La guerre et la paix - Recherches sur le principe et la constitution du droit des gens. Pierre-Joseph Proudhon

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pensée de justice, ou, pour mieux dire, de judicature, est inhérente à la guerre. Elle consiste en ce qu’à certains moments du développement humanitaire, des nations jusqu’alors paisibles tendent, par la nécessité de leur situation, et pour une fin supérieure, à s’absorber; qu’en conséquence elles entrent en conflit; et que, l’incorporation devenue inévitable et l’heure ayant sonné, la suprématie appartient de droit à la puissance la plus forte. C’est le renversement de ce qui se passe dans l’ordre civil. Tandis que dans la justice ordinaire distribuée aux citoyens par l’État, la force appartient à la raison et doit rester à la loi, ici l’on peut dire, au rebours, que la raison, la loi, le droit, appartiennent et doivent rester à la force.

      Il suit de là que la lutte des puissances engagées, autrement dire la guerre, n’a pas directement pour fin leur destruction mutuelle, bien qu’elle ne puisse avoir lieu sans effusion de sang et sans consommation de richesse; elle a pour fin la subordination des forces, ou leur fusion, ou leur équilibre.

      D’où il suit encore que, dans cette espèce de duel judiciaire, le mode d’action doit être réglé de telle sorte que non-seulement les forces matérielles, mais aussi les forces morales de chaque puissance belligérante y interviennent, et qu’enfin la victoire reste à la plus forte, c’est-à-dire à celle qui l’emporte dans le plus grand nombre de parties, importance des armées, force physique, courage, génie, vertu, industrie, etc., et cela avec le moins de dommage possible des deux parts.

      Hors de ces principes, il n’y a plus guerre, au sens humain et juridique du mot: c’est un combat de bêtes féroces, pis que cela, un massacre de brigands. Je dirais presque, comme de Maistre, eu égard à l’horreur et à la profonde absurdité du fait, que c’est un mystère de la Providence qui s’accomplit.

      Examinant donc la tactique qui préside aux batailles modernes, pour ne parler que de celles-ci, j’observe qu’on n’y découvre pas ce caractère de haute moralité, de conservation, partant de certitude, qui seul rend la guerre loyale et la victoire légitime. Je trouve même que, sous ce rapport, nous avons fait depuis deux siècles des pas rétrogrades. On n’est pas moins brave sans doute, mais, par des causes que. j’expliquerai tout à l’heure, on se bat moins bravement; on fait plus de mal à l’ennemi, grâce à la violence des chocs et à la supériorité des armes, mais on s’en fait proportionnellement davantage à soi-même, ce qui rend la victoire louche. On tue plus de monde sans obtenir plus de succès. L’esprit démocratique, qui a pénétré les armées depuis la Révolution, semblait devoir être tout à l’avantage du soldat, et jamais on ne vit pareil mépris de la vie des hommes. En un mot, le matérialisme de la bataille s’est accru avec la civilisation, le contraire de ce qui aurait dû arriver.

      Ges reproches, que l’on est en droit d’adresser à la tactique moderne, constituent autant de violations du droit de la guerre. Peu de mots suffiront à me faire comprendre.

      D’abord, en ce qui concerne le choc des masses. Je ne veux pas discuter sur l’ordre profond et l’ordre mince, bien moins encore irai-je jusqu’à prétendre que la vraie manière de combattre serait que les soldats des deux armées s’attaquassent simultanément, corps à corps, homme à homme, virum vir; puis de compter de quel côté il y aurait le plus de morts et de blessés, dans ces cent ou deux cent mille duels. Je n’ignore pas que de toutes les batailles les plus sanglantes sont celles où chaque soldat choisit son ennemi. J’accorde donc que le groupement des forces, qui est une de nos puissances économiques, doit être compté aussi parmi les moyens légitimes de vaincre. Il y a d’ailleurs dans ce groupement, dans cette confraternité du champ de bataille, un élément moral qui rappelle la solidarité civique, l’unité de la patrie, et qui est certainement une force. Si le soldat français, par son instinct de concentration et d’unité, est plus disposé que tout autre à ce genre de tactique, si on le voit se rallier spontanément au milieu de la mêlée; se former en peloton, sans même attendre l’ordre de ses chefs, il faut le prendre tel que l’a fait la nature, qui a diversement constitué les animaux et les hommes, qui a donné le sabot au cheval, la corne au taureau, l’ongle et la dent au lion, la force musculaire et l’individualité à l’Anglo-Saxon, l’union dans le combat au Français.

