La vie infernale. Emile Gaboriau

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La vie infernale - Emile Gaboriau

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répondait: parce que… Et c’était tout.

      Même, elle avait fini par déclarer que si on s’obstinait à la tourmenter elle quitterait l’hôtel et se réfugierait dans quelque couvent.

      Tout cela, ce n’était que des raisons. Il n’est pas naturel qu’une jeune fille refuse un mari qui est jeune, joli garçon et marquis…

      On se douta qu’il y avait quelque chose sous jeu, que Mlle Hermine ne voulait pas avouer, et M. Raymond jura qu’il allait surveiller sa sœur, et qu’il saurait bien découvrir le fond de sa pensée…

      – M. Raymond est le comte de Chalusse actuel, n’est-ce pas? demanda M. Fortunat.

      – Oui, monsieur… Donc, les choses en étaient là, quand, une nuit, le jardinier crut entendre un bruit terrible dans un pavillon qui était au bout du jardin…

      Il était très-vaste, ce pavillon, je l’ai visité. Il s’y trouvait un salon, une salle de billard, une grande salle pour faire des armes…

      Naturellement, le jardinier se lève pour voir ce qui arrive. Juste comme il sort, deux ombres passent tout près de lui et disparaissent sous les arbres… Il court après… rien… Les ombres avaient filé par la petite porte du jardin.

      Dix fois, en me contant cela, le jardinier m’a dit qu’il avait cru avoir affaire à des domestiques sortant en cachette, et que pour cette raison il ne donna pas l’éveil.

      Il fit le tour du pavillon cependant, n’y vit pas de lumière, et tranquillisé, il retourna se coucher…

      – Et c’était Mlle Hermine qui s’enfuyait avec un amoureux, fit M. Fortunat…

      Mme Vantrasson eut l’air dépité d’un acteur qui se voit couper un effet.

      – Attendez donc, répondit-elle, vous allez voir:

      La nuit se passe, le matin arrive, puis l’heure du déjeuner… on ne voit pas paraître Mlle Hermine. On va frapper à sa porte… pas de réponse. On ouvre… Elle n’était pas dans sa chambre, et même le lit n’était pas défait…

      Qu’est-ce que cela veut dire?.. Voilà toute la maison en l’air: la mère qui se désole, le père qui est fou de colère et de douleur…

      Comme de juste, on songe au frère de Mlle Hermine, et on monte le chercher… Il n’était pas chez lui, et son lit n’était pas défait non plus.

      Tout le monde perdait la tête, quand le jardinier eut l’idée de raconter l’aventure de la nuit.

      On court au pavillon, et que voit-on?.. M. Raymond étendu à terre sur le dos, baigné dans son sang, roide, froid, immobile… comme mort, enfin! Une de ses mains serrait encore une épée…

      On le relève, on le porte dans son lit, on envoie chercher un médecin… Il avait reçu deux coups d’épée, un à la gorge, l’autre en pleine poitrine…

      Pendant plus d’un mois il resta entre la vie et la mort; et ce n’est qu’au bout de six semaines qu’il eut la force de raconter ce qui était arrivé.

      Il fumait un cigare à sa fenêtre, quand il lui avait semblé distinguer une femme dans le jardin. Tout préoccupé de l’idée de sa sœur, il était descendu à la hâte, s’était glissé jusqu’au pavillon, et là, il avait trouvé près de Mlle Hermine un jeune homme qui lui était absolument inconnu.

      Il pouvait le tuer, n’est-ce pas, et il ne lui eût rien été fait. Au lieu de cela, il lui déclara qu’ils allaient se battre à l’épée… Ils avaient des armes sous la main, ils se battirent… il fut blessé deux fois coup sur coup et tomba…

      Et l’autre, croyant l’avoir tué, s’enfuit, entraînant Mlle Hermine…

      Mme Vantrasson eût bien voulu reprendre haleine, et sans doute, par la même occasion se rafraîchir un peu; mais M. Fortunat était pressé; Vantrasson pouvait rentrer d’une minute à l’autre.

      – Et ensuite?.. demanda-t-il.

      – Ensuite, dame!.. M. Raymond se rétablit, et trois mois après il était sur pied. Mais les parents, qui étaient vieux, avaient reçu un coup dans le cœur. Ils ne se remirent pas, eux. Peut-être se disaient-ils que c’était leur dureté et leur entêtement qui avaient causé la perte de leur fille… c’est un dur remords, ça. Ils allèrent dépérissant de jour en jour, à vue d’œil, et l’année suivante on les porta au cimetière à deux mois de distance…

      Le soi-disant clerc d’huissier ne songeait plus à l’omnibus, désormais, c’était bien évident, et l’hôtesse du «garni modèle» devait être en même temps rassurée et flattée.

      – Et Mlle Hermine?.. interrogea-t-il.

      – Hélas! monsieur, jamais on n’a su où elle avait passé, ni où elle est allée, ni ce qu’elle est devenue…

      – On ne l’a donc pas cherchée!..

      – Oh! monsieur, ne dites pas cela. C’est-à-dire que pendant je ne sais combien de temps Mlle Hermine a eu après elle tout ce qu’il y a d’agents de police en France et à l’étranger… Pas un n’a réussi à retrouver seulement sa trace. M. Raymond, devenu comte de Chalusse, avait promis une somme énorme à qui retrouverait l’homme qui avait séduit sa sœur. Il voulait le tuer. Lui-même l’a cherché pendant des années, inutilement.

      – Ainsi, jamais on n’a eu de nouvelles de cette malheureuse?

      – Jamais!.. c’est-à-dire si, deux fois… à ce qu’on m’a dit, vous comprenez. Il paraîtrait que le lendemain même de l’affaire, ses parents ont reçu d’elle une lettre où elle leur demandait pardon. Cinq ou six mois plus tard, elle a écrit de nouveau pour dire qu’elle savait que son frère n’était pas mort. Elle s’excusait encore et s’accusait, disant qu’elle n’était qu’une malheureuse, qu’elle avait été folle, mais que déjà le châtiment était venu, et qu’il était terrible… Elle ajoutait que tout était brisé entre elle et les siens, que jamais on n’entendrait parler d’elle, et qu’elle souhaiterait être oubliée comme si elle n’eût pas existé… Elle allait jusqu’à dire que ses enfants ne sauraient pas son nom, et qu’elle se condamnait à ne jamais prononcer de sa vie la nom de Chalusse dont elle était la honte…

      C’était là l’éternelle et lamentable histoire de la fille séduite, payant de son bonheur et de sa vie une minute de vertige.

      Drame terrible sans doute, mais banal comme la vie de tous les jours, et dont la vulgarité semblait plus désolante encore dans la bouche de cette mégère du «garni-modèle,» qui, elle aussi, à l’entendre, avait été trompée.

      Aussi, qui eût connu M. Isidore Fortunat, eût été bien intrigué de le voir si ému pour si peu, lui, l’homme positif par excellence, cuirassé – il s’en vantait – contre toutes les surprises de la sensibilité.

      – Pauvre fille!.. fit-il, pour dire quelque chose.

      Puis, d’un ton d’insouciance, précisément assez mal simulé pour trahir une anxiété extraordinaire:

      – A-t-on su, du moins, demanda-t-il, qui était le misérable qui avait enlevé Mlle de Chalusse?

      – Jamais.

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