La guerre et la paix - Recherches sur le principe et la constitution du droit des gens. Pierre-Joseph Proudhon

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la dépravation des batailles. Mais, chose à noter, l’emploi de l’artillerie, après avoir suggéré l’idée de ces chocs écrasants, paraît tendre aujourd’hui, par le perfectionnement des armes, à rendre la rencontre des masses impossible. Un peu plus de portée, de rapidité et de précision dans le tir, il n’en faut pas davantage pour amener dans la tactique une nouvelle révolution, qui certes ne sera pas à l’honneur du soldat.

      Un autre inconvénient de l’artillerie est d’avoir, comme l’a remarqué Ancillon, rendu les guerres plus dispendieuses sans les rendre plus rares. La dépense de matériel à la guerre a été toujours en croissant depuis l’invention des armes à feu, par suite la dépense de courage toujours en diminuant: tel est le résultat auquel aboutit l’influence de l’industrie moderne sur l’art des tacticiens et les jugements de la force. Tout boulet de canon tiré coûte quinze francs; tout canon de bronze mis en place, six mille francs; un canon rayé, vingt-cinq mille francs. Un soldat d’infanterie, de quatre ans de service, équipé et armé, représente, en avances faites par la famille et par l’État, intérêts de ces avances, perte de travail, un capital moyen de vingt-cinq mille francs. Bientôt l’on ne dira plus: La victoire est aux gros bataillons; on dira: La victoire est aux grosses machines, aux gros capitaux.

      Le soldat romain ne coûtait quelque chose à l’État et ne devenait une cause de déficit pour sa famille que du jour où il entrait en campagne; la vie de caserne n’altérait pas ses mœurs laborieuses et ses vertus civiques. Son éducation militaire se faisait au sein même des travaux rustiques: c’était une tradition de famille autant qu’un enseignement de la cité. Quant à l’armement, Jes épées et les piques, passant des pères aux enfants, n’avaient besoin, à chaque génération comme à chaque campagne, que d’un repassage. En revanche, tandis qu’avec nos armes de jet la victoire et la vie du soldat dépendent surtout de l’avantage des positions, du nombre des pièces, du pointage des canonniers, de la précision des feux de bataillon, de la druesse des feux de file, elles dépendaient alors bien davantage de la bravoure des légionnaires. Le Romain, à chaque combat, joignait l’ennemi, combattait corps à corps, et, s’il avait affaire à des troupes aguerries, comptait ses triomphes par ses blessures.

      Le progrès des armes modernes, il faut l’avouer, est en sens contraire de la valeur antique. Un des résultats obtenus dans la dernière campagne par l’emploi des canons rayés a été, dit-on, de rendre la cavalerie et les réserves complétement inutiles. Les nouveaux projectiles allaient les chercher à des distances telles, qu’elles étaient paralysées ou détruites sur place avant d’avoir pu entrer en ligne et fournir une charge. Encore un progrès dans ce genre, et les masses d’infanterie se deviendront mutuellement inabordables. Une colonne d’attaque, lancée au pas de course, pouvant être détruite par une poignée d’hommes en moins de temps qu’il n’en faut pour franchir un intervalle de cent à cent cinquante pas, les soldats de la haute civilisation seraient réduits à s’exterminer de loin sans pouvoir jamais en venir aux mains. De quart d’heure en quart d’heure, on verrait un parlementaire, circulant entre les deux armées, porter un bulletin du général en chef au général en chef: «Ma perte est de tant d’hommes; quelle est la vôtre? Comptons... A vous, monsieur, l’avantage.» Quelle civilisation! Quel progrès! Comment croire encore à une justice de la guerre, à un droit de la force?

