La guerre et la paix - Recherches sur le principe et la constitution du droit des gens. Pierre-Joseph Proudhon

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La guerre et la paix - Recherches sur le principe et la constitution du droit des gens - Pierre-Joseph Proudhon

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Quand les armes seront telles que le nombre et la discipline, aussi bien que le courage, ne seront plus de rien à la guerre, adieu le règne des majorités, adieu le suffrage universel, adieu l’empire, adieu la république, adieu toute forme de gouvernement. Le pouvoir est aux plus scélérats. Ne sait-on pas que si le peuple de Paris voulait user des moyens de destruction que le progrès de l’industrie et des sciences a mis en sa main, aucune force ne serait capable de le réprimer? Pourquoi donc aujourd’hui l’émeute fait-elle silence? C’est que le peuple, même à l’état d’insurrection, croit au droit de la guerre. Il lui répugne d’attaquer son ennemi par derrière, d’employer, pour le détruire, le poison, les fusils à jet continu, les machines à la Fieschi, et les bombes fulminantes. Comme Barbès, il préfère, au péril de sa vie, descendre en plein boulevard, en faisant à ses ennemis leur part d’ombre et de soleil.

      On a dit que depuis l’invention des armes à feu la guerre était devenue moins meurtrière. Les plus grandes batailles de ce siècle n’offrent pas de carnage comparable à celui de Cannes, par exemple, où Annibal égorgea 50,000 Romains, et perdit lui-même plus de 20,000 hommes.

      J’avoue le fait; mais je n’en attribue point la cause à l’artillerie, ce qui serait tout simplement absurde.

      Il y a, dans une bataille, trois moments principaux. Le premier est l’engagement, congressus: c’est celui où les deux armées en viennent aux mains sur toute leur ligne; puis vient le combat proprement dit, ou l’effort, pugna, conatus, qui dure jusqu’à ce que l’une des deux armées faiblisse et que ses bataillons soient rompus; enfin la tuerie, cædes, qui commence, ainsi que la fuite du vaincu, à la rupture des bataillons. C’est ainsi qu’à la bataille de Cannes, sur 90,000 hommes dont se composait l’armée romaine, il y en eut 50,000 de tués.

      Cette tuerie, dernier acte de la bataille, qu’on trouve régulièrement indiquée dans les auteurs, n’existe plus pour les modernes que comme un accident. L’ennemi enfoncé se retire, s’il peut, ou met bas les armes. Au lieu de massacrer, on fait des prisonniers, ce à quoi le vainqueur est d’autant mieux disposé qu’il s’est battu à distance, par des manœuvres et de la fusillade plutôt que par des chocs, et qu’il est moins échauffé au carnage. C’est aussi un effet de ce sentiment d’humanité dont j’ai parlé plusieurs fois, sentiment qui a diminué les destructions de la guerre, mais sans en améliorer les mœurs, comme le prouve le fait même de l’invention et du perfectionnement des armes à feu. Autrefois, le nombre des morts et des blessés pendant les deux premiers actes de la bataille était moindre; le massacre ne commençait qu’au dernier acte. Aujourd’hui l’on se foudroie à distance, en quantité énorme et en nombre à peu près égal; l’avantage du vainqueur est dans le nombre des prisonniers. Ici l’humanité triomphe, j’en tombe d’accord, mais à la fin; elle est sacrifiée, au commencement. Compensation faite, la valeur militaire a perdu, et la guerre se déprave.

      En révolution, disait amèrement Danton, lorsqu’il se vit enlacé par l’astuce de Robespierre, le triomphe est au plus scélérat. Il en serait ainsi de la guerre, d’après les maximes en crédit: la victoire promise au plus vaillant appartiendrait au plus meurtrier. Supposons qu’aujourd’hui l’un des souverains de l’Europe possédât seul le secret du fusil et du canon rayés, des fusées à la Congrève, de l’obusier Paixhans: se croirait-il, la guerre s’allumant, autorisé à s’en servir? Assurément, si nous devons nous en rapporter au droit de la guerre tel que l’entendait Grotius et qu’on l’enseigne encore aujourd’hui. L’histoire est pleine de batailles gagnées par la supériorité des armes, plutôt que par le courage et la force des soldats.

