Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 3. Bastiat Frédéric
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Il n'est pas une des mesures, une des paroles de Sir Robert Peel qui ne satisfasse aux conditions prochaines ou éloignées de ce programme. On va en juger.
Le pivot autour duquel s'accomplissent toutes les évolutions financières et économiques dont il nous reste à parler, c'est l'income-tax.
L'income-tax, on le sait, est un subside prélevé sur les revenus de toute nature. Cet impôt est essentiellement temporaire et patriotique. On n'y a recours que dans les circonstances les plus graves, et jusqu'ici, en cas de guerre. Sir Robert Peel l'obtint du parlement en 1842, et pour trois ans; il vient d'être prorogé jusqu'en 1849. C'est la première fois qu'au lieu de servir à des fins de destruction et à infliger à l'humanité les maux de la guerre, il sera devenu l'instrument de ces utiles réformes que cherchent à réaliser les nations qui veulent mettre à profit les bienfaits de la paix.
Il est bon de faire observer ici que tous les revenus au-dessous de 150 liv. sterl. (3,700 fr.) sont affranchis de la taxe, en sorte qu'elle frappe exclusivement la classe riche. On a beaucoup répété, de ce côté comme de l'autre côté du détroit, que l'income-tax était définitivement inscrit dans le Code financier de l'Angleterre. Mais quiconque connaît la nature de cet impôt et le mode d'après lequel il est perçu, sait bien qu'il ne saurait être établi d'une manière permanente, du moins dans sa constitution actuelle; et, si le cabinet entretient à cet égard quelque arrière-pensée, il est permis de croire qu'en habituant les classes aisées à contribuer dans une plus forte proportion aux charges publiques, il songe à mettre l'impôt foncier (land-tax), dans la Grande-Bretagne, plus en harmonie avec les besoins de l'État et les exigences d'une équitable justice distributive.
Quoi qu'il en soit, le premier objet que le ministère Tory avait en vue, le rétablissement de l'équilibre dans les finances, fut atteint, grâce aux ressources de l'income-tax; et le déficit qui menaçait le crédit de l'Angleterre a, du moins provisoirement, disparu.
Un excédant de recettes était même prévu dès 1842. Il s'agissait de l'appliquer à la seconde et à la troisième condition du programme: Soulager les consommateurs; raviver le commerce et l'industrie.
Ici nous entrons dans la longue série des réformes douanières exécutées en 1842, 1843, 1844 et 1845. Notre intention ne peut être de les exposer en détail; nous devons nous borner à faire connaître l'esprit dans lequel elles ont été conçues.
Toutes les prohibitions ont été abolies. Les bœufs, les veaux, les moutons, la viande fraîche et salée, qui étaient repoussés d'une manière absolue, furent admis à des droits modérés: les bœufs, par exemple, à 25 fr. par tête (le droit est presque double en France), ce qui n'a pas empêché M. Gauthier de Rumilly de dire en pleine Chambre, en 1845, sans être contredit par personne, tant les journaux ont eu soin de nous tenir dans l'ignorance sur ce qui se passe de l'autre côté de la Manche, que les bestiaux sont encore prohibés en Angleterre.
Les droits furent abaissés dans une très-forte proportion, et quelquefois de moitié, des deux tiers et des trois quarts sur 650 articles de consommation: entre autres les farines, l'huile, le cuir, le riz, le café, le suif, la bière, etc., etc.
Ces droits, d'abord abaissés, ont été complétement abolis en 1845 sur 430 articles, parmi lesquels figurent toutes les matières premières de quelque importance, la laine, le coton, le lin, le vinaigre, etc., etc.
Les droits d'exportation furent aussi radicalement abrogés. Les machines et la houille, ces deux puissances dont, dans des idées étroites de rivalité commerciale, il serait peut-être assez naturel que l'Angleterre se montrât jalouse, sont en ce moment à la disposition de l'Europe. Nous en pourrions jouir aux mêmes prix que les Anglais, si, par une bizarrerie étrange, mais parfaitement conséquente au principe du système protecteur, nous ne nous étions placés nous-mêmes, par nos tarifs, dans des conditions d'infériorité à l'égard de ces instruments essentiels de travail, au moment même où l'égalité nous était offerte ou pour mieux dire conférée sans condition.
On conçoit que l'abrogation totale d'un droit d'entrée doit laisser un vide définitif; et l'abaissement, un vide au moins momentané dans le Trésor. C'est ce vide que les excédants de recette dus à l'income-tax sont destinés à couvrir.
Cependant l'income-tax n'a qu'une durée limitée. Le cabinet Tory a espéré que l'accroissement de la consommation, l'essor du commerce et de l'industrie réagirait sur toutes les branches de revenus de manière à ce que l'équilibre des finances fût rétabli en 1849, sans que la ressource de l'income-tax fût plus longtemps nécessaire. Autant qu'on en peut juger par les résultats de la réforme partielle de 1842, ces espérances ne seront pas trompées. Déjà les recettes générales de 1844 ont dépassé celles de 1843 de liv. sterl. 1,410,726 (35 millions de francs).
D'un autre côté, tous les faits concordent à témoigner que l'activité a repris dans toutes les branches du travail, et que le bien-être s'est répandu dans toutes les classes de la société. Les prisons et les workhouses se sont dépeuplées; la taxe des pauvres a baissé; l'accise a fructifié; le Rébeccaïsme et l'Incendiarisme se sont apaisés; en un mot, le retour de la prospérité se montre par tous les signes qui servent à la révéler, et entre autres par les recettes des douanes.
Maintenant si l'on considère que, pendant cette dernière année, les marchandises qui ont passé par la douane n'ont rien payé à la sortie (abrogation des droits d'exportation), et n'ont acquitté à l'entrée que des taxes réduites, au moins pour 650 articles (abaissement des droits d'importation), on en conclura rigoureusement que la masse des produits importés a dû augmenter dans une proportion énorme pour que la recette totale, non-seulement n'ait pas diminué, mais encore se soit élevée de cent millions de francs.
Il est vrai que, d'après les économistes de la presse et de la tribune françaises, cet accroissement d'importations ne prouve autre chose que la décadence de l'industrie de la Grande-Bretagne, l'invasion, l'inondation de ses marchés par les produits étrangers, et la stagnation de son travail national! Nous laisserons ces messieurs concilier, s'ils le peuvent, cette conclusion avec tous les autres signes par lesquels se manifeste la renaissante prospérité de l'Angleterre; et, pour nous, qui croyons que les produits s'échangent contre des produits, satisfaits de trouver, dans l'accord des faits qui précèdent, une preuve nouvelle et éclatante de la vérité de cette doctrine, nous dirons que Sir Robert Peel a rempli la seconde et la troisième condition de son programme: Soulager le consommateur; raviver le commerce et l'industrie.
Mais ce n'était pas pour cela que les Torys l'avaient porté, le soutenaient au pouvoir. Encore tout émus de la frayeur que leur avait causée le plan bien autrement radical de John Russell, et de l'orgueil de leur récent triomphe sur les Whigs, ils n'étaient pas disposés à perdre le fruit de leur victoire, et ils entendaient bien ne laisser agir l'homme de leur choix, dans l'accomplissement de son œuvre, qu'autant qu'il ne toucherait pas ou qu'il ne toucherait que d'une manière illusoire aux deux grands instruments de rapine que s'est législativement attribués l'aristocratie anglaise: La loi-céréale et le système colonial.
C'est surtout dans cette difficile partie de sa