La guerre et la paix - Recherches sur le principe et la constitution du droit des gens. Pierre-Joseph Proudhon

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carnage diminue partout des trois quarts. Vous pouvez vous en rapporter sur ce point à la conscience des militaires.

      J’ai parlé plus haut de la maraude: le pillage n’est pas la même chose. La première a pour objet la subsistance du soldat; on l’exerce en vertu du principe que la guerre doit nourrir la guerre. Le second est bien autrement ignoble et immoral; il a pour but l’enrichissement du soldat. Ce n’est plus dans ce cas la nécessité qui parle, c’est la cupidité. Ici, l’on peut dire que la science du juriste et l’honneur militaire ont subi une éclipse complète.

      S’il est permis, disent nos casuistes, de frapper l’ennemi, même désarmé et dans son sommeil, et de lui ôter la vie, à plus forte raison le sera-t-il de lui prendre son bien. A cet égard, les auteurs même les plus récents n’éprouvent pas le moindre scrupule. Ils se sentent à l’aise. Neque est contra naturam spoliare cum, si possis, quem honestum est necare, dit Cicéron, après Aristote, Platon, et toute la sagesse antique. Grotius, Vattel, et la masse des juristes, opinent à leur tour du bonnet et de la voix, des mains et des pieds, en faveur du droit de butiner. Il n’y a pas même d’exception pour les choses sacrées, rien de ce qui appartient à l’ennemi ne pouvant être sacré pour le vainqueur, ajoute le Digeste: Quum loca capta sunt ab hostibus, omnia desinunt vel religiosa vel sacra esse.

      Ce qui donne envie de rire est de voir le pieux et honnête Grotius faire une petite réserve pour le cas où vainqueurs et vaincus professeraient le même culte. Alors, dit-il, il y a conscience. Toutefois, comme ces objets font partie du domaine public, et que rien n’est plus aisé que de les déconsacrer, il est permis, avec tout le respect dû aux choses saintes, de les prendre. L’Église suit la condition des paroissiens! N’est-ce pas joli? En Italie et en Espagne, certains de nos généraux n’attendaient pas la déconsécration; il est vrai que par la révolution ils étaient devenus mé créants. Que dire de plus? Il est permis, en vue du pillage, de violer jusqu’aux tombeaux. Pourvu qu’on ne s’écarte pas du respect dû aux cadavres, observe le grave auteur du traité De Jure belli ac pacis, une pareille violation n’a rien que de licite, les tombeaux après tout étant la propriété des vivants, non celle des morts.

      Je reviendrai, au livre suivant, sur la question des dépouilles, considérées, non plus comme conséquence, mais comme cause et objet de la guerre. Pour le moment, je me contente d’une simple remarque. Un honnête homme est attaqué au coin d’un bois par un malfaiteur et le tue. Que fera-t-il après? Il préviendra la justice, afin qu’on relève le cadavre et qu’on informe. Il se gardera de le dépouiller; il croirait, avec raison, se déshonorer. Je ne parle pas du duel, où la plus extrême décence est imposée au vainqueur à l’égard du mort. Or, il s’agit ici, non de la destruction d’une bande de brigands, avec lesquels on ne garde pas de mesure; non pas même d’une satisfaction d’honneur, sans aucune conséquence intéressée; mais d’un débat pour la souveraineté politique à vider entre deux nations par les voies de la force. Et le résultat d’un tel débat, la conclusion adjugée à la victoire, serait le pillage!...

      Plus on agite cette matière, à peine effleurée, de la guerre, plus on est étonné de l’énormité des sophismes, des contradictions et des couardises de raisonnement qui y pullulent. Il est permis, ce nous dit-on, de surprendre l’ennemi, de se glisser dans un poste, dans un fort, et de massacrer la garnison sans lui laisser le temps de se mettre en garde; d’aller, en rampant, jusque dans sa tente, frapper le général ennemi. A ce propos, Grotius cite les exemples de Mucius Scévola, d’Aod et d’une foule d’autres. D’après ce principe, le jeune homme qui à Schœnbrünn tenta d’assassiner Napoléon était dans le droit, tandis que Napoléon, qui le fit passer devant un conseil de guerre et fusiller, violait le droit. Donc, faudrait-il conclure, il sera permis de mettre à prix la tête de celui qu’on regarde comme l’auteur ou le conducteur de la guerre, comme fit le roi d’Espagne Philippe II à l’égard de Guillaume le Taciturne, et de le faire assassiner? Ici Grotius recule: «Non, dit-il, l’intérêt commun «des princes ne le veut pas.» La belle raison! Et l’intérêt commun des peuples?