      Je dis que de semblables trophées sont chargés de honte et ne prouvent rien. La guerre, telle que la veut le droit de la force, telle que le genre humain la conçoit et que les poëtes la célèbrent, est une lutte d’énergie, de bravoure, de constance, de prudence, d’industrie même, si l’on veut; on en fait un assaut d’extermination. Passe encore s’il s’agissait de brigands à détruire, de flibustiers, de négriers, auxquels les nations ne doivent ni merci ni miséricorde. Mais entre citoyens, combattant, non pour le pillage, mais pour la liberté et la suprématie de leur pays, pareille interprétation du droit de la guerre répugne.

      Une déloyauté en amène une autre. Est-il permis à la guerre de tromper l’ennemi, tranchons le mot, de mentir? — Certainement, répond Grotius; et le voilà qui se jette dans une longue dissertation, dont la substance est que, hormis ce qui a été convenu par traité après la guerre, et qui a pour objet de régler la situation à nouveau, toute tromperie ayant pour but de faire tomber l’ennemi dans un piège est de bonne guerre. A cette occasion, il émet la dangereuse maxime, renouvelée de Machiavel et des Jésuites: qu’il est licite de mentir par raison d’État et pour cause de religion. C’est le cas de dire, en parodiant Horace: Dulce et décorum est pro patria mentiri.

      Admettons pour un moment cette singulière jurisprudence, que la tromperie étant de droit à la guerre n’implique ni crime ni délit. Pourquoi, alors, fusiller les espions, au lieu de les faire simplement prisonniers? Comment! voici un tirailleur qui, couché à plat ventre, comme un chacal, derrière un buisson, tire sur un bataillon qui passe et qui ne l’aperçoit seulement pas. Qu’on se mette à sa poursuite et qu’on l’atteigne, il sera probablement passé par lès armes, vitam pro vita, à quoi je n’ai rien à dire. Mais qu’il parvienne à s’échapper, et que le lendemain, dans une affaire générale, il soit fait prisonnier: en supposant qu’on le reconnaisse, on n’a plus le droit de le tuer pour le fait de la veille; il n’aura fait que son métier, de combattant. En sorte que le flagrant délit aura été tout son crime. En revanche, le paysan qui aura averti les tirailleurs de l’arrivée du bataillon, si plus tard il est arrêté et convaincu, sera pendu. Il est réputé espion.

      Il y a plus. Que le même soldat, que le droit de la guerre protège aujourd’hui dans son service de tirailleur, quitte son uniforme, ses armes, prenne un déguisement, comme faisait Du Guesclin quand il enlevait les châteaux forts des Anglais, et passe dans le camp ennemi pour observer ce qui s’y passe: aussitôt il devient lui-même espion, et s’il est pris, bien que son crime ne soit commis qu’à moitié, on le fusille à l’instant, impitoyablement. Pendant le siège de Sébastopol, un officier de l’armée russe, découvert dans les retranchements de l’armée alliée, où il se livrait à un espionnage héroïque, faillit périr de la sorte. Il ne dut son salut qu’à la vitesse de ses jambes. Je renouvelle ma question: Comment, si le mensonge et l’embuscade sont de droit à la guerre, si toutes les armées pratiquent, les unes à l’égard des autres, l’espionnage, comment l’espionnage est-il traité sur le pied de trahison et d’assassinat?

      J’insiste sur ce point, qui montre d’une manière frappante combien les militaires sont convaincus, au fond de leur âme, de la réalité du droit de la guerre, et quelles ténèbres règnent à ce sujet dans leur conscience. La même chose qu’on punit comme infâme chez un ennemi, en vertu du droit de la guerre, on se la permet à soi-même comme licite et honorable, en vertu du même droit. Je lis dans le Cours d’art militaire de M. Laurillard-Fallot, professeur à l’École militaire de Bruxelles:

      «On envoie des hommes intelligents et bien payés,

       «qui, sous prétexte de commerce, de livraisons de

       «grains ou de bestiaux, se mettent en rapport avec

       «les fournisseurs de l’armée ennemie et les chefs de

       «communes frappées de réquisitions.»

      Voilà bien l’espionnage conseillé, préconisé comme instrument de tactique, et en vertu du droit de la guerre. C’est une des qualités d’un grand général d’être bien servi, bien renseigné par ses espions. Mais s’agit-il des espions de l’ennemi, l’auteur changé aussitôt

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