Les amours d'une empoisonneuse. Emile Gaboriau
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Читать онлайн книгу Les amours d'une empoisonneuse - Emile Gaboriau страница 7
La porte soigneusement fermée, la jeune femme se débarrassa de sa mante, ôta son masque et échangea promptement ses vêtements souillés de boue et percés par la pluie, contre un négligé des plus galants, préparé dans un cabinet de toilette.
Alors seulement elle parut respirer; la grande dame se sentait chez elle.
Elle roula près de la cheminée un vaste fauteuil, s'y allongea paresseusement et présenta à la douce chaleur du foyer ses pieds mignons chaussés de délicieuses mules de velours.
Madame la marquise Marie-Madeleine de Brinvilliers était alors dans tout l'éclat de sa beauté; sa taille était petite, mais admirablement prise et harmonieusement proportionnée; le pur ovale de sa figure avait toutes ces grâces enfantines, toute cette ravissante mignardise dont Largillière a doué certains portraits des femmes du grand règne.
Ses yeux bleus, calmes et profonds, avaient d'adorables caresses et voilaient parfois leurs rayons d'une douce mélancolie.
Dans la pourpre de ses lèvres, un peu dédaigneuses, flamboyaient une double rangée de perles.
Nulle crainte, nulle émotion ne troublèrent jamais la régularité de cette figure candide.
Telle était la puissance prodigieuse de la marquise sur elle-même, que jamais son visage ne trahissait les angoisses horribles, les poignantes émotions qui torturaient son âme.
Plus tard, mêlée aux drames les plus sombres, aux plus épouvantables crimes, elle garda toujours, même devant les juges, même dans la chambre de torture, cette froide et souriante impassibilité. Nul ne la vit se troubler ou rougir.
On eût dit une admirable statue, chef-d'œuvre taillé dans un bloc de glace des mers australes. Galathée, avant que Pygmalion eût pour elle dérobé l'étincelle de vie…
Depuis un quart d'heure environ, madame de Brinvilliers sommeillait au coin du foyer, lorsque le timbre sonore d'une grande horloge, placée entre deux fenêtres, la fit tressaillir.
– Il ne vient pas, murmura-t-elle, et moi qui craignais de le faire attendre!
Elle se leva et fit quelques pas à travers la chambre avec une visible impatience.
– Lui serait-il arrivé quelque chose? murmura-t-elle.
Mais, au même moment, la porte s'ouvrit et Sainte-Croix, souriant, apparut sur le seuil.
– Enfin! exclama la marquise, et, de son doigt, elle montrait l'horloge qui marquait dix heures et demie.
– Oui, je le sais, dit le chevalier, j'ai à implorer mon pardon.
Et, se laissant glisser à genoux aux pieds de la marquise, il couvrit de baisers les belles mains qu'elle lui tendait.
– Pourtant, dit-il en se relevant, je vous assure que ces quelques minutes me coûtent assez cher. J'ai, pour accourir plus vite, laissé passer un fort joli tas de pistoles dans la poche de maître Hanyvel.
– Vous jouerez donc toujours, chevalier?
– Eh! dit tendrement Sainte-Croix, loin de vos beaux yeux, que voulez-vous que je fasse?
Oui, je joue, faute de mieux; mais, je vous en prie, mon cher cœur, ne parlons pas de ces misères, nos heures sont trop précieuses pour penser à autre chose qu'à notre amour.
– Hélas! fit tristement la marquise, ces heures que nous passons chaque soir ensemble et qui sont toute ma joie, vont peut-être nous être enlevées!
– Que voulez-vous dire, Madeleine?
– Je ne sais, mon ami, mais je sens au cœur une vague inquiétude, comme si un grand danger nous menaçait; M. Dreux d'Aubray…
– Quoi! votre père, encore! s'écria le chevalier. Oh! qu'il prenne garde!
Je n'ai pas oublié que par lui est venu le plus grand malheur de ma vie; que par lui j'ai été honteusement chassé de votre hôtel.
– Il est mon père, chevalier!..
– Oui, Madeleine; mais je vous aime, moi; mais vous m'aimez, mais pour vous je donnerais avec ivresse la dernière goutte de mon sang, et mes droits sur vous sont plus sacrés que les siens…
Oh! je vous le répète, qu'il prenne garde!
Sainte-Croix s'était levé en prononçant ces paroles, la lèvre tremblante de colère, l'œil étincelant, les mains crispées, et comme s'il eût eu devant lui cet ennemi dont il voulait se venger.
La marquise, calme et souriante, le regardait tendrement. Cette fureur, à la seule idée de la perdre, n'était-elle pas une preuve d'amour?
– Calmez-vous, chevalier, dit-elle enfin, nul danger sérieux ne nous menace encore.
– Alors, pourquoi parler comme vous l'avez fait, chère et bien-aimée Madeleine?
Puis-je rester calme lorsque je pense à la possibilité de vous perdre?
Ne plus vous voir! mais à cette idée je me sens hors de moi, parce que rien ne me semble pire, non, rien, pas même la mort…
– Allons, chassez ces vilaines idées, répondit la marquise, et dites-moi plutôt si vous avez enfin des nouvelles de notre enfant.
Sainte-Croix ne répondit pas.
– Eh quoi! reprit la marquise, rien encore?
– Rien!
– Et vous dites que, loin de moi, les heures vous semblent lentes à mourir, que vos jours s'écoulent tristes et sans but!
Et nous avons de par le monde un enfant, un fils, et vous ne pouvez apprendre à sa mère ce qu'il est devenu, et je ne sais si je dois pleurer sa mort ou pleurer son existence!
Ah! si j'étais un homme!
– Madeleine, je vous en prie, ne m'accablez pas! Tout ce qu'il est possible humainement de faire, ne l'ai-je donc pas fait?
– Tout! vous dites que vous avez tout tenté! Mais savez-vous ce que je ferais, moi, si j'étais libre? J'irais de ville en ville, de hameau en hameau; je frapperais à toutes les portes, je pénétrerais dans toutes les maisons, je m'adresserais à toutes les mères et je découvrirais sa demeure, allez, pour le presser sur mon cœur, ou bien je trouverais sa tombe pour y aller pleurer…
– Mais vous me torturez, Madeleine! que vous ai-je donc fait?
– Ah! continua la marquise, vous ne l'aimez pas, cet enfant, dont la naissance a été une honte!
Pensez-vous quelquefois à ce qu'il peut faire à cette heure?
Songez-vous que, sans parents, sans amis, sans fortune, il se débat peut-être, seul, contre tous, et cela doit être bien triste…
– Oui, bien triste! dit douloureusement Sainte-Croix. Je le sais: cette vie n'a-t-elle pas été la mienne? Je n'ai qu'une amie au monde, et elle m'abandonne. Vous êtes toute ma vie, tout mon bonheur, et vous m'êtes plus cruelle que mon plus cruel ennemi!