La vie infernale. Emile Gaboriau
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On le plaça ensuite sur un fauteuil, on le monta à sa chambre et en moins de rien on l’eut déshabillé et couché.
Il ne donnait toujours pas signe de vie, et à le voir, la tête renversée sur ses oreillers, on devait croire que tout était fini.
C’était, d’ailleurs, à ne pas le reconnaître. Ses traits disparaissaient et se confondaient sous une bouffissure bleuâtre. Ses paupières étaient fermées et autour de ses yeux s’élargissait un cercle sanguinolent comme une meurtrissure. Un dernier spasme avait tordu ses lèvres, et sa bouche déplacée, inclinée tout à fait à droite et entr’ouverte, avait une expression sinistre.
Malgré des précautions inouïes, on l’avait blessé, en le dégageant; son front s’était heurté contre une ferrure, et de cette écorchure légère, un mince filet de sang coulait.
Il respirait encore, cependant, et en prêtant l’oreille, on entendait son souffle rauque, ce râle que Broussais compare au ronflement d’un soufflet engorgé.
Les valets, si bavards l’instant d’avant, se taisaient à cette heure. Ils restaient dans la chambre, mornes et blêmes, échangeant des regards de détresse. Quelques-uns avaient les larmes aux yeux.
Que se passait-il en eux? Peut-être subissaient-ils cet invincible effroi qui se dégage de la mort inattendue et soudaine… Ils aimaient peut-être, sans en avoir conscience, ce maître dont ils mangeaient le pain… Peut-être encore leur chagrin n’était-il qu’égoïsme, et se demandaient-ils ce qu’ils allaient devenir, où ils iraient, s’ils trouveraient une autre place et si elle serait bonne.
Ne sachant que faire, ils délibéraient à voix basse, chacun offrant quelque remède dont il avait entendu parler.
Les plus sensés proposaient d’aller prévenir Mademoiselle ou madame Léon, qui occupaient l’étage supérieur, lorsqu’un frôlement de robe contre l’huisserie de la porte, les fit tous retourner.
Celle qu’ils appelaient: «Mademoiselle,» était debout sur le seuil.
Mlle Marguerite était une belle jeune fille de vingt ans.
Elle était assez grande, brune, avec des yeux profonds que ses sourcils un peu accentués faisaient paraître plus sombres. Des masses épaisses de cheveux noirs encadraient son beau front pensif et triste. Il y avait quelque chose d’étrange en elle et d’un peu sauvage, une cruelle souffrance concentrée et une sorte de résignation hautaine.
– Que se passe-t-il? demanda-t-elle doucement. D’où vient tout ce bruit que j’ai entendu?.. J’ai sonné trois fois, personne n’est venu.
Personne n’osa lui répondre.
Surprise, elle promena autour d’elle un rapide regard. D’où elle était, elle ne pouvait apercevoir le lit, placé dans une alcôve, mais elle vit d’un coup d’œil l’attitude morne des gens, les vêtements épars sur le tapis, et tout le désordre de cette chambre magnifique et sévère, éclairée par la seule lampe de M. Bourigeau, le concierge.
Elle eut peur, un grand frisson la traversa, et d’une voix émue:
– Pourquoi êtes-vous tous ici?.. insista-t-elle. Parlez, qu’est-il arrivé?
M. Casimir fit un pas en avant.
– Un grand malheur, mademoiselle, un malheur terrible, M. le comte…
Et il s’arrêta, interdit, effrayé de ce qu’il allait dire… Trop tard, Mlle Marguerite avait compris.
D’un mouvement brusque, elle porta ses deux mains à son cœur, comme si elle eût senti une blessure atroce, et elle prononça ce seul mot:
– Perdue!..
Elle était devenue plus pâle que la mort, sa tête se renversait en arrière, ses yeux se fermaient, elle chancelait…
Deux femmes de chambre s’élancèrent pour la soutenir, elle les repoussa d’un geste doux, en murmurant:
– Merci!.. Merci!.. Laissez-moi… je suis forte.
Elle était assez forte, en effet, pour dompter sa mortelle défaillance. Elle rassembla toute son énergie, et, lentement, plus blanche qu’une statue, les dents serrées, les yeux secs et brillants, elle s’avança vers l’alcôve.
Là, elle resta un moment immobile, murmurant des paroles inintelligibles, et, enfin, écrasée sous la douleur, elle s’abattit à genoux devant le lit, y ensevelit sa tête, et pleura…
Profondément remués par le spectacle de ce désespoir si grand et si simple à la fois, les domestiques retenaient leur haleine, se demandant comment cela allait finir…
Cela finit vite. La malheureuse jeune fille se redressa brusquement, comme si une lueur d’espérance eût illuminé soudainement son esprit.
– Le médecin! dit-elle d’une voix brève.
– On est allé en chercher un, mademoiselle, répondit M. Casimir.
Et, entendant une voix et des pas dans l’escalier, il ajouta:
– Même, par bonheur, le voici!
Le docteur entra.
C’était un homme jeune, encore qu’il n’eût plus guère de cheveux sur le crâne. Il était petit, maigre, scrupuleusement rasé et vêtu de noir de la tête aux pieds.
Sans un mot, sans un salut, sans seulement toucher du doigt le bord de son chapeau, il marcha droit au lit et successivement il souleva les paupières du moribond, lui tâta le pouls, le palpa, et lui découvrit la poitrine, contre laquelle il appliqua son oreille.
Ayant terminé son examen, il dit:
– C’est grave!
Mlle Marguerite, qui avait suivi avec une poignante anxiété tous les mouvements du docteur, ne put retenir un sanglot.
– Mais tout espoir n’est pas perdu, n’est-ce pas, monsieur, fit-elle d’une voix suppliante et les mains jointes, vous le sauverez, n’est-ce pas, vous le sauverez!..
– On peut légitimement espérer.
Ce fut la seule réponse du docteur. Il avait tiré sa trousse et essayait froidement ses lancettes sur le bout de son doigt. Quand il en eut trouvé une à sa convenance:
– Je vous prierais, mademoiselle, dit-il, de faire retirer les femmes qui sont dans cette pièce et de vous retirer vous-même… les hommes resteront pour m’aider, si besoin est.
Elle obéit, avec cette résignation passive qui livre les malheureux à toutes les inspirations. Mais elle ne regagna pas son appartement. Elle resta sur le palier, le plus près possible de la porte, assise sur la première marche de l’escalier, tirant mille conjectures du plus léger bruit, comptant les secondes.
Le médecin, dans la chambre, n’en allait pas plus vite, non par tempérament, mais par principes.
Le docteur Jodon – il se nommait ainsi – était un ambitieux qui jouait un rôle. Élève d’un «prince de la science» plus célèbre par l’argent