La vie infernale. Emile Gaboriau

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La vie infernale - Emile Gaboriau

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emprunta timidement d’abord, puis plus hardiment, lorsqu’il reconnut combien peu de chose est une hypothèque. On n’en est ni plus ni moins le maître chez soi.

      D’ailleurs, ses besoins grandissaient incessamment comme sa vanité.

      Placé à une certaine hauteur dans l’opinion de son monde, il ne voulait pas déchoir et ce lui était une raison de faire une certaine folie chaque année, parce qu’il l’avait faite l’année précédente.

      Son écurie seule lui coûtait plus de cinquante mille francs par an.

      D’intérêts, il n’en payait pas; on ne les lui réclamait pas; il oubliait sans doute qu’ils s’accumulaient lentement, mais continuellement; qu’ils s’enflaient à chaque échéance, qu’ils produisaient eux-mêmes, et qu’au bout d’un certain nombre d’années le capital de sa dette serait doublé.

      Sur la fin, il ne comptait même plus. Il ignorait absolument où en étaient ses affaires. Il en était arrivé à se croire des ressources inépuisables.

      Il le crut jusqu’au jour où étant allé chez son notaire chercher des fonds, ce notaire lui répondit froidement:

      – Vous me demandiez cent mille francs, monsieur le marquis, je n’ai pu vous en procurer que cinquante mille… les voici. Et n’espérez plus rien. Tous vos immeubles sont grevés au-delà de leur valeur… ainsi c’est fini. Vos créanciers vous laisseront sans doute tranquille un an encore, c’est leur intérêt; mais ce délai écoulé, ils vous exproprieront, c’est leur droit.

      Il eut un sourire discret, un sourire d’officier ministériel, et ajouta:

      – Moi, à votre place, monsieur le marquis, je mettrais à profit cette année de répit. Vous comprenez sans doute ce que je veux dire?.. J’ai bien l’honneur de vous saluer.

      Quel réveil!.. après un rêve splendide de plus de dix années!..

      M. de Valorsay en demeura comme écrasé, et pendant deux jours il resta enfermé chez lui, refusant obstinément de recevoir personne.

      – M. le marquis est malade!.. répondait son valet de chambre aux visiteurs.

      Il lui avait fallu ce temps pour se remettre, pour en venir surtout à oser envisager bien en face et froidement sa situation.

      Elle était épouvantable, car sa ruine était complète, absolue. Pas une épave ne devait échappée au désastre. Que devenir? Que faire?

      Il avait beau se tâter, il se trouvait incapable de rien entreprendre, de rien sentir. Tout ce que la nature lui avait départi d’énergie, il l’avait gaspillé au service de sa vanité. Plus jeune, il eût pu se faire soldat, il n’eût pas été le premier, il serait allé en Afrique… mais il n’avait même pas cette ressource.

      C’est alors que le sourire de son notaire, comme une lueur dans les ténèbres, lui revint à la mémoire.

      – Décidément, murmura-t-il, son conseil était bon… Tout n’est pas perdu et une issue nous reste encore: un mariage.

      Pourquoi ne se marierait-il pas, en effet, et richement. Rien n’avait transpiré de son désastre, et il avait encore pour un an tous les prestiges de la fortune.

      Son nom seul était un apport considérable. Ce serait bien le diable s’il ne découvrait pas dans la banque ou dans le haut commerce quelque héritière dévorée de l’ambition d’avoir sur ses voitures une couronne de marquise.

      Ce parti arrêté et mûri, M. de Valorsay s’était mis en quête, et bientôt il crut avoir trouvé.

      Mais ce n’était pas tout. Les donneurs de grosses dots sont défiants, ils aiment à voir clair dans la situation des épouseurs qui se présentent, ils vont aux informations, quelquefois. Avant de s’engager, M. de Valorsay comprit qu’un homme d’affaires intelligent et dévoué lui devenait indispensable.

      N’allait-il pas falloir tenir les créanciers en haleine, leur imposer silence, obtenir d’eux des concessions, les intéresser en un mot au succès?..

      C’est avec ces idées que M. de Valorsay se rendit chez son notaire, espérant peut-être son concours.

      Il le refusa net, d’un ton rogue, déclarant qu’il ne pouvait se mêler de tels tripotages, et que les lui proposer était presque une insulte. Puis, touché sans doute du désespoir de son client:

      – Mais je puis, ajouta-t-il, vous indiquer l’homme qu’il vous faut… Allez trouver M. Isidore Fortunat, 27, place de la Bourse; si vous parvenez à l’intéresser à votre mariage, il est fait.

      Voilà, en gros, comment et à la suite de quelles circonstances le brillant marquis de Valorsay était entré en relations avec M. Isidore Fortunat.

      D’un coup d’œil perspicace, dès la première visite, il jaugea l’homme. Il le vit tel qu’il le souhaitait, prudent et hardi tout ensemble, fertile en expédients, passé maître dans l’art de glisser sans accroc entre les mailles le la loi, avide enfin, et peu tourmenté de scrupules.

      Avec un tel conseiller, masquer six mois un désastre et duper le beau-père le plus défiant devait n’être qu’un jeu.

      Aussi, M. de Valorsay n’eut-il pas une minute d’indécision. Il exposa franchement sa situation financière et ses espérances matrimoniales, et conclut en promettant tant pour cent sur la dot, le lendemain de son mariage.

      Séance tenante, un traité fut signé, et dès le lendemain M. Fortunat prenait en main les intérêts de l’honorable gentilhomme.

      De quel cœur il s’y donna, et avec quelle foi au succès! un seul fait le dit: Il avait avancé, de sa poche, quarante mille francs à son client.

      Après cela, le marquis eût eu mauvaise grâce à n’être pas satisfait de son conseiller. Il en était d’autant plus enchanté que cet habile homme, en toute occasion, lui témoignait une déférence respectueuse jusqu’à la servilité.

      Aux yeux de M. de Valorsay, ce point était capital, car il devenait plus arrogant et plus susceptible, à mesure qu’il avait moins le droit de l’être.

      Honteux au-dedans de lui-même et profondément humilié des tripotages avilissants auxquels il descendait, il s’en vengeait en accablant son complice de sa supériorité imaginaire et de ses dédains de grand seigneur.

      Selon son humeur, bonne ou mauvaise, il l’appelait «Cher Arabe,» ou «Mons Fortunat» et le plus souvent «Maître Vingt-pour-Cent.»

      Et l’autre n’en gardait pas moins son sourire obséquieux sur les lèvres, bien capable, par exemple, de porter tout cela sur sa note de frais à l’article «divers».

      Mais précisément la constante soumission de M. Fortunat faisait paraître son absence plus extraordinaire. Un tel oubli des plus vulgaires convenances ne se concevait pas de la part d’un homme si poli.

      De sorte que peu à peu le marquis de Valorsay passait de la colère à l’inquiétude.

      – Serait-il survenu quelque chose?.. pensait-il.

      C’est que les aiguilles de la pendule marchaient toujours… minuit était sonné depuis un moment déjà.

      Le

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