      Disons plutôt, en revenant aux vrais principes, que la guerre étant le jugement de la force, tout assassinat, surtout à l’égard des généraux, est une félonie. C’est pourquoi nous réprouvons les entreprises des Aod, des Balthazar Gérard, des Poltrot de Méré, des Ornano, de tous ceux qui à la guerre font usage de la trahison et de l’assassinat. Napoléon, quels que fussent ses torts vis-à-vis de l’Allemagne, hors du champ de bataille devenait inviolable. Dans le gâchis européen, surtout dans l’incertitude des principes et attendu la réciprocité des torts, la guerre qu’il faisait, même avec ses vices de forme, était censée toujours le jugement de la force.

      Une question fort agitée est celle de savoir si, pour mettre fin à la guerre et épargner le sang, on pourrait convenir de s’en rapporter au résultat d’un combat singulier, ou d’un combat entre un certain nombre d’hommes choisis de part et d’autre, par exemple de trois contre trois, de trente contre trente, de cent contre cent.. Grotius se prononce pour la négative: a Il faut, dit-il, y aller de toutes ses forces.» Je suis de l’avis de Grotius; mais je ne puis admettre ses raisons. De semblables combats, où quelques-uns se dévouent pour tous, où le succès est pris pour une démonstration dé la bonne cause et une marque de la protection divine, offensent, selon lui, la charité et la religion. Il semble, au contraire, qu’un pareil dévouement serait le sublime de la charité ; quant à la religion, elle n’y est pas plus intéressée qu’au tirage au sort des conscrits.

      Pour moi, prenant toujours pour point de départ et base de mes raisonnements la définition de la guerre, savoir qu’elle est, qu’elle veut et doit être la revendication du droit du plus fort, et conséquemment la démonstration en fait de la force, je réponds: Oui, il faut que les parties militantes agissent de tous leurs moyens, qu’elles déploient toutes leurs forces, précisément parce que la victoire est due au plus fort, ce qui pourrait n’avoir pas lieu, si la bataille était limitée à deux fractions égales de puissances en conflit. Il est évident, en effet, qu’une pareille manière de guerroyer serait tout à l’avantage de la puissance la plus faible, les champions étant supposés de part et d’autre d’une valeur individuelle égale.

      Terminons ce chapitre. A mesure que nous avançons dans cette critique, une chose doit apparaître de plus en plus à l’esprit du lecteur, résultant des contradictions mêmes qui obscurcissent toute cette matière:

      C’est que le droit de la guerre est un droit positif, la raison de la force une raison positive, applicables à un certain ordre de faits et d’idées avec la même certitude que le droit du travail est applicable aux choses de la production et de l’échange, le droit du talent aux choses de l’art, le droit d’amour aux choses du mariage, etc.; — c’est que le droit de la guerre, cette raison de la force, si profondément méconnue par les juristes, la multitude la sent, les armées l’affirment, la civilisation en relève, le progrès en réclame la codification; — c’est que, s’il est incontestable qu’il y ait eu depuis trois mille ans une amélioration dans les us et coutumes de la guerre, on ne peut nier que le droit même de la force se soit obscurci, en raison du développement des droits dont il ouvre la série; — c’est enfin que le meilleur moyen de parer aux calamités de la guerre, en supposant sa continuation, consiste précisément dans la reconnaissance du droit de la force.

       Table des matières

      CRITIQUE DES OPERATIONS MILITAIRES: LA BATAILLE.

      La bataille, où les armées se présentent en ligne, front contre front, et cherchent mutuellement à se terrasser, est l’acte suprême, héroïque, de la guerre. Tout se fait en vue de la bataille.

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