Les amours d'une empoisonneuse. Emile Gaboriau

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Les amours d'une empoisonneuse - Emile Gaboriau

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la haute cheminée de son cabinet.

      Il dormait à demi, ayant soupé fort tard la nuit précédente et joué avec un malheur constant toute la journée. Aussi fut-il désagréablement surpris lorsqu'un laquais, ouvrant timidement la porte, lui annonça M. Dreux d'Aubray.

      Mais le marquis était de trop bonne compagnie pour laisser voir son ennui d'être ainsi éveillé. Il se leva avec un empressement joyeux en apparence et courut au-devant de son beau-père.

      Après les embrassades et les compliments d'usage:

      – Parbleu, monsieur, lui dit-il, vous serait-il arrivé quelque fâcheuse affaire que vous, d'habitude si paisible, vous voici chez moi à cette heure? J'en serais presque bien aise, afin de me mettre entièrement à votre service, moi et tous les miens.

      Le lieutenant civil ne répondit pas tout d'abord. Il s'assit lentement en face du marquis, et, après quelques instants, pendant lesquels il sembla se recueillir:

      – Croyez, monsieur, dit-il, qu'il m'en coûte d'avoir à vous entretenir d'une affaire que je considère comme une honte pour ma maison. Je veux vous parler de ma fille.

      – De ma femme?

      – Hélas! oui, et du chevalier de Sainte-Croix.

      Le marquis prit l'air piteux d'un homme qui, menacé d'un ennuyeux sermon, voit avec douleur qu'il ne peut l'éviter. Il poussa un long soupir.

      – Pour Dieu! demanda-t-il, qu'a donc fait encore ce pauvre chevalier?

      – Ce qu'il a fait! répondit M. d'Aubray, tenez, marquis, il n'est pires aveugles que ceux qui ne veulent pas voir, et je vous crois de ceux-là. Le chevalier de Sainte-Croix abuse étrangement de votre amitié, et ma fille, votre femme, est sa complice.

      – Vous vous trompez, monsieur.

      – J'en suis sûr.

      – Mais alors, s'écria le marquis impatienté, que voulez-vous que j'y fasse! Le chevalier de Sainte-Croix est mon ami, le plus honnête homme du monde. Moi-même, après l'avoir connu à l'armée, l'ai amené dans ma maison et présenté à ma femme. Dans les premiers jours, elle semblait avoir pour lui un éloignement inexplicable; peu à peu, cependant, elle prit goût à sa conversation, qui est très spirituelle, et ma foi, entre ma femme et mon ami, je me trouvai le plus heureux des hommes.

      – C'est-à-dire qu'ils s'entendaient pour vous jouer.

      – Vous me l'avez dit, du moins vous m'avez dit que cette amitié faisait scandale, et à mon regret, j'ai fermé ma porte au chevalier, que je regrette plus que vous ne sauriez croire; n'est-ce donc pas encore assez?

      – Non, il faut encore surveiller votre femme.

      – Oh! monsieur! fi! me ferez-vous l'injure de me croire jaloux de la marquise? Sachez que j'ai en elle la confiance la plus absolue.

      – Elle vous trompe.

      – Permettez-moi de n'en rien croire, je ne crois absolument que ce que je vois.

      Le lieutenant civil frappa du poing avec colère le bras de son fauteuil.

      – Et si je vous donnais des preuves, dit-il en se levant, si je vous faisais voir…

      – Certes, monsieur, vous me causeriez un déplaisir sensible, et ce serait un triste service à me rendre. Mais, et le marquis se mit à rire, je suis, pardieu! fort rassuré sur ce point.

      – Et vous avez tort, répondit M. d'Aubray d'un ton sévère; vous avez tort, car le père, pour cette fois, a fait le devoir de l'époux, et ces preuves, je puis vous les donner.

      – Mais enfin, monsieur, objecta le marquis, admettons un instant que vos suppositions soient vraies, en quoi cela peut-il m'atteindre! La marquise, dès les premières années de notre mariage, ne m'a-t-elle pas donné des héritiers de mon nom?

      – Eh quoi! s'écria le lieutenant civil indigné, c'est ainsi que vous comprenez la noblesse des familles et l'honneur des femmes. Oui, je sais ce que vous m'allez dire: vous allez me citer l'exemple des plus nobles familles du royaume, me prouver qu'il est de bon ton de se montrer mari facile, et de fermer les yeux sur les égarements de ces épouses indignes que nous nommions du nom qu'elles méritent. Mais je ne suis pas de la cour, moi, monsieur, et je ne crois pas ma noblesse assez haute pour être au-dessus de la flétrissure. Libre à vous d'abdiquer honteusement les droits sacrés dont vous arment Dieu et les hommes, je saurai revendiquer le droit sacré de mes pères. C'est à vous maintenant à voir si vous voulez me suivre et rejoindre mes fils qui nous attendent à la porte de votre hôtel.

      – Quoi! à cette heure, par ce temps affreux?

      – L'honneur commande, monsieur, l'honneur de deux nobles maisons dont le blason jusqu'ici est resté sans tache. Il faut que ce scandale cesse.

      – Soit, je vous suis, dit le marquis, quoique en vérité je ne voie aucunement en quoi cela nous avancera.

      Et prenant des mains d'un de ses laquais son épée et son manteau, le marquis de Brinvilliers suivit M. le lieutenant civil.

      Lorsque la lourde porte de l'hôtel se fut refermée derrière eux, le lieutenant civil modula un cri particulier, sans doute convenu à l'avance avec ses fils, car les deux jeunes gens, quittant leur poste d'observation, s'approchèrent aussitôt.

      – Eh bien? interrogea M. d'Aubray.

      – Rien encore, répondirent les deux jeunes gens.

      – Attendons, alors, elle ne saurait tarder.

      – Mais enfin, demanda avec impatience le marquis, m'expliquerez-vous, monsieur, ce que nous faisons ici?

      – Soit, puisque vous ne voulez rien comprendre, répondit M. d'Aubray d'une voix sourde. Nous attendons ici votre femme qui chaque soir quitte votre hôtel pour courir au rendez-vous de son amant.

      – Ah! dit le marquis, elle sort ainsi tous les soirs; ma foi! je ne m'en doutais pas.

      – Nous allons la suivre, continua le lieutenant civil; avec nous, vous surprendrez les deux coupables, et alors, vous ne douterez plus.

      – Attendons donc, dit avec découragement le marquis.

      – Mais, pour cela, ne restons pas ici, objecta un des jeunes gens, nous ne pourrions la voir, car c'est par la porte du jardin qu'elle sort chaque soir.

      – Ah! elle connaît la petite porte, dit le marquis, et moi qui croyais en avoir seul la clef. Mais savez-vous que c'est fort gracieux de sa part, de prendre de semblables précautions, car enfin, elle pourrait fort bien sortir par la grande porte de l'hôtel.

      – Oh! rassurez-vous, répondit M. d'Aubray, ce n'est pas de nous que votre femme se cache, elle nous connaît trop pour cela.

      Et les quatre hommes, traversant la rue avec précaution, disparurent bientôt dans l'enfoncement où les deux fils du lieutenant civil avaient attendu leur père pendant sa conversation avec le marquis.

      M. de La Reynie n'avait pas encore allumé dans Paris les premières lanternes, et la lune, seule chargée de l'éclairage de la grande ville, remplissait on ne peut plus mal son emploi ce soir-là.

      La nuit était

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