La guerre et la paix - Recherches sur le principe et la constitution du droit des gens. Pierre-Joseph Proudhon

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force, sera à la fin écrasé par la force. — Bonaparte, demandera-t-on, eût donc mieux fait de se rendre? — Eh! non. Bonaparte, s’il avait eu en ce moment autant de grandeur d’âme que d’aplomb, après avoir mystifié les 4,000 Autrichiens qui lui demandaient son épée, les aurait renvoyés avec armes et bagages. C’est au surplus un cas que je laisse à décider à la conscience des militaires; la question pour moi est plus élevée. Je dis que dans un différend de peuple à peuple, là où la vaillance des armées, assistées, je le veux et je l’exige, du GÉNIE des généraux, doit décider de la victoire, il est contre la nature des choses, et partant contre le droit, d’agir de surprise et d’employer la fourberie. Le génie à la guerre n’est pas le mensonge, pas plus que la saisie des possessions de l’ennemi n’est le pillage des habitants, pas plus que l’homicide, en bataille rangée, n’est l’assassinat. Ce peut être une question de savoir si les 4,000 Autrichiens qui avaient perdu leur route avaient le droit d’enlever les 1,200 Français qui s’étaient de leur côté égarés: je n’aime pas plus ces raccrocs à. la guerre que dans la littérature et les beaux-arts, et je voudrais ici une bonne définition. Mais je nie que les 1,200 Français eussent le droit, en bonne guerre, d’emmener prisonniers 4,000 hommes qui, sur un mensonge hardiment exprimé, avaient la simplicité de se croire perdus. Qu’on cite, si l’on veut, l’aventure de Lonato en exemple, soit de la présence d’esprit d’un général, soit des irrégularités auxquelles, dans un siècle où le droit de la guerre n’est qu’à moitié connu, le plus brave peut avoir recours: à la bonne heure! Mais qu’on ne fasse pas de la conduite du général Bonaparte en cette circonstance un exemple à suivre; ce serait corrompre la morale des armées, ce serait enseigner l’art d’éterniser entre les nations la guerre, et la mauvaise guerre.

       Table des matières

      CRITIQUE DES OPÉRATIONS MILITAIRES: ACTES DE VANDALISME, SIÉGES, BLOCUS, MASSACRES, VIOLS, PILLAGE, ASSASSINATS, COMBATS SINGULIERS, PRISONNIERS DE GUERRE.

      En cherchant la définition de ce qui est licite à la guerre et de ce qui est illicite, il est impossible que nous ne nous répétions pas quelquefois. Toute la conduite de l’homme de guerre peut se ramener à deux chefs: les personnes et les choses. On me pardonnera donc quelques redites, si elles ont pour but de faire ressortir davantage les anomalies de la pratique et les difficultés de la théorie.

      Puisque la guerre est le jugement de la force, que la force se démontre par la lutte et par la victoire; et puisque la force, pour lutter et vaincre, a besoin de se livrer à des manœuvres souvent compliquées, difficiles, qui exigent, avec beaucoup d’hommes, beaucoup de temps et d’argent, nous pouvons, à ce point de vue tout économique, considérer la guerre comme une sorte d’industrie, ce que les militaires ont fait d’ailleurs-de tout temps. On dit le métièr de la guerre, l’art de la guerre, la profession des armes.

      Ainsi la guerre a ses frais de main-d’œuvre; elle a sa matière première, qui sont ses munitions, des produits souvent très-perfectionnés de l’industrie; elle a ses travailleurs, qui sont les soldats; elle a son produit, qui est la conquête, l’incorporation d’une ville, d’une province, d’une nation, ou leur affranchissement. La guerre implique donc, avec l’effusion du sang, le sacrifice d’une certaine quantité de capitaux et de produits. En un mot elle a, comme toute industrie, son compte de recettes et de dépenses.

      Les expositions industrielles, qu’on pourrait définir des joutes pacifiques, coûtent fort cher: on se les permet cependant, dans l’intérêt de l’industrie elle-même et du progrès des nations. La guerre, qui est la lutte armée des nations, combattant soit pour leur indépendance, soit pour leur prépondérance, coûte bien davantage. On s’y résigne néanmoins, et, une fois l’héroïque résolution arrêtée, on ne songe plus qu’à la mener avec vigueur et rapidité, les pires des guerres étant les guerres prolongées avec des résultats indécis.

