre, plus que dans le duel, d’employer toute espèce de moyen homicide, le poison, par exemple, ce qui peut se faire de plusieurs manières, en empoisonnant les armes, lançant des gaz asphyxiants, ou infectant les boissons et aliments? La réponse de Grotius est équivoque sur tous ces cas.

      «Certaines nations, dit-il, sont dans l’habitude

       «d’empoisonner leurs flèches, et l’on ne saurait dire

       «que le droit de nature s’y oppose. Toutefois les nations

       «de l’Europe ont aboli entre elles cet usage,

       «qui n’est pas dans les voies de la force ouverte.»

      Quant aux boissons et aliments, Grotius réprouve le poison, tout en reconnaissant qu’il est permis de rendre les eaux impotables en y jetant des cadavres, de la chaux, comme aussi de dénaturer, par des moyens analogues, les comestibles.

      Vattel partage sur ce point l’avis de Grotius.

      Ici paraît l’incertitude des principes du célèbre juriste. La guerre a-t-elle pour but direct la destruction de l’ennemi? Dans ce cas, point de scrupules: les mines, les machines infernales, l’huile de vitriol, l’eau bouillante, le poison, la chaux, les charognes, la dyssenterie, l’aveuglement, la famine, la peste, les flèches à crochet ou empoisonnées, tout ce qui produit d’incurables blessures comme ce qui tue sur-le-champ, il faut tout prendre, faire, comme on dit, flèche de tout bois.

      Mais la guerre est-elle avant tout, comme le dit son nom latin et comme le porte sa définition, un duel de la force et de la vaillance, dans lequel la mort apparaît comme un risque, non comme une fin? Il est évident qu’alors il y a lieu à un règlement d’armes, sans quoi la guerre n’est plus qu’une lutte hideuse entre une armée de Castaings et une autre armée de Brinvilliers. Je n’aime point ce général qui, dans un combat de mer, ayant fait provision de vipères renfermées dans des bouteilles, les fit jeter par ses soldats dans les vaisseaux ennemis, cherchant ainsi, par une espèce de trahison, ce qu’il désespérait d’obtenir par la force. Et je regarde comme digne du supplice des assassins le soldat qui mord sa balle, dans l’idée que cette morsure empoisonne le projectile et tuera infailliblement l’ennemi.

      Nos militaires, il faut leur rendre cette justice, ont généralement horreur de pareils moyens. Je ne leur demande donc que d’être d’accord avec eux-mêmes. Ils croient à un droit de la guerre, par conséquent à une réglementation des armes, quand ils réprouvent l’empoisonnement de l’ennemi. Qu’ils suivent cette idée, et qu’ils répondent maintenant à ma question: Peut-on regarder comme permises par le droit de la guerre ces armées de précision qui foudroient à des distances énormes et à coup sûr; ces projectiles de toute forme, coniques, creux, à ressort, qui, après avoir perforé le corps de l’adversaire, laissent des blessures dangereuses, pires que celles causées par les bombes orsiniennes?

      «Les Français, écrivait lors de la guerre de Lombardie

       «un correspondant du Times, ont introduit

       «récemment dans le service une nouvelle balle, dont

       «la base creuse est en forme de pyramide. Cette

       «forme donne à la balle cette propriété que, lorsque

       «la pointe de la balle touche un os, la base de la pyramide

       «s’ouvre aux angles et fait une blessure terrible

       «que le médecin de l’hôpital m’a montrée, en

       «l’appelant sehr schœn.

      Le fait rapporté par le Times est-il exact? Je m’en méfie. La presse anglaise est peu bienveillante pour l’honneur français. L’infanterie française est regardée aujourd’hui comme la plus brave du monde dans les charges à la baïonnette; elle l’a prouvé dans cette. même guerre de Lombardie. Qu’a-t-elle besoin de balles à ressort?... En tout cas, si les Français ont eu en ceci le triste mérite de l’invention, ils ne tarderont pas à éprouver les inconvénients de la contrefaçon. C’est pourquoi je. dénonce à mon tour le fait à la loyauté de tous les militaires; qui certes n’ont pas imaginé la balle à ressort, et dont la bravoure sait fort bien se passer des inventions infernales des armuriers .

      Quoi qu’il en soit de l’anecdote racontée par le Times, il est certain que toutes les nations de l’Europe font maintenant usage de la carabine et du canon rayés, de la balle et du boulet coniques, plus dangereux que les mêmes projectiles ronds. On parle même de donner à tous les soldats de l’armée française, cavaliers et fantassins, des revolvers à six coups. Pourquoi ce perfectionnement qui, loin d’ajouter à la force et au courage, sert plutôt la faiblesse et la lâcheté ; qu’on peut même dire inutile, puisqu’il suffit pour la victoire que le soldat soit mis hors de combat? N’est-ce pas manquer de tous points au but de la guerre, qui est de vider les différends entre nations par les voies de la force? L’empereur Napoléon III a témoigné, dans la dernière campagne, d’une grande sollicitude pour les blessés, français et autrichiens. Je l’en louerais davantage, si j’apprenais qu’il emploie son autorité sur l’armée et son crédit auprès des puissances pour faire abandonner l’usage des balles coniques et à ressort. Je ne sais plus quel roi de France fit assurer une pension à l’inventeur d’une machine infernale, à condition qu’il ne communiquerait son secret à personne. «Nous avons assez de moyens de

       «nous détruire, disait-il; je ne veux pas ouvrir de

       «concours pour cet objet.» L’exemple est bon à suivre: il témoigne, chez un prince ambitieux, — les rois de France le furent tous, — d’un véritable sentiment du droit de la guerre et du droit des gens.

      C’est surtout depuis l’invention de la poudre que les idées se sont perverties sur la nature et le droit de la guerre, notamment en ce qui concerne le règlement des armes. On a prétendu que l’emploi du canon avait démocratisé le métier de soldat et porté à la noblesse un coup sensible, en neutralisant la cavalerie et en amoindrissant l’avantage de la bravoure personnelle. J’aimerais mieux, je l’avoue, que le tiers état eût appris à opposer cavalerie à cavalerie, au risque de voir la féodalité durer cent ans de plus.

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