Les amours d'une empoisonneuse. Emile Gaboriau

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Les amours d'une empoisonneuse - Emile Gaboriau

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de l'endroit où ils étaient placés, les quatre veilleurs pouvaient, très distinctement, apercevoir la porte de l'hôtel, vaguement éclairée par une pieuse lampe qui fumait tristement dans une niche au pied d'une petite statue de la Vierge.

      Pendant une demi-heure environ, aucun des quatre hommes ne proféra une parole; de temps à autre seulement, un juron du marquis entrecoupait le silence. Enfin, n'y tenant plus:

      – Ne trouvez-vous pas, monsieur, dit-il à son beau-père, que nous faisons ici un triste métier, et inutilement encore?

      – Chut! répondit seulement M. d'Aubray.

      – Il fait, pardieu! un temps détestable, continua le marquis, et je ne vois guère ici à attraper que des rhumatismes.

      Ni M. d'Aubray, ni ses fils ne répondirent.

      – Corne du diable! continua le marquis, dont la mauvaise humeur augmentait de minute en minute, nous serions infiniment mieux dans nos lits; je sens, quant à moi, se réveiller sourdement les douleurs de certaine blessure autrefois reçue en Flandres.

      – De grâce, marquis, murmura l'aîné des MM. d'Aubray, trêve de récriminations.

      Pour toute réponse, le marquis étouffa à demi un énergique juron, et le silence recommença.

      Enfin, dix heures sonnèrent tristement au beffroi de la petite chapelle des Célestins, et lentement les lugubres vibrations de l'horloge s'éteignirent dans la brume.

      – Elle ne viendra pas ce soir, dit avec impatience M. d'Aubray.

      Mais, presque au moment, la petite porte du jardin s'entrebâilla discrètement. Une femme allongeait la tête avec précaution: elle semblait interroger les ténèbres et vouloir percer leur profondeur, comme si elle eût deviné qu'elles lui cachaient un danger.

      – La voilà, mon père, murmura le plus jeune des MM. d'Aubray.

      – C'est, ma foi, vrai! dit le marquis.

      La marquise, car c'était bien elle, rassurée sans doute par le silence de la rue, s'était décidée à se mettre en chemin; doucement elle se glissa par l'entrebâillement de la porte qu'elle referma derrière elle, en faisant de visibles efforts pour amortir le grincement de la clé dans l'énorme serrure.

      Un instant elle parut hésiter sur la route qu'elle devait suivre, mais bientôt, prenant son parti, elle s'engagea rapidement dans les petites rues qui conduisaient à la place de Grève.

      Lorsqu'on l'eut presque perdue dans le brouillard:

      – Suivez-la, dit le lieutenant civil à ses fils; deux hommes lui inspireront moins de crainte qu'un seul; le marquis et moi resterons en arrière.

      Les deux frères s'élancèrent sur les traces de leur sœur.

      – Eh bien! dit tristement M. d'Aubray au marquis de Brinvilliers.

      – Vrai, répondit celui-ci, vous me voyez aussi surpris que possible.

      Quel courage! qui se serait douté que la marquise, si timide et si peureuse, oserait jamais s'aventurer, seule et à pareille heure, dans des rues qui sont loin d'être sûres par le temps qui court? C'est aussi par trop imprudent.

      – Vous lui auriez sans doute conseillé de se faire suivre par un laquais? demanda railleusement le lieutenant civil.

      – Ma foi, oui! répondit le marquis de la meilleure foi du monde, et encore il eût été plus simple et plus digne de son rang et du mien de prendre un carrosse.

      Le lieutenant civil ne put retenir une exclamation de colère; mais, ne trouvant pas le moment opportun pour entamer une discussion, il ne jeta point à la face du marquis les méprisantes paroles qui montaient à ses lèvres. Le père et le mari continuèrent donc silencieusement leur route sans perdre de vue les deux jeunes gens qui les précédaient sur les pas de la marquise.

      Elle allait, elle, d'un pas rapide et sûr, longeant les maisons, essayant de perdre son ombre dans l'ombre qu'elles projetaient, n'hésitant pas à se détourner de son chemin et à changer de côté, lorsqu'au loin elle apercevait quelqu'une de ces rares lumières qu'allumaient devant de saintes images des bourgeois dévotieux et dont la lueur faible et vacillante eût cependant pu la trahir.

      Elle allait, sans paraître se soucier des larges flaques d'eau et des pertuis de la rue, qui, par un temps de pluie, faisaient de Paris un immense cloaque où ne s'aventuraient que ceux qui d'avance avaient fait le sacrifice de leurs vêtements.

      Arrivée à la place de Grève, elle s'arrêta un instant pour laisser passer une ronde.

      Alors, on ne savait lequel redouter le plus du guet ou des voleurs; puis, faisant le tour de la place, toujours en rasant les maisons, elle descendit vers le Louvre par les ruelles étroites et à peine praticables qui se croisaient et s'emmêlaient d'une façon presque inextricable autour du palais de la ville.

      Elle marcha ainsi jusqu'à l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois, qui sans doute lui servait de point de repère, car, arrivée là, elle parut s'orienter un instant; elle assura son masque de velours, ramena sur son visage son capuchon soulevé par le vent, et rebroussa rapidement chemin.

      Le lieutenant civil et ses fils s'attendaient sans doute à ce brusque changement de direction, car ils s'étaient rejoints, et tous trois, entraînant le marquis, s'étaient dissimulés entre deux piliers de la vieille église: la marquise passa à trois pas d'eux, sans s'apercevoir de leur présence.

      Elle s'engagea alors dans la rue de l'Arbre-Sec, et les quatre hommes, sortis de leur cachette, arrivèrent derrière elle assez à temps pour la voir entrer dans une auberge de louche apparence, au-dessus de laquelle se balançait, en grinçant d'une lugubre façon, une enseigne représentant un More au visage noir et au turban blanc, soufflant de toutes ses forces dans une immense trompette. C'était l'enseigne bien connue du More qui trompe.

      Par un même mouvement, M. d'Aubray, ses fils et le marquis vinrent coller leur visage aux carreaux sales du cabaret, et ils purent voir la marquise prendre une clé des mains de l'hôte, qui s'était découvert respectueusement, et s'élancer dans l'escalier en femme familière avec les êtres et les habitudes de la maison.

      – Quelle honte! s'écria douloureusement le lieutenant civil, et plus bas il ajouta: Ma fille ose pénétrer dans un pareil bouge!

      – C'est au moins de la prudence, dit un des frères; voyez, mon père, les hommes qui boivent dans cette salle; certes il ne viendra à aucun d'eux l'idée que la femme qui vient d'entrer peut être notre sœur, la marquise de Brinvilliers.

      En ce moment, deux ivrognes qui sortirent en chantant du cabaret forcèrent les quatre hommes à se reculer.

      – Quel bouge! dit encore M. d'Aubray.

      – Oh! arrêtez, répondit le marquis, l'endroit ne paie pas de mine, mais c'est, je vous l'assure, une fort honnête maison.

      – Vous la connaissez donc? interrogea M. d'Aubray.

      – Pardieu! j'y ai maintes fois soupé avec mon ami Penautier, le trésorier de la bourse des États de Languedoc, mon ami, un fort galant homme, je vous assure.

      – Alors, vous connaissez la disposition des appartements, marquis?

      – On

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