      Cette concession faite, je dis qu’il y a pour toute nation, en cas de guerre, une manière de se servir de ses facultés et moyens, suivant que l’action guerrière est dirigée par une pensée de droit ou par une rage de destruction; de même qu’il y a des règles pour le combat singulier, selon qu’il s’agit d’une affaire d’honneur ou d’un cas de légitime défense contre un assassin. Comment donc se fait-il que dans les batailles ce principe de bon sens, de loyauté, d’humanité, soit presque entièrement méconnu? A force de prendre la destruction pour le but même de la guerre, on n’a plus vu dans les groupes armés, depuis le peloton jusqu’à la division, que des machines à broyer les hommes, des engins d’écrasement. M. Thiers, dans son Histoire du Consulat et de l’Empire, avoue, malgré son admiration pour l’empereur, que l’abus des masses et de l’artillerie avait en moins de quinze ans changé les batailles en d’épouvantables boucheries, où la vertu militaire ne comptait plus, et. sans que les résultats en fussent plus grands, ni surtout plus durables.

      L’art de ménager les soldats, tout en les faisant mouvoir par groupes, cet art dans lequel excellait Tu-renne, paraît se perdre. Jeter des masses, infanterie, cavalerie, artillerie, les unes sur les autres, faire des pâtées de chair humaine, arracher la victoire par l’épouvantement des hécatombes, ce fut dans les dernières années tout l’art de Napoléon. A faire mouvoir les armées, à les conduire à l’ennemi par le plus court. et le plus sûr chemin, et dans le moins de temps possible, à prendre position, son habileté reste hors ligne; elle semble croître avec l’âge et l’expérience. Arrivé sur le champ de bataille, il dédaigne la tactique, saisit ses masses et les lance sur l’ennemi, comme les géants de la fable lançaient sur les dieux des montagnes. Il a calculé la marche: s’il ne s’est pas trompé, l’ennemi doit être pris en flagrant délit et infailliblement broyé. A Waterloo il n’employa pas d’autre méthode, et fut vaincu: lorsque les Prussiens arrivèrent, le marteau s’était brisé sur l’enclume. Et voilà pourquoi sans doute, dans l’opinion de plusieurs critiques, Napoléon, incomparable comme stratège, ne figure plus comme tacticien qu’au second rang.

      C’est par le même procédé que fut enfin enlevé Séhastopol. Le général Canrobert n’ayant pas, dit-on, les nerfs assez fortement trempés, on avait fait venir pour cette grosse besogne le général Pélissier. A Magenta et à Solferino les choses se seraient passées, s’il faut en croire les relations, un peu autrement: l’initiative du soldat et la baïonnette auraient décidé la victoire. Dieu veuille que ce soit un retour à des combats plus héroïques! L’effet de ces chocs monstrueux, dont le secret se réduit à une formule de mécanique, la masse multipliée par la vitesse, est horrible. Là, le génie et la valeur n’ont rien à voir; celui qui joue le plus gros jeu a le plus de chances de vaincre. L’art de la guerre, qui, si tant est qu’un pareil art existe, de-. vrait consister surtout à déployer les courages, à conserver les forces tout en les engageant, à obtenir le plus en dépensant le moins, à contraindre l’ennemi sans l’anéantir, n’est plus qu’un abatis réciproque, où la matière joue seule un rôle, où l’esprit n’intervient que pour donner le signal, et dont l’horreur n’est égalée que par le mépris affecté des chefs pour la vie du soldat.

      Qu’on ne me demande pas quelle nouvelle, plus humaine, et surtout plus convaincante tactique, je voudrais introduire dans les batailles. Je ne suis pas plus obligé d’apprendre à nos maréchaux à faire la guerre, qu’à nos gens de lettres à faire de meilleure poésie ou de meilleurs drames. J’use de mon droit quand je soutiens contre les uns que leurs manœuvres sont opposées au droit de la guerre, contre les autres que leurs productions sont en dépit de l’art. Et je suis d’autant mieux fondé dans ma critique, que si le respect de la vie humaine a été dans tous les temps le moindre souci des gens

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