      Il suit de là que la guerre, ne se faisant pas pour elle-même, ne sacrifiant pas les hommes et les choses pour le plaisir de la destruction, mais pour la victoire, c’est-à-dire pour la conquête, ou, ce qui revient au même, pour la suprématie, la guerre, dis-je, a aussi son économie; elle est conservatrice, productrice même, de la même manière que le travail, qui, tout en consommant, conserve et reproduit. Toute destruction en dehors de ces règles est abusive, viole le droit. C’est barbarie pure, guerre de bête féroce.

      Une conséquence de ce principe, c’est que l’État qui entreprend la guerre, la nation qui la consent, le général qui la conduit, doivent avoir constamment en vue de proportionner leurs sacrifices à l’intérêt qu’ils veulent sauvegarder, à l’avantage qu’ils prétendent obtenir. Il serait contre le droit de la guerre, autant que contre le vulgaire bon sens, de dépenser à la guerre, en hommes et en argent, plus que ne vaut l’objet même de la guerre. Une telle opiniâtreté serait blâmable, et dégénérerait en férocité.

      Ceci posé, venons aux faits.

      On raconte que la police papale, ne sachant comment venir à bout des brigands qui infestaient les États de l’Église, prit le parti de détruire les forêts qui leur servaient de repaire. Le déboisement produisit un fléau pire que le brigandage, la malaria. Ne voilà-t-il pas une police bien faite? Et ceci ne montre-t-il pas toute l’incapacité du gouvernement ecclésiastique, d’un gouvernement à qui il n’est pas permis de tirer l’épée, même contre des brigands, sans doute par crainte de perdre leurs âmes?

      Mais voici qui est plus grave. Napoléon a accusé de vandalisme le gouverneur Rostopchin, qui, à l’approche des Français, mit le feu à la ville de Moscou; il l’a cité au ban des nations civilisées. On demande ce qu’il faut penser de cet acte, que les uns traitent, avec Napoléon, de barbare; que les autres qualifient d’héroïque.

      Détruire son propre pays, brûler ses magasins, afin de laisser son ennemi dans le vide, c’est d’abord ne faire tort qu’à soi-même. Nul ne peut être tenu de nourrir son ennemi, et chacun est juge du prix qu’il attache à son indépendance et à sa liberté.

      Mais, d’autre part, ce ne fut pas l’incendie de Moscou qui amena le désastre de l’armée française: les marches et les combats, depuis le Niémen, l’avaient réduite de plus des trois quarts, et, même après l’incendie de la ville, les vivres et munitions ne lui manquèrent pas. Le sacrifice accompli par Rostopchin fut donc en pure perte. D’autre part, il y avait à considérer si la Russie, même après avoir perdu sa capitale, pouvait se croire en péril; et Napoléon avait le droit de dire, en citant ses propres campagnes, que la prise de Vienne et celle de Berlin avaient certainement fait moins de mal à l’Autriche et à la Prusse que ne leur aurait coûté la destruction de ces deux villes.

      Voilà le pour et le contre. Que décidons-nous?

      Une infraction au droit de la guerre en amène une autre: abyssus abyssum invocat. La conduite de Rostopchin fut une réponse à celle de Napoléon. Laissant de côté la cause même de la guerre de Russie, que je ne discute point, j’observe que Napoléon, en franchissant le Niémen, avait compté sur deux choses:.la première, que le pays lui fournirait des ressources; la seconde, que les Russes accepteraient le duel en une ou deux batailles rangées, après lesquelles il ne leur resterait, vaincus, qu’à recevoir la loi du vainqueur. Or, ce calcul impliquait une double violation du droit de la guerre, non pas tel que Napoléon et ses adversaires le pratiquaient, mais tel que nous le révèle la notion de la guerre, et que nous cherchons à le déterminer.

      Pour vaincre la Russie en l’attaquant chez elle, c’est-à-dire, au besoin, pour la conquérir,

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