La guerre et la paix - Recherches sur le principe et la constitution du droit des gens. Pierre-Joseph Proudhon

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seconde condition, c’est que, à part la ressource que l’armée envahissante pouvait trouver dans les magasins militaires dont elle parviendrait à s’emparer, elle devait être en mesure de subsister de ses propres moyens, sans rien extorquer à la population; puisque, d’après la critique que nous avons faite, la maraude est une infraction au droit de guerre, qui dans certains cas rend nulle la victoire.

      L’événement a confirmé cette théorie. L’armée française n’était pas à cent lieues de l’autre côté du Niémen que la campagne pouvait être considérée comme perdue. Les victoires de Smolensk et de la Moscowa ne rétablirent point les affaires; le froid, qui plus tard assaillit l’armée française, ne fut qu’un sinistre de plus dans un désastre aux trois quarts accompli.

      La conduite de Napoléon, dans cette injustifiable campagne, servit de provocation et jusqu’à certain point d’excuse à celle de Rostopchin. Il était évident, d’un côté, que Napoléon ne pouvait porter le guerre en Russie, à six cents lieues de sa capitale, sans exercer une immense maraude; le service dé transport qu’il essaya d’organiser de Dantzig au Niémen et qui ne lui fut presque d’aucune utilité le prouve. D’autre part, il n’est pas moins clair qu’un pays de cinquante millions d’âmes ne pouvait jouer son indépendance sur le sort d’une bataille contre une armée de 400,000 hommes. C’était laisser trop d’avantage à Napoléon. La loi des forces n’était plus observée. Napoléon ne pouvait plus dès lors être considéré comme un vrai conquérant, le représentant de la civilisation et du progrès, puisque, si l’on pouvait accorder qu’il eût pour lui l’idée, il n’avait pas le nombre, il n’avait pas la force. C’était un usurpateur de souverainetés, un perturbateur de l’Europe, un aventurier qu’il fallait détruire à tout prix, en l’affamant. A cet égard, Rostopchin dut se croire d’autant plus autorisé que Napoléon lui donnait l’exemple. En vertu du principe que le salut de l’armée est pour un général la loi suprême, Napoléon avait donné l’ordre, afin de ralentir l’ennemi, de brûler tout ce qu’on ne pouvait emporter, et jamais ordre ne fut plus consciencieusement exécuté, dit M. Thiers, que celui-là ne le fut par Davoust.

      Tout se tient dans les choses humaines: une faute contre le droit. de la force en devient une contre le droit des gens, et de faute en faute la puissance la mieux établie finit par se perdre. Quels que fussent les griefs de Napoléon contre Alexandre, dès lors qu’il ne pouvait absorber la Russie, ni même l’occuper militairement, il devait s’abstenir de toute invasion. La manière dont a été faite la guerre de Crimée servirait au besoin à justifier cette proposition; cette guerre, où fut déployée une puissance bien autrement formidable que celle dirigée par Napoléon 1er en 1812, et qui n’avait cependant d’autre but que de contraindre la Russie à la paix en détruisant sa forteresse de Sébastopol, est la critique la plus péremptoire qu’on puisse faire de l’expédition de 1812.

      Changeons de sujet. Tout le monde connaît l’histoire; ou le roman, de Judith et du siège de Béthulie. Les Juifs, selon le récit biblique, menacés par une armée d’invasion, se réfugient dans leurs places fortes. Arrivé devant Béthulie, bâtie sur un rocher, et ne pouvant s’en emparer par un coup de main, le général ennemi coupe le canal qui fournissait de l’eau à la ville. Bientôt les assiégés, mourant de soif, sont dans la nécessité de se rendre. Dans cette légende, devenue populaire, on peut voir, au point de vue du droit, l’histoire de tous les blocus. Je n’examine pas s’il y avait raison suffisante de guerre entre les Assyriens et les Hébreux; j’admets le cas. Je demande seulement si la conduite d’Holopherne était bien selon le droit de la guerre, laquelle, comme dit Cicéron, est une manière de vider les différends par les voies de la force.

