La Pensée de l'Humanité. Tolstoy Leo
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Tous les hommes ne désirent, qu'une seule chose, c'est de bien vivre. C'est pourquoi, depuis les temps les plus anciens, partout et toujours, les sages et les saints ont pensé et appris aux hommes comment il fallait vivre pour être heureux. Et à toutes les époques et dans tous les pays, les sages et les saints ont enseigné aux hommes la même doctrine.
Cette doctrine est brève et simple:
Tous les hommes vivent par le même esprit, mais sont séparés, dans cette vie, par leurs corps; s'ils en sont convaincus, ils doivent s'unir les uns aux autres par l'amour. S'ils ne le comprennent pas et s'imaginent qu'ils vivent uniquement par leurs corps, ils se querellent entre eux et sont malheureux.
Toute la doctrine est dans la recommandation de faire ce qui unit les hommes et de ne pas faire ce qui les désunit. Il est facile d'avoir foi en cette doctrine parce qu'elle demeure dans le cœur de chaque homme.
L'homme aime aussi naturellement que l'eau descend la pente.
Proverbe oriental.
Pour que l'abeille vive selon sa nature, elle doit voler, le serpent ramper, le poisson nager, l'homme aimer. Par conséquent, si l'homme fait du mal à son prochain au lieu de lui faire du bien, cela paraît aussi étrange que si le poisson se mettait à voler et l'oiseau à nager.
Le cheval, par sa course rapide, fuit l'ennemi. Il est malheureux non pas lorsqu'il ne peut pas crier comme un coq, mais lorsqu'il perd ce qui lui est acquis: la faculté de courir.
Le sens le plus précieux pour le chien est son flair. Il est malheureux lorsqu'il le perd, et non lorsqu'il voit qu'il ne peut pas voler.
De même l'homme est malheureux, non quand il est impuissant à maîtriser un ours, un lion, ou de mauvaises gens, mais quand il perd ce qu'il a de plus cher: sa nature spirituelle, sa faculté d'aimer.
On n'a pas à regretter quand on meurt, quand on a perdu son argent, sa propriété, sa maison – tout cela n'appartient pas à l'homme. On doit regretter quand l'homme perd son bien réel, son plus grand bonheur: la faculté d'aimer.
On demanda à un philosophe chinois: qu'est-ce que la science? Il répondit: C'est connaître les hommes.
On lui demanda: Qu'est-ce que la vertu? Il répondit: C'est aimer les hommes.
Un philosophe hindou disait: «De même qu'une mère soigne son unique enfant, le dorlote, le garde et l'élève, l'homme doit élever et garder en soi ce qu'il a de plus cher au monde: l'amour pour tout ce qui vit. Toutes les religions nous l'enseignent: celle des Bramines, des Bouddhistes, des Hébreux, des Chinois, des Chrétiens, des Mahométans. C'est pourquoi, la chose la plus nécessaire au monde est d'apprendre à aimer.»
Les Chinois ont eu leurs philosophes tels que Confucius, Lao-Tseu et un autre sage, peu connu, du nom de Mi-Ti.
Mi-Ti enseignait qu'il ne fallait pas inculquer aux hommes le respect de la force, de la richesse, de la bravoure, mais de l'amour seul. Il disait: On élève les hommes de façon à ce qu'ils considèrent que la richesse et la gloire sont au-dessus de tout et ils ne songent qu'à gagner le plus possible de gloire et de richesses; il faut les élever de façon à ce qu'ils placent l'amour au-dessus de tout et que, dans la vie quotidienne, ils s'habituent à aimer les hommes et à consacrer toutes les forces à apprendre à aimer.
Mi-Ti n'a pas été écouté. Mendzé, un élève de Confucius, contredit Mi-Ti, en assurant qu'on ne saurait vivre uniquement d'amour. Et les Chinois suivirent Mendzé. 500 ans s'écoulèrent ainsi, lorsque Jésus vint enseigner aux hommes ce qu'avait déjà dit Mi-Ti, mais avec plus de force et de clarté. Bien que personne ne conteste cette doctrine d'amour, les disciples du Christ ne suivent toujours pas son enseignement. Mais le moment viendra – et il est proche – où les hommes ne pourront pas faire autrement que de suivre cette doctrine, parce que son germe se trouve dans tous les cœurs, alors que la non observation de ses préceptes rendra les gens de plus en plus malheureux.
Tu veux du bien, tu auras ce que tu désires, à condition que tu veuilles le bien qui est bon pour tous. Ce bonheur ne se gagne que par l'amour.
«Celui qui veut conserver sa vie, la perdra, et celui qui donne sa vie pour le bien, la conservera. L'homme n'a pas de profit à gagner le monde entier s'il fait du tort à son âme.» Ainsi parlait Jésus. De même parlait le païen Marc-Aurèle: «Âme, quand donc seras-tu le chef du corps? Quand te débarrasseras-tu des désirs et des peines charnelles, et pourras-tu te passer des services de ce que les hommes te servent de leur vie ou de leur mort! Quand comprendras-tu que le vrai bonheur est toujours en ton pouvoir et qu'il est l'amour pour tous les hommes?»
Celui qui dit qu'il est dans la lumière et qui hait son frère, est encore à présent dans les ténèbres. Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et ne craint nulle tentation. Mais celui qui hait son frère est dans les ténèbres, marche dans les ténèbres et ne sait où il va, parce que les ténèbres ont aveuglé ses yeux… Aimons, non par la parole et la langue, mais par les actes et la vérité. C'est à cela que nous reconnaissons la vérité et que nous tranquillisons nos cœurs.
Je ne sais pas lequel des chefs des religions a raison, et je ne puis le savoir d'une façon certaine; mais je sais pertinemment que le mieux que je puis faire, c'est de développer l'amour en moi; de cela je ne puis en douter. Je ne puis en douter parce qu'en se développant, mon amour augmente mon bonheur.
Nous savons trouver tout; il n'y a que nous-mêmes que nous ne sachions pas trouver. Chose étrange! L'homme vit sur la terre pendant de nombreuses années sans remarquer à quel moment il éprouve le plus de satisfaction. S'il s'en apercevait, il verrait clairement en quoi consiste son vrai bonheur; il saurait qu'il ne se sent à son aise que lorsqu'il a l'amour dans l'âme. C'est que nous ne méditons pas assez pour nous en apercevoir. Nous avons perverti notre raison et ne cherchons plus à connaître ce qui seul nous est nécessaire.
Si nous nous étions arrêtés un seul instant au milieu du tourbillon de la vie qui nous emporte, si nous étions rentrés en nous-mêmes, nous aurions compris où est notre bonheur.
Notre corps est faible, impur, mortel; mais il recèle un trésor divin: l'esprit immortel. Il nous suffirait d'avoir conscience de cet esprit intérieur pour nous mettre à aimer les hommes, et, en les aimant, nous aurons tout ce que notre cœur désire: le bonheur.
Nous n'obtenons le bonheur corporel, tous les plaisirs, qu'au détriment des autres hommes. Par contre, nous n'augmentons le bien spirituel, le bien de l'amour qu'en augmentant le bonheur d'autrui.
Tous nos perfectionnements de la vie matérielle: les chemins de fer, le télégraphe, les machines peuvent servir à l'union des hommes et à les rapprocher du royaume de Dieu. Mais le malheur est que les hommes se passionnent pour ces perfectionnements et s'imaginent que s'ils construisent beaucoup de ces engins, ils peuvent se rapprocher de Dieu. C'est une aussi grosse erreur que si l'homme avait toujours