      Un autre genre de reproches est relatif à l’enrôlement, à l’organisation militaire, aux garanties du soldat, à la responsabilité des officiers, à la moralité du commandement,

      D’après les principes développés au livre II, la guerre étant une lutte de nation à nation dans un in térêt d’État, il s’ensuit, à priori, que tous les sujets de l’État, tous les membres de la cité, sans exception, doivent y prendre part. La jeunesse et tous les hommes qui n’ont pas atteint l’âge caduc forment l’armée, les vieillards, les enfants et les femmes sont employés aux ateliers, magasins, ambulances, travaillent aux fortifications et aux retranchements. La perte d’un œil, d’une jambe, d’un bras; la surdité, la myopie, le défaut de taille, les faiblesses de complexion, les fonctions d’un certain ordre, ne sont pas des causes suffisantes de libération du service. La Convention était dans le vrai sens de la loi de la guerre, lorsqu’elle décréta la levée en masse et déclara la patrie en danger. Aussi la République fut victorieuse. On ne triomphe pas d’une nation armée comme était alors la France. Maintenant il y a le tirage au sort, les conseils de révision, traînant à leur suite les exemptions de toute espèce et les remplacements. Comme image de la nation armée, on a conservé la garde nationale, tantôt organisée au grand complet, tantôt réduite à son minimum d’expression, selon l’esprit et les tendances des gouvernements, dans tous les cas ridicule par sa lourdeur et son inutilité.

      Les résultats de ce système sont connus. La guerre, abandonnée aux soins du gouvernement, n’intéressant la nation que d’une manière indirecte et à titre d’impôt, est devenue, pour les militaires gradés, fils de bourgeois la plupart, une carrière; pour les autres, ouvriers et paysans, une perte d’état. Sous prétexte d’assurer la défense nationale par la force de l’armée, on choisit dans la jeunesse travailleuse ce qu’il y a de plus beau, de plus fort et de meilleur pour en faire la matière première d’une armée, qu’on s’étudie ensuite à séparer du peuple; la race, continuellement écrémée, perd de sa taille et de sa vigueur, et la nation est atteinte dans sa souverainté même.

      Cette première infraction au droit de la guerre, identique sous ce rapport au droit politique, en amène une autre relative au choix des officiers et généraux.

      Dans la guerre, encore plus que dans la paix, l’homme revêtu d’un commandement doit être à la nomination des citoyens. C’est le moins que l’homme qui s’arme pour la défense de son pays choisisse son capitaine: ainsi firent les fédérés de 92, et personne n’a prétendu que leurs officiers, produit de l’élection, fussent moins braves, moins capables, et surtout moins amis de la liberté, que ceux qui plus tard formèrent la menue monnaie de l’empereur.

      On observe à ce propos que l’élection, appliquée à l’armée,- serait destructive de la subordination, sans laquelle une armée ne peut subsister; qu’ainsi le droit du citoyen-soldat allant contre le but même de la guerre qui est le déploiement de la force, il y a lieu de faire plier le droit politique devant la discipline militaire.

      Cette objection pourrait être vraie dans une monarchie où, l’armée étant distincte de la nation, la guerre laissée à la direction du prince, on voudrait conserver pour la nomination des officiers la forme républicaine. Il y aurait évidemment contradiction. La question alors serait de savoir si l’intérêt dynastique doit passer avant l’intérêt national, avant l’intérêt de la guerre elle-même, qui exige, comme l’industrie, pour le déploiement de la plus grande force, la plus grande liberté possible. Mais dans une république, dans un empire fondé sur le suffrage universel, où la nation garde le plein et entier exercice de sa souveraineté, où la guerre et la paix restent en définitive soumises à la décision du pays, l’exception n’est plus de mise. L’élection des officiers par les soldats, outre qu’elle découle du droit public de la nation, est le gage de la moralité du commandement, du civisme de l’armée, et par conséquent de sa force.

      Mais sortons des considérations politiques, qui ont bien ici leur importance, et occupons-nous seulement de la chose militaire.

      Par la solidarité du péril et la communauté de l’effort, une armée est une véritable association. La présence de l’ennemi met de niveau officiers et soldats; ceux qui ont fait la guerre en savent quelque chose. Là, si la discipline est respectée, c’est à la condition que le dévouement soit réciproque, la confiance du soldat dans ses chefs absolue. Là, plus de bon plaisir, plus de passe-droit, personne de sacrifié. Le bon plaisir, devant l’ennemi, le passe-droit, est trahison; le sacrifice d’un homme, d’un corps, hors des nécessités

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