La guerre et la paix - Recherches sur le principe et la constitution du droit des gens. Pierre-Joseph Proudhon

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La guerre et la paix - Recherches sur le principe et la constitution du droit des gens - Pierre-Joseph Proudhon

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qu’entretiennent l’élection et l’égalité civiques. Le grade devenu l’insigne de l’inégalité, la justice, âme de la guerre, remplacée par le commandement, un autre esprit tend à s’emparer de l’armée. C’est le monde de l’impératif, dans lequel le supérieur n’étant responsable que devant le supérieur, c’est-à-dire en réalité devant personne, l’inférieur se trouve inévitablement et indignement sacrifié. Le soldat, dans la main du général, n’est plus en effet, comme le paysan dans son village, une âme; c’est une arme de jet, une machine à tuer, de la matière, enfin, comme les canons et les munitions, un produit de l’industrie militaire, que l’on ménage parce qu’il coûte, du reste aussi vil que ses cartouches et son fusil.

      De là ces maximes judaïques, sujettes à de si monstrueuses applications, qu’à la guerre il est permis de sacrifier la partie pour sauver le tout, comme disait Caïphe: expedit unum hominem pro populo mori; d’exposer à une destruction certaine des régiments, des corps entiers, pour faire réussir une combinaison, pour étonner l’ennemi, quelquefois par crânerie; d’abandonner, dans les retraites, blessés, malades, traînards et arrière-garde. De là ce principe atroce, préconisé par certains écrivains et diamétralement opposé à la loi de la guerre, que le soldat, dans une situation désespérée, doit se faire massacrer plutôt que de se rendre, parce que, si faible que soit sa défense, sa mort coûtera toujours quelque chose à l’ennemi. De là, enfin, ce système d’entraînement qui, à défaut de patriotisme, entretient le courage du soldat, et fait de lui, non plus le défenseur de son pays, mais le séide d’un ambitieux.

      Tel est l’esprit dans lequel les républicains ont accusé, non sans amertume, Napoléon Ier d’avoir formé ses officiers et façonné ses armées. Ainsi, disent-ils, on le vit à Austerlitz, afin de déterminer le mouvement des alliés sur sa droite et de les faire tomber dans le piège, laisser écraser toute une aile de son armée, tandis qu’il avait sous la main 40,000 hommes qui ne prirent aucune part à l’action; à la Moskowa, refuser sa garde, malgré les cris des soldats, ce qui rendit la victoire et plus sanglante et moins fructueuse; au passage de la Bérésina, forcé de quitter tout et de sauver sa personne, parce que de la con servation de sa personne dépendait le salut de l’empire. Déjà on l’avait vu, dans la campagne de Marengo, plus empressé d’assurer sa propre gloire que de voler au secours de Masséna, dont les soldats sacrifiés en conservèrent un long ressentiment. Ainsi encore, usant du pouvoir souverain qui de la nation avait passé au premier magistrat, il choisit pour l’inutile et impolitique expédition de Saint-Domingue 35,000 soldats républicains dont l’esprit n’était plus en harmonie avec les principes qui avaient prévalu depuis le 18 brumaire, et pouvait exercer une influence fâcheuse sur l’armée.

      J’admets cette critiqué : j’observe seulement, à la décharge de Napoléon, que le reproche tombe bien moins sur lui que sur ses idées qui étaient celles de son temps.

      Si, dans ces diverses circonstances, Napoléon avait agi, comme aucuns le supposent, par un machiavélisme calculé, je ne relèverais pas des actes justiciables seulement de la conscience de l’historien. Je considérerais le fondateur de la dynastie des Bonaparte comme un grand coupable et m’abstiendrais d’en parler. Mais ce n’est pas ainsi que les abus s’introduisent dans les gouvernements, et par suite dans les opérations de la guerre et la discipline des armées. Remontez la chaîne des causes, et, quand vous vous imaginez n’avoir devant vous que les fautes d’un homme, vous arrivez à un courant d’opinion, à un essor des énergies nationales qui, selon l’idée qui le dirige, tantôt porte aux nues le chef de l’État, chef en même temps de l’armée, tantôt fait de lui sa première victime. Or, qui ne voit ici que le premier consul, plus tard l’empereur, obéissait à une double influence dont il n’était pas le maître: d’un côté, la réaction du principe d’autorité après la longue agitation révolutionnaire; de l’autre l’idée fausse qu’on se faisait de la guerre, et qui faisait supposer que la victoire était d’autant plus glorieuse, qu’elle avait été remportée avec moins de monde sur une puissante coalition?

