La vie infernale. Emile Gaboriau

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La vie infernale - Emile Gaboriau

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Venu le cœur bondissant d’espérances, il se retirait désespéré. Et sans souci de l’obscurité, de la boue, de la pluie qui recommençait, il allait au milieu de la chaussée…

      Il fallut que Chupin l’arrêtât à la barrière, et lui rappelât qu’une voiture les attendait…

      – C’est juste… fit-il.

      Il monta, mais sans s’en apercevoir, assurément. Et tout le long du chemin, sa pensée débordant de son cerveau, comme le liquide d’un vase trop étroit, se répandit en un monologue dont Chupin, par instants, attrapait quelques bribes.

      – Quelle affaire!.. murmurait-il, quelle affaire!.. J’en ai bien débrouillé depuis sept ans, mais jamais de si obscure… Ah! mes quarante mille francs sont bien aventurés. Certes! j’en ai bien déniché, de ces héritiers, dont on ne soupçonnait même pas l’existence, mais du moins j’avais quelque indice pour me guider… Ici, rien, pas une lueur… les ténèbres partout. Si je trouvais, cependant!.. Mais comment chercher des gens dont j’ignore même le nom, des gens qui ont su échapper à toutes les investigations de la police!.. Et où les chercher?.. En Europe, en Amérique?.. C’est à devenir fou!.. A qui donc iront tous les millions du comte de Chalusse!..

      L’arrêt brusque de la voiture sur la place de la Bourse appela cependant M. Fortunat au sentiment de la réalité.

      – Voici vingt francs, Victor, dit-il à Chupin, payez le cocher, vous garderez le reste.

      Ayant dit, il sauta lestement à terre.

      Devant sa maison, un coupé de maître, attelé de deux chevaux de prix stationnait.

      – L’équipage du marquis de Valorsay!.. grommela M. Fortunat. Il a été patient; il m’a attendu, ou plutôt il a attendu mes dix mille francs… Nous allons bien voir!..

      III

      M. Fortunat venait à peine de partir pour son expédition au «garni modèle,» lorsque le marquis de Valorsay s’était présenté chez lui.

      – Monsieur est sorti, répondit la Dodelin, qui était allée ouvrir.

      – Vous devez vous tromper, ma bonne…

      – Oh! non… Et même Monsieur a dit que vous l’espériez.

      – Allons, soit…

      Fidèle aux ordres qu’elle avait reçus, la servante conduisit le visiteur dans le salon, alluma les bougies d’un candélabre et se retira.

      – C’est prodigieux! grommelait le marquis, mons Fortunat se fait désirer, mons Fortunat se fait attendre!.. Enfin…

      Il sortit un journal de sa poche, s’allongea sur un fauteuil… et attendit.

      Par son nom, sa fortune, ses habitudes et ses goûts, le marquis de Valorsay appartenait à cette aristocratie – non sans alliage – du plaisir et de la vanité, qui pour exprimer des mœurs nouvelles a créé un vocable nouveau: «la haute vie.»

      Le cercle, le bois, les courses, les premières représentations, la chasse en automne, l’été les eaux, une maîtresse, son tailleur, ses relations du monde, ses chevaux emplissaient les journées du marquis de Valorsay de leurs frivoles soucis.

      Courir en personne un steeple-chase lui paraissait une prouesse digne de ses aïeux. Et quand il passait et repassait devant les tribunes, en tenue de jockey, avec ses bottes à revers et sa casaque amaranthe, il croyait lire l’admiration dans tous les yeux.

      C’était là comme le fond banal de son existence, d’où se détachaient quelques épisodes saillants: deux duels, une femme enlevée, une séance de vingt-six heures au jeu, une chute à la Marche, qui mit ses jours en danger.

      Tant d’avantages le rehaussaient considérablement dans l’estime de ses amis, et lui avaient valu une célébrité dont il n’était pas médiocrement fier.

      Les chroniqueurs usaient et abusaient de ses initiales, et dès qu’il quittait Paris, les journaux du sport ne manquaient jamais de signaler son départ, à l’article «Villégiatures et déplacements.»

      Le malheur est que cette vie d’oisiveté affairée a ses fatigues et ses accidents. M. de Valorsay en était la preuve vivante.

      Il n’avait que trente-trois ans, et il en paraissait pour le moins quarante, en dépit de soins excessifs. Les rides lui venaient, et tout l’art de son valet de chambre ne dissimulait qu’à grand’peine et mal les places vides de son crâne. De sa chute à la Marche, il lui était resté à la jambe droite une certaine roideur qui tournait à la claudication dès que le temps se mettait à la pluie.

      Toute sa personne, enfin, annonçait une lassitude prématurée, de même que ses yeux, lorsqu’il cessait de les surveiller, trahissaient le dégoût de tout, l’abus, la satiété.

      Il avait encore grand air malgré cela, une distinction innée que rien n’avait altéré, et ces façons hautaines qui annoncent l’estime exagérée de soi et l’habitude de commander des inférieurs…

      Onze heures sonnèrent à la pendule du salon de M. Fortunat; le marquis de Valorsay se dressa en jurant.

      – Ceci devient trop fort! grommela-t-il. Ce drôle se moque de moi, décidément.

      Il cherchait des yeux une sonnette, il n’en aperçut pas, et il en fut réduit, lui, à entrebâiller une porte et à appeler.

      La Dodelin parut.

      – Monsieur a dit qu’il serait ici à minuit, répondit-elle à toutes les questions du marquis, donc il y sera… Il n’a pas son pareil pour l’exactitude. Que monsieur patiente encore un petit moment.

      – Soit, patientons, mais alors, ma bonne, allumez-moi du feu, j’ai les pieds gelés!..

      Il est de fait que le salon de M. Fortunat, presque toujours fermé, était humide et froid comme une glacière.

      Et pour comble, M. de Valorsay était en habit, avec un pardessus très-léger.

      La servante hésita une seconde, trouvant que ce visiteur était bien sans gêne, et agissait comme chez lui. Pourtant elle obéit.

      – Évidemment, pensait le marquis, je devrais me retirer, oui, je le devrais…

      Il resta cependant. La nécessité mâta les révoltes de son orgueil.

      Orphelin de bonne heure, maître sans contrôle à vingt-trois ans d’un patrimoine immense, M. de Valorsay était entré dans la vie comme un affamé dans une salle à manger.

      Son nom lui donnant droit à une bonne place, il s’installa, les deux coudes sur la table, sans demander combien coûtait le banquet.

      C’était cher; il s’en aperçut à la fin de la première année en constatant qu’il avait de beaucoup dépassé ses revenus.

      Il était clair que s’il continuait ainsi, chaque année creuserait un abîme où s’engloutirait à la fin toute la fortune que lui avait laissée son père, plus de cent soixante mille livres de rente.

      Mais il avait bien le temps, vraiment, de songer à ces choses lointaines et mesquines! Et d’ailleurs il avait

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