      — Sans nul doute, répondent les militaires, Holopherne était ici dans son droit. Si les Juifs voulaient éviter les inconvénients du blocus, ils n’avaient qu’à descendre et accepter la bataille. Tout siège de place a pour but de forcer un ennemi, qui par le fait de sa retraite s’avoue impuissant, mais qui, par l’art de la fortification, entreprend de suppléer à l’infériorité du nombre par la supériorité de la position. Se défendre chez soi, au moyen de remparts, de fossés pleins d’eau, etc., est de plein droit à la guerre, attendu que c’est à l’agresseur à forcer le défendeur et à le forcer chez lui; attendu, en outre, que la fortification d’une place est déjà par elle-même un acte considérable de force, qui doit compter dans la balance de la justice guerrière; attendu enfin que, si une nation se trouvait, par la nature du sol, tout à fait hors d’atteinte, elle échapperait à la loi d’incorporation et devrait être neutralisée. C’est ce motif qui a fait admettre par le droit européen l’indépendance de la confédération helvétique, placée, pour ainsi dire, en l’air, à l’abri des conquêtes, et hors d’état elle-même de nuire aux puissances qui l’enveloppent. Mais ce droit de la défense dans une place fortifiée implique que l’ingénieur aura pourvu à tout, à l’eau et aux vivres aussi bien qu’à l’armement. Sinon, le blocus et ce qui s’ensuit deviennent un moyen de contrainte d’autant plus légitime que l’assiégeant est exposé aux mêmes inconvénients que l’assiégé, et que, lorsqu’une armée est forcée de lever un siège, c’est d’ordinaire par l’effet des maladies ou le manque de vivres.

      Je n’ai rien à opposer à cette argumentation. Se défendre dans une place fortifiée et inaccessible, bien que ce soit un moyen de se soustraire à la loi de la force, qui est celle de la guerre, est légitime. Mais attaquer une place par la soif et la famine, bien que ces moyens ne soient pas de vive force, est légitime aussi, puisque cette attaque a pour but de forcer l’ennemi au combat. Double exception, qui au fond rentre dans la règle. Je ne reviendrai pas sur les raisons données. Je m’empare de ces raisons au contraire, et je dis à mes interlocuteurs:

      Donc, gens de guerre, vous regardez la guerre comme l’exercice du droit de la force, droit positif, auquel, sauf certaines exceptions prévues, il n’est pas permis, dans une guerre régulière, de se soustraire. C’est pour cela que les places assiégées n’attendent pas d’ordinaire l’assaut avant de se soumettre: elles savent que, pendant tout le temps qui a précédé l’assaut, leurs forces se sont dépensées tandis que l’ardeur de l’ennemi s’est accrue; qu’une défense plus longtemps prolongée ne serait pas plus honorable, et que l’ennemi pourrait s’irriter d’une défense trop opiniâtre, et s’en venger comme d’un crime. C’est pour cela aussi que dans les capitulations il est dit souvent que, si dans un délai déterminé il ne se présente pas d’armée pour combattre, la ville sera remise à l’assiégeant. Tout cela implique évidemment un droit positif de la force, base du droit de la guerre, dont les militaires ont le sentiment profond, mais dont ils ne savent pas déduire les formules, parce qu’ils ne sont pas juristes, et que les juristes à leur tour expliquent on ne peut plus mal, parce qu’ils ne sont pas militaires.

      Tout cela marche on ne peut mieux. Mais alors il faut suivre la loi dans toutes ses déductions: s’en tenir, sauf les exceptions et modifications prévues, aux moyens de force, lesquels excluent la perfidie, le sac, le massacre, le pillage; ne rien faire en dehors du but légitime de la guerre, lequel se réduit généralement à une question de suprématie, d’incorporation ou d’affranchissement; s’abstenir, enfin, hors du champ de bataille, de toute atteinte aux personnes et aux propriétés, sauf la répression des crimes commis et les indemnités à exiger. Or, est-ce ainsi que les choses sa passent à la guerre? Non, la guerre est, ou peu s’en faut, aussi brutale chez les civilisés que chez les barbares. On dirait que les conditions qu’impose le droit de la force répugnent aux soldats; que s’il y fallait tant de façons, tant de vertu, personne ne voudrait du métier.

      Les combats finiraient faute de combattants.

      De l’égorgement, du pillage, du viol, il semble qu’on ait besoin de tout cela pour satisfaire je ne sais quel instinct de destruction, entretenir la main au soldat, l’animer, lui relever le moral. Dans toute

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