      En vain la routine prétendrait-elle que la nécessité le veut ainsi; qu’il n’y a pas d’autre manière de faire la guerre; que cette courtoisie chevaleresque que nous réclamons au nom du droit même de la guerre est bonne pour les romans; que le premier devoir du soldat est le sacrifice; qu’après tout on ne se bat pas pour la gloire, mais pour des intérêts, et qu’il est de la nature des intérêts, lorsqu’ils entrent en lutte, de fouler aux pieds toute moralité et tout idéal.

      Je répondrai toujours que cette prétendue nécessité n’est pas réelle; que les lois de la guerre ne sont pas plus difficiles à suivre que celles du duel; quant aux intérêts, que la raison et la justice nous ont été données précisément afin d’établir entre eux l’équilibre, et que la première condition de cet équilibre est le droit de la force. Ah! de grâce, gardons-nous d’introduire l’utilitarisme dans la guerre, pas plus que dans la morale. La guerre n’a pour elle que sa conscience, son droit, sa bonne renommée; et vous voyez ce que déjà ; par l’effet de fausses notions, elle tend à devenir. Que sera-ce si, dans le cœur des soldats et des généraux, à la place de ce sentiment exalté d’honneur qui les anime, vous mettez l’intérêt?

      Que si, malgré ces considérations irréfutables, on prétendait persister, par paresse d’esprit, manque de cœur ou perversité d’intention, dans un honteux système, alors je dirais qu’il ne faut plus parler ni de droit de la guerre, ni de droit international, ni de droit politique. Plus de liberté, plus de patrie: l’empire du monde est aux plus scélérats. Quant aux honnêtes gens, mieux vaut pour eux accepter tout ce qui se présente, au dedans l’usurpation, de quelque part qu’elle vienne, au dehors l’insulte et l’amoindrissement, que d’engager des luttes auxquelles il serait impossible de prendre part sans cesser d’être homme. L’ennemi approché : Aux armes, citoyens; formez vos bataillons contre l’étranger! — Eh! Sire, défendez-vous tout seul. Quant à nous, que vous daignez appeler en ce moment citoyens, qu’avons-nous à perdre à changer de maître? Et que pourrait-il nous arriver de pis que d’être soldats?

       Table des matières

      QUESTIONS DIVERSES:

      1. Le droit des gens est-il dépourvu de sanction? — 2. Déclarations de guerre. — 3. Jusqu’où il est permis de pousser la résistance. — 4. De l’interruption du commerce. — 5. Si les sujets des puissances ennemies sont ennemis. — 6. Des alliances.

      La critique des opérations militaires n’épuise pas tout ce que nous aurions à dire à propos des formes de la guerre. 11 est encore une foule de questions, résultant du fait de guerre, que la jurisprudence des auteurs a, si j’ose ainsi dire, sabrées, et qui toutes doivent se résoudre d’après les mêmes principes et de la même manière. Nous y consacrerons quelques pages.

      «Le droit des gens, dit un écrivain contemporain,

       «est de création toute moderne.»

      Ce que nous avons dit de la guerre, tant dans ce livre que dans le précédent, montre dans quelle mesure et en quel sens cette proposition avantageuse doit être prise. En fait, les anciens eurent l’intelligence du droit des gens, nous voulons dire ici du droit de la guerre, à un degré fort supérieur aux modernes; et la raison, nous l’avons dite, c’est que les anciens prenaient au sérieux le droit de la force. Mais, bien que les anciens eussent du droit des gens une idée plus juste que la nôtre, ils ne paraissent pas en avoir laissé de théorie, et c’est seulement depuis environ deux siècles que les modernes ont essayé de suppléer à ce silence.

      Les

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