Les amours d'une empoisonneuse. Emile Gaboriau

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Les amours d'une empoisonneuse - Emile Gaboriau страница 11

Les amours d'une empoisonneuse - Emile Gaboriau

Скачать книгу

mettre en prison à une heure aussi avancée de la nuit.

      M. de Baisemeaux de Montlezun, gouverneur de la forteresse royale, ne se dérangeait que pour des prisonniers d'importance.

      On fit descendre Sainte-Croix, que les agents conduisirent au greffe; Desgrais exhiba sa lettre de cachet;

      – Peuh! fit le lieutenant en la parcourant du regard, un simple capitaine au régiment de Tracy! prisonnier de quatrième catégorie! Sa Majesté y met du sien; nous regorgeons de ces espèces.

      – Que voulez-vous, monsieur le lieutenant! dit Desgrais, on arrête ce qu'on peut.

      Le lieutenant prit une plume en rechignant et écrivit sur le livre d'écrou:

      «Ce jourd'hui 25 novembre 1665, à minuit, le sieur Guadin de Sainte-Croix est entré à la Bastille par ordre du roi et à la requête du sieur Dreux d'Aubray, lieutenant civil. Le sieur Sainte-Croix avait sur lui…»

      – Combien avez-vous sur vous? demanda le lieutenant au prisonnier.

      – Il y a deux heures, répondit Sainte-Croix, j'avais quelques milliers de pistoles; pour le présent, voici ce qui me reste.

      Et il déposa sur la table une douzaine de louis.

      – Avez-vous des bijoux? poursuivit le lieutenant.

      – Ces deux bagues et cette montre.

      – Donnez.

      – Puis le lieutenant continua de libeller la formule ordinaire:

      «… Le sieur Guadin de Sainte-Croix, n'ayant d'autres effets sur lui, a signé sa dite entrée jour, mois et an que dessus.»

      Pendant que Sainte-Croix signait, le lieutenant se disait à lui-même:

      – Où diable vais-je mettre cet importun? toutes nos chambres sont occupées, et je ne puis décemment donner à un petit officier de fortune un des appartements réservés aux prisonniers de première classe.

      Il appela alors un guichetier et lui demanda à voix basse:

      – Qu'avons-nous de libre en ce moment pour ce nouvel hôte?

      – Rien, monsieur, répondit le guichetier.

      – Alors, mettez-moi celui-ci avec un autre prisonnier: la société lui fera plaisir.

      Le guichetier ordonna à Sainte-Croix de le suivre, et, après de nombreux détours à travers des escaliers ténébreux et des corridors froids et humides, il ouvrit une porte dont le bois disparaissait entièrement sous un arsenal de verrous.

      Sainte-Croix fut poussé par lui à l'intérieur, puis les verrous grincèrent et la porte se referma.

      Un instant, il demeura immobile sur le seuil; il écoutait avec une anxiété affreuse les pas lourds du guichetier qui se perdaient dans l'éloignement.

      Il était comme étourdi sous le coup qui venait de l'atteindre, et une inexprimable angoisse lui serrait le cœur.

      Quel sort l'attendait? Quel serait le terme de sa captivité? Était-il destiné à voir ses cheveux blanchir dans cette forteresse de la tyrannie? Entré jeune homme, n'en sortirait-il pas vieillard, et même en sortirait-il jamais? Comme aux portes de l'enfer de Dante, aux portes de la Bastille, les infortunés qui entraient devaient laisser toute espérance.

      Lorsque tout bruit eut cessé, lorsque Sainte-Croix put se croire seul et pour jamais peut-être séparé du reste des vivant, il songea à explorer sa prison.

      Pour se guider, il n'avait d'autre lueur que celle d'un pâle rayon de lune qui faisait sa trouée à travers une fenêtre étroite, percée à six pieds du sol et ornée d'un appareil formidable de grilles et de verrous.

      Toute la lumière tombait en plein sur une mauvaise couche placée en un coin et laissait dans l'obscurité la plus complète tout le reste du cachot.

      Sainte-Croix se dirigea vers ce grabat, en chancelant comme un homme pris de vin, et s'y laissa tomber avec une explosion de désespoir qui se traduisit en cris et en sanglots.

      Par un de ces retours soudains qui suivent presque toujours les grandes catastrophes, il revoyait en un instant, comme dans un miroir fidèle, toute sa vie passée.

      Tous les souvenirs heureux de son existence se présentaient en foule à sa mémoire et lui faisaient plus rudement sentir son malheur présent.

      Il cherchait à se rappeler les moindres détails de cette soirée qu'il venait de passer près de la marquise, il croyait entendre encore à son oreille cette voix argentine, murmurant des paroles d'amour. N'était-ce pas de longues années de bonheur qu'il venait de perdre!

      Avec tous ces souvenirs, sa colère montait terrible, effrayante; il s'était rué sur le lit comme une bête fauve, en poussant de ces rugissements qui semblent n'appartenir à aucune poitrine humaine, – note suprême de la fureur à cet instant où il faut que le cœur éclate ou se brise.

      Il maudissait ces hommes qui, pour le plonger vivant dans une tombe, l'étaient venus arracher à sa vie libre et joyeuse: il blasphémait Dieu qui voyait et souffrait de tels crimes; enfin, il appela à son aide une puissance quelle qu'elle fût, offrant son âme et sa vie en échange d'un jour, d'une heure de liberté et de vengeance.

      – Je t'attends et j'accepte, dit une voix étrange, tout près du prisonnier.

      Pâle, l'œil hagard, les cheveux hérissés de terreur, le chevalier se dressa sur son lit.

      Dans le cercle lumineux dessiné par la fenêtre, un homme, vêtu d'un pourpoint noir en lambeaux, était debout.

      Lentement, par un acheminement presque insensible, il s'approchait du grabat. Il était hâve et maigre; ses cheveux longs retombaient sur ses épaules; sa barbe inculte se hérissait autour de ses pommettes saillantes, une lueur phosphorescente brûlait sous ses épais sourcils, et la lumière bleuâtre de la lune faisait comme une auréole autour de son front ravagé.

      A cette apparition étrange le chevalier se signa instinctivement.

      Les bûchers des derniers sorciers juridiquement brûlés pour avoir évoqué le malin, fumaient encore à cette époque; le nom de certains d'entre eux se lisait incrusté dans les murs de plus d'un cachot de la Bastille; on croyait au diable, et le chevalier n'était pas éloigné de penser qu'il se trouvait en présence de l'esprit des ténèbres.

      Homme ou fantôme, l'apparition avançait toujours, et Sainte-Croix sentait une sueur froide pointer à la racine de ses cheveux et ses dents claquaient de terreur.

      Machinalement sa main cherchait son épée à sa place habituelle, mais on lui avait enlevé son épée.

      Enfin, il comprit que l'être étrange allait le toucher.

      – Maudit, que me veux-tu? demanda-t-il d'une voix étranglée par la peur.

      – N'as-tu pas, dit l'apparition, n'as-tu pas demandé le secours d'une puissance quelle qu'elle fût? Tu as appelé, me voici.

      – Qui donc es-tu!

      – Pour toi, jeune homme, si tu le veux, je serai la vengeance.

      – Certes,

Скачать книгу