Les amours d'une empoisonneuse. Emile Gaboriau

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Les amours d'une empoisonneuse - Emile Gaboriau

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doute le marquis eût continué longtemps, entraîné par ses souvenirs, si le lieutenant civil ne l'eût brusquement interrompu.

      – Eh bien! lui demanda-t-il, êtes-vous enfin convaincu?

      – De quoi?

      – Mais… des infidélités de votre femme.

      – Moi! pas le moins du monde. Ma femme est très pieuse; qui vous dit qu'une bonne œuvre ne l'a pas amenée dans cette maison?

      Elle est passablement crédule; ne peut-elle venir consulter une sorcière? Les sorcières sont fort de mode en ce moment, elles ont remplacé les robes volantes à la Montespan.

      Enfin, rien ne me dit que le chevalier de Sainte-Croix soit dans la maison.

      – C'est ce que nous allons savoir, dit le plus jeune des MM. d'Aubray, et il siffla d'une façon particulière.

      Aussitôt, à trois pas d'eux, du côté opposé à l'entrée du cabaret, un homme se détacha de la muraille, contre laquelle il était si bien collé, que jusque-là personne ne l'avait aperçu.

      – Desgrais, lui demanda à voix basse le lieutenant civil, M. de Sainte-Croix est-il arrivé?

      – Pas encore, monsieur, répondit l'homme, mais il ne saurait tarder, son valet La Chaussée l'étant allé quérir tout à l'heure chez La Vienne, où il soupait. Mais écoutez, il me semble…

      On entendait en effet, à l'extrémité de la rue, le pas d'un cavalier.

      – C'est lui, dit Desgrais avec ce flair que la police d'alors a précieusement légué à celle d'aujourd'hui. Ne bougeons pas: à la place où nous sommes, le chevalier ne saurait nous apercevoir.

      Le groupe demeura immobile, se confondant si bien, grâce à la brume, avec les objets environnants, que le chevalier de Sainte-Croix, – car c'était bien réellement lui, – ne soupçonna même pas leur présence.

      Il entra dans le cabaret, suivi de son laquais, dit quelques mots à l'hôte et disparut par l'escalier que, dix minutes auparavant, avait gravi la marquise, tandis que La Chaussée s'attablait devant un flacon assez grand pour lui faire prendre longtemps patience.

      Pour la troisième fois, depuis le commencement de la soirée, le lieutenant civil s'adressa au marquis avec l'accent d'un juge:

      – Eh bien, monsieur, êtes-vous enfin convaincu?

      – J'avoue, répondit le marquis, que, pour un mari jaloux, il y aurait peut-être certains soupçons à concevoir.

      – Eh! que comptez-vous faire, monsieur le marquis de Brinvilliers?

      – Vous me voyez fort embarrassé. Entre gentilshommes, ces différends se vident ordinairement sur le pré…

      – Y pensez-vous, marquis? On ne se bat pas avec un larron d'honneur.

      – Alors, monsieur, avisez-y vous-même, je sais bien que d'aucuns maris usent, en cette circonstance, d'une lettre de cachet; mais outre que ce moyen me répugne, je vous avoue que je n'en ai pas sur moi.

      – J'en ai une, moi, monsieur, et l'homme que vous voyez là a été mis à ma disposition pour faire exécuter l'ordre que moi-même j'ai sollicité de Sa Majesté.

      – Quoi! vous voulez…

      Pour toute réponse, le lieutenant de police se retourna vers Desgrais:

      – Toutes vos mesures sont-elles prises? lui demanda-t-il.

      – Soyez sans crainte, monsieur, répondit l'agent; le chevalier de Sainte-Croix ne mettra pas nos limiers en défaut; bien que débutant dans la carrière, j'ai tout préparé et tout prévu, et ce m'est un si grand honneur que de travailler pour votre famille, que je regarderais comme une honte si, avant deux heures, l'homme que vous m'avez désigné n'était pas entre quatre murailles sous les verrous de la Bastille.

      – Qu'attendons-nous alors?

      – Un carrosse que l'un de mes sergents est allé chercher.

      – Le pauvre chevalier sera très sensible à cette attention, s'écria le marquis; mais ma présence ici est-elle bien nécessaire?

      – Comment! monsieur, vous voulez nous quitter? dit le lieutenant civil.

      – Entre nous, le spectacle d'une arrestation m'a toujours été très pénible.

      Le sort du chevalier m'afflige plus que vous ne sauriez croire, et, bien qu'il ait eu des torts envers moi, à ce que vous prétendez, du moins, s'il faisait tout à l'heure appel à notre ancienne amitié, je crois, Dieu me pardonne, que je mettrais l'épée à la main pour charger ces coquins et l'en débarrasser.

      – Adieu donc, monsieur, c'est moi qui vengerai votre injure.

      M. de Brinvilliers fit deux pas et, se ravisant:

      – Surtout, cria-t-il à son beau-père, dites bien au chevalier que je ne suis pour rien dans cette sotte affaire.

      III

      L'HÔTELLERIE DU MORE-QUI-TROMPE

      Le marquis de Brinvilliers n'avait rien dit que de vrai lorsqu'il avait parlé de la somptuosité des appartements qui composaient le premier étage de l'hôtellerie du More-qui-Trompe.

      Maître Hugonnet, en homme qui connaît les besoins de son époque, s'était appliqué à réunir en cette partie de son logis toutes les superfluités du luxe le plus raffiné, et s'il continuait à tenir au rez-de-chaussée un cabaret borgne des plus mal hantés, c'est qu'il savait que cette honteuse et sordide apparence ajoutait à la sécurité de ses hôtes, grands seigneurs ou grandes dames, qui venaient demander à sa maison un abri sûr pour leurs amours.

      Et, disons-le en passant, maître Hugonnet ne manquait pas de pratiques, et des meilleures, – si bien que ses voisins, tout en blâmant son industrie, ne pouvaient s'empêcher d'envier la fortune assez rondelette qu'ils lui supposaient.

      Certes, en entrant dans la salle commune, l'observateur le plus attentif ne se fût jamais douté des mystères des étages supérieurs.

      Les poutres du plafond étaient noires et humides, les murs maculés; les tables boiteuses et malpropres, et le sol presque aussi détrempé que celui de la rue.

      Enfin, l'escalier de bois à peine équarri, dont on apercevait dans le fond les premières marches disjointes, ne semblait pouvoir conduire qu'à de misérables greniers.

      Mais, dès la dixième marche, cet escalier changeait d'aspect. Une triple porte soigneusement capitonnée et recouverte, du côté du cabaret, de lambeaux d'étoffe, le fermait en cet endroit.

      Cette porte poussée, les enchantements commençaient.

      La rampe était en bois précieux, d'épais tapis couvraient les degrés, de hautes tentures tombaient en plis soyeux le long des murailles.

      La marquise, ainsi que nous l'avons dit, gravit rapidement cet escalier, et, ouvrant une petite porte cachée au fond d'un corridor étroit, pénétra dans un riche appartement où la main prévoyante de maître Hugonnet avait tout disposé pour

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