Les amours d'une empoisonneuse. Emile Gaboriau

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Les amours d'une empoisonneuse - Emile Gaboriau

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financier se vautrait dans ses écus en jubilant.

      – Je savais bien, disait-il, que le proverbe ne pouvait mentir.

      – Quel proverbe? fit Sainte-Croix en bouclant son ceinturon.

      – Vous le connaissez aussi bien que moi: «Bonheur au jeu…»

      – «Malheur en femmes,» n'est-ce pas? Mais je ne suis pas marié, monsieur Hanyvel.

      – Il est vrai que vos amis le sont pour vous.

      – Le chevalier, qui allait atteindre la porte, se retourna brusquement.

      – Qu'entendez-vous par là? demanda-t-il avec une sorte de hauteur.

      – J'entends tout simplement répéter ce dont tout le monde parle.

      – Et de quoi parle tout le monde?

      – Ne faites pas le discret, mon cher! Chacun sait que M. de Brinvilliers est de vos intimes et que cet excellent marquis possède une femme fort appétissante, laquelle a dû chercher chez vous ce qu'elle ne trouvait pas chez lui. D'ailleurs…

      Le financier n'acheva point.

      Sainte-Croix, tirant son épée, s'était impétueusement précipité sur lui.

      – Que faites-vous? que faites-vous? s'écria-t-on de toutes parts.

      – Ne le voyez-vous pas? répondit le chevalier en proie à une colère terrible. Cet homme est un coquin, et, vrai Dieu! il ne répétera plus ailleurs ses misérables calomnies!

      Hanyvel essayait de mettre flamberge au vent: il était plus pâle qu'un cadavre.

      Quelques hommes s'efforcèrent de retenir le chevalier et de le désarmer.

      Or, ce n'était pas chose aisée.

      Les femmes épouvantées s'enfuyaient dans tous les coins.

      En ce moment, la porte s'ouvrit; un laquais de Sainte-Croix parut, et, se jetant à travers les groupes, parvint à se glisser jusqu'à son maître, à l'oreille duquel il lança ces mots:

      – On vous attend, monsieur.

      Le chevalier avait déjà le bras sur Hanyvel.

      Aux paroles de son valet, il fit deux pas en arrière.

      La tempête de colère allumée sur son front s'éteignit dans un éclat de rire.

      Puis, repoussant son épée au fourreau:

      – Allons, monsieur le receveur général du clergé, s'écria-t-il, remettez-vous! On n'en veut plus à votre peau, et vous êtes si laid quand vous tremblez, que votre peur a effrayé ces dames. Mais surtout rendez grâce à La Chaussée, qui a su m'arrêter à temps; sans lui, aussi vrai que la marquise de Brinvilliers est la plus honnête des femmes, j'allais vous couper les oreilles.

      Il salua ensuite la société avec une grâce altière et sortit.

      Hanyvel empochait son argent. Mademoiselle Aurore de Boisrosé, la signorina Marietta Zambolini s'étaient empressées de se présenter pour l'aider dans cette besogne et pour le consoler de sa mésaventure.

      Les rixes de cette sorte étaient fréquentes à cette époque, entre gens portant l'épée, dans les endroits publics semblables à l'établissement de La Vienne.

      Aussi, après le départ du chevalier, se remit-on généralement au plaisir comme si rien n'était arrivé.

      Un des assistants avait paru, bien qu'il ne s'y mêlât aucunement, prendre à cette scène le plus grand et le plus vif intérêt.

      On l'appelait Reich de Penautier, et il était trésorier de la bourse des États du Languedoc.

      Ami de Hanyvel, il n'avait pas fait un mouvement alors que Sainte-Croix menaçait le financier de son épée.

      Accoudé au marbre de la cheminée, sur la blancheur duquel son habit de velours noir, garni de jais, se détachait en silhouette fantastique, il avait tout contemplé d'un regard impassible.

      Seulement, quand la querelle s'apaisa presque aussi subitement qu'elle s'était élevée et quand le chevalier rengaîna sa rapière, un éclair de dépit sillonna l'œil vague du financier, et ses lèvres minces et pâles s'entr'ouvrirent pour laisser siffler ce seul mot:

      – Maladroit!

      Sainte-Croix sorti, M. de Penautier demanda son carrosse.

      II

      UN PÈRE ET UN MARI

      A l'heure à peu près où chez La Vienne, le baigneur étuviste, se passait la scène que nous venons d'esquisser, un carrosse sans armoiries, largement drapé, suivant la mode de l'époque, s'arrêtait devant la porte richement sculptée de l'hôtel de Brinvilliers, l'une des plus magnifiques demeures de la rue des Lions-Saint-Paul au Marais, le quartier souverainement aristocratique du dix-septième siècle.

      Presque aussitôt, et avant que le laquais eût pu abaisser le pesant marchepied du carrosse, trois personnages en descendirent: deux jeunes hommes et un vieillard.

      Le vieillard, mis à la mode d'il y a cent ans, était M. Dreux d'Aubray, lieutenant civil, ancien conseiller de la reine Anne, au temps de la Fronde, père de la marquise de Brinvilliers; les deux jeunes gens étaient ses fils.

      Tous trois tinrent un instant conseil sous l'abri de la porte-cochère; puis, au bout de quelques minutes, firent un signe au cocher, qui, fouettant ses chevaux, prit au grand trot la direction de la place Royale.

      Les deux jeunes gens, relevant le collet de leurs manteaux et abaissant leurs larges feutres sur leur visage, furent se poster à quelque distance dans l'embrasure d'un mur en retrait.

      Pour M. d'Aubray, il souleva le lourd marteau de la porte, qui retomba bruyamment, éveillant les échos de la rue déserte.

      La porte tourna sur ses gonds avec un grand bruit de ferrures.

      Le suisse s'inclina profondément en reconnaissant le père de la marquise, et, sur son ordre, un laquais, armé de deux flambeaux, précéda à reculons le lieutenant civil dans l'escalier qui conduisait aux appartements de M. de Brinvilliers.

      C'était un fort honnête homme que le marquis de Brinvilliers, mestre-de-camp au régiment de Normandie. La guerre ne lui laissant que peu de loisirs; il les mettait largement à profit, et passait, dans le monde joyeux des officiers et des dames faciles, pour un beau joueur et un amant magnifique.

      A gagner cette réputation, il avait perdu sa fortune, ou à peu près; mais il s'en souciait médiocrement et se sentait la conscience en repos, ayant pris soin de mettre à l'abri de ses créanciers la dot de sa femme, avec laquelle il s'était séparé de biens, non pour se faire une réserve, il était trop bon gentilhomme pour avoir cette bourgeoise idée, mais pour ne pas la rendre victime de ses prodigalités.

      M. de Brinvilliers avait fort aimé sa femme autrefois, mais le temps avait fort attiédi cette passion.

      Il n'en était resté qu'une intimité douce et confiante. Suivant en cela les bonnes traditions, le marquis s'inquiétait fort peu de la conduite de

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