Les amours d'une empoisonneuse. Emile Gaboriau

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Les amours d'une empoisonneuse - Emile Gaboriau

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alors dans la voiture où prirent place avec lui Desgrais et deux sergents.

      M. d'Aubray lui-même referma la portière, et, se reculant un peu, fit signe au cocher de partir en lui jetant cet ordre sinistre:

      – A la Bastille!

      Un escalier dérobé avait rapidement conduit madame de Brinvilliers et son sauveur improvisé jusqu'au carrosse de celui-ci qui stationnait dans une petite rue parallèle à celle de l'Arbre-Sec, et où l'hôtellerie du More-qui-Trompe avait, comme la plupart des lieux de rendez-vous de l'époque, une sortie de dégagement.

      Quelques instants plus tard, le carrosse de Penautier les emportait tous deux vers la rue des Lions-Saint-Paul.

      Toute trace du danger passé avait disparu sur le visage de la marquise.

      La jeune femme semblait de marbre.

      Pourtant les plus terribles inquiétudes dévoraient son esprit et agitaient son cœur.

      Qu'allait-il advenir de Sainte-Croix.

      Lui faudrait-il succomber dans une lutte inégale, sous l'épée du père, des frères de sa maîtresse, ou bien les portes d'une prison éternelle devaient-elles se refermer sur lui?

      Madame de Brinvilliers éprouvait pour son amant une de ces passions fauves que rien ne dompte, qui trouvent un âcre plaisir dans ce que nous pourrions appeler leur illégitimité et qui n'acceptent d'autres lois que celle de la satisfaction la plus entière.

      Pour Sainte-Croix elle avait tout sacrifié, tout répudié, tout brisé; pour le conserver, elle n'eût hésité devant rien, pas même devant le plus abominable des forfaits; et elle était déjà à se demander comment elle pourrait, en se vengeant d'une surveillance importune, se débarrasser de toutes les entraves qu'un père trop soucieux de l'honneur de la famille osait opposer à la liberté de ses amours.

      Pourtant, telle était la force de caractère de cette femme, appelée à jouer un si grand rôle dans les fastes criminels du monde entier, que déjà elle avait su donner à son maintien cette insolente froideur dont elle sut envelopper jusqu'à son agonie.

      C'est donc d'une voix tranquille qu'elle s'adressa à Penautier, qui, tout en semblant respecter ses réflexions, n'avait cessé de l'épier d'un œil sournois.

      – Puis-je savoir, monsieur, demanda-t-elle, où vous voulez bien me conduire, et à qui je suis redevable d'un aussi signalé service?

      – A un ami du chevalier, madame, à un ami qui tiendrait à honneur de devenir le vôtre, Reich de Penautier, trésorier de la bourse des États de Languedoc.

      J'ai donné l'ordre à mon cocher de vous conduire à votre hôtel; seulement, vous trouverez bon, je pense, que, pour y arriver, nous ne prenions pas le chemin le plus court. Je crains de fâcheuses rencontres.

      – Et puis, n'avons-nous pas quelque peu à causer, reprit gracieusement la marquise, et ne voudrez-vous pas m'apprendre comment vous avez pu venir à notre secours d'une façon si miraculeuse?

      – Il me serait facile, madame, de rejeter sur le hasard tout le mérite de cette aventure; mais, à mon avis, le hasard est la providence des sots; je l'invoque peu par habitude; aussi vous dirai-je franchement que je ne me suis trouvé si à propos sur la dernière marche de cet escalier, dont vous ignoriez l'existence, que parce que je me doutais un peu de ce qui allait arriver.

      – Quoi! vous saviez? mais qui donc…

      – Oh! madame! répondit Penautier en s'inclinant, je suis un peu d'église, moi, et lorsque j'ai intérêt à savoir quelque chose…

      – Eh bien?

      – Je le sais toujours: un secret est une denrée qui cherche tout naturellement un acheteur.

      La marquise regarda fixement le financier.

      – Et vous aviez intérêt à acheter le nôtre?

      Penautier salua en signe d'affirmation.

      – Tout ce qui regarde ce cher chevalier, dit-il, me touche au plus haut point; je suis navré, madame, de voir un homme de son mérite végéter obscurément dans un état de fortune précaire et ambigu, quand la tendresse qu'il a su inspirer devrait certainement l'élever au premier rang.

      M. de Sainte-Croix ne m'a rien demandé; partant, je n'ai rien pu lui offrir; et vous l'avez vu, c'est un peu malgré lui, c'est presque à son insu que j'ai eu le bonheur de vous prêter assistance aujourd'hui.

      Cependant, j'ai toujours rêvé que le chevalier me devrait un grand état dans le monde.

      – Et qu'exigeriez vous en échange? demanda la marquise.

      – Oh! peu de chose, un traité d'alliance offensive et défensive entre vous, lui et moi.

      La marquise tendit ses belles mains au financier.

      – Signez-le donc, dit-elle en souriant; M. de Sainte-Croix ne me désavouera pas.

      Penautier mit galamment ses lèvres sur les doigts effilés de la jeune femme.

      Le carrosse, à ce moment, s'arrêtait devant la porte de l'hôtel de Brinvilliers. Un homme attendait sous le porche.

      Cet homme était encore tout haletant et tout couvert de la boue d'une longue course.

      La marquise le reconnut.

      – La Chaussée! s'écria-t-elle.

      Le valet, sans mot dire, lui tendit un mouchoir.

      Madame de Brinvilliers le déploya d'une main fébrile.

      – Sainte-Croix à la Bastille! s'écria-t-elle.

      – Rassurez-vous, madame, dit Penautier, nous l'en tirerons.

      La marquise descendit, et la porte s'ouvrit devant elle.

      Elle en allait franchir le seuil, quand, se retournant:

      – Un mot encore, fit-elle à Penautier.

      Le financier se pencha hors de la voiture.

      – Vous qui connaissez tout, poursuivit la marquise, dites-moi donc qui avait vendu à mon père et le secret de notre retraite et celui de nos rendez-vous?

      – Celui-là s'appelle Hanyvel de Saint-Laurent, répondit Penautier.

      – Merci, fit la marquise, je n'oublierai ni le nom ni l'homme.

      IV

      A LA BASTILLE

      Minuit sonnait à toutes les paroisses de Paris quand la sentinelle placée devant le poste extérieur qui flanquait le premier pont-levis de la Bastille, reconnut le carrosse où Sainte-Croix avait été jeté sous la garde de deux sergents.

      A son appel, un bas officier sortit du corps-de-garde, escorté d'un soldat qui portait une lanterne, et vint s'aboucher avec Desgrais.

      L'exempt échangea rapidement quelques mots avec lui, puis le carrosse pénétra dans l'intérieur de la forteresse.

      Un

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