La vie infernale. Emile Gaboriau
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Читать онлайн книгу La vie infernale - Emile Gaboriau страница 5
– Casimir, commanda-t-elle, cherchez dans les poches de M. de Chalusse la clef de son secrétaire.
Tout ébahi de ce qu’il jugeait un nouveau caprice, le valet de chambre obéit.
Il fouilla les vêtements épars sur le tapis, et de la poche du gilet retira une clef.
Elle était fort petite, ouvragée et découpée comme toutes les clefs des serrures de sûreté.
Mlle Marguerite la prit, en disant d’un ton bref:
– Un marteau.
On lui en apporta un.
Aussitôt, à la stupeur profonde du médecin, elle s’agenouilla devant la cheminée, posa à faux la clef sur un des chenêts de fer forgé, et d’un coup sec du marteau, la fit voler en éclats.
– Comme cela, prononça-t-elle, en se relevant, je serai tranquille.
On la regardait, elle crut devoir justifier jusqu’à un certain point sa conduite.
– Je suis certaine, dit-elle aux gens, que M. de Chalusse approuvera ma détermination. Quand il sera rétabli, il fera faire une autre clef.
L’explication était superflue. Il n’était pas un domestique qui ne crût deviner quel mobile l’avait guidée, pas un qui ne se dît à part soi:
– Mademoiselle a raison… Est-ce qu’on touche jamais au secrétaire d’un mourant! Qui sait ce qu’il y a de millions dans celui-ci?.. S’il y manquait quelque chose, on accuserait tout le monde… La clef brisée, il n’y aura pas de soupçon possible.
Mais le docteur se livrait à de bien autres conjectures.
– Que peut-il bien y avoir dans ce secrétaire qu’elle ne veut pas qu’on voie, pensait-il.
Cependant, il n’avait plus de raison de prolonger sa visite.
Une fois encore, il examina le malade, dont la situation restait la même, et après avoir expliqué ce qu’il y avait à faire en son absence, il déclara qu’il allait se retirer, pressé qu’il était par quantité de visites urgentes, ajoutant qu’il reviendrait vers minuit.
– Mme Léon et moi, veillerons M. de Chalusse, répondit Mlle Marguerite, ainsi, monsieur, vos prescriptions seront suivies à la lettre. Seulement… vous ne trouverez pas mauvais, je l’espère, que je fasse prier le médecin de M. le comte de venir vous prêter le concours de ses lumières…
M. Jodon trouvait cela très-mauvais, au contraire, d’autant plus mauvais que dix fois pareille mésaventure lui était arrivée dans ce quartier aristocratique. Survenait-il un accident, on l’appelait, parce qu’on l’avait là, sous la main; il donnait les premiers soins, il se flattait d’avoir conquis un client, et pas du tout, quand il se représentait, il trouvait quelque docteur illustre, venu de loin en voiture…
S’attendant à quelque chose de ce genre, il sut cacher son dépit.
– A votre place, mademoiselle, répondit-il, j’agirais comme vous… Si même vous jugez inutile que je me dérange…
– Oh! monsieur, je compte sur vous au contraire.
– En ce cas, très-bien…
Il salua; il se retirait, Mlle Marguerite le suivit sur le palier.
– Vous savez, monsieur, lui dit-elle bas et très-vite, que je ne suis pas la fille de M. de Chalusse… Vous pouvez donc m’avouer la vérité: son état est-il désespéré?
– Alarmant, oui; désespéré, non.
– Cependant, monsieur, cette insensibilité effrayante…
– Est une des suites fréquentes de… l’accident dont il a été victime. Si nous le sauvons, la paralysie disparaîtra peu à peu, la faculté de mouvement reviendra progressivement.
Mlle Marguerite écoutait, pâle, émue, embarrassée… Il était évident qu’elle avait sur les lèvres une question qu’il lui coûtait horriblement d’adresser. Enfin, s’armant de courage:
– Et si M. de Chalusse ne doit pas être sauvé, balbutia-t-elle, mourra-t-il sans reprendre connaissance… sans prononcer une parole?..
– Je ne puis rien affirmer, mademoiselle… l’affection de M. de Chalusse est de celles qui déconcertent toutes les hypothèses de la science.
Elle remercia tristement, fit appeler Mme Léon et regagna la chambre du comte.
Quant au docteur, tout en descendant l’escalier, il se disait:
– Singulière fille!.. A-t-elle peur que le comte ne reprenne connaissance?.. Souhaite-t-elle au contraire qu’il puisse parler?.. N’y a-t-il qu’une question de testament là-dessous?.. Y a-t-il autre chose? C’est à s’y perdre…
L’effort de sa méditation était si intense, qu’il oubliait jusqu’à l’endroit où il se trouvait, et il s’arrêtait presque à chaque marche. Il fallut, pour le rappeler à la réalité, l’air frais de la cour; mais aussi sa nature de charlatan reprit immédiatement le dessus.
– Mon ami, ordonna-t-il à M. Casimir qui l’éclairait, vous allez, à l’instant, faire répandre de la paille dans la rue pour amortir le fracas des voitures… Demain vous préviendrez le commissaire de police.
Dix minutes après, en effet, il y avait un pied de paille sur la chaussée, et les passants, involontairement, ralentissaient le pas, chacun sachant à Paris ce que signifie cette lugubre litière étalée devant une maison.
M. Casimir qui avait surveillé l’opération exécutée par les palefreniers, s’apprêtait à rentrer quand un tout jeune homme, qui depuis plus d’une heure se promenait devant la maison, s’avança rapidement vers lui.
Il n’avait pas encore un poil de barbe, ce garçon, et il avait le teint plombé et des rides comme un vieux buveur d’eau-de-vie. Il avait l’air intelligent et encore plus impudent; une audace inquiétante pétillait dans ses yeux. Bien des cordes manquaient à sa voix éraillée, et son accent traînard était le plus pur qu’il y ait aux barrières.
Son costume délabré était celui de ces pauvres diables à qui les huissiers de Paris, qui gagnent cinquante mille francs par an, abandonnent généreusement cinquante francs par mois en échange de la plus écœurante besogne.
– Qu’est-ce que vous voulez? demanda M. Casimir.
L’autre salua humblement, en disant:
– Comment, m’sieu, vous ne me reconnaissez pas?.. Toto… pardon! Victor Chupin, employé chez M. Isidore Fortunat.
– Tiens!.. c’est ma foi vrai!
– Je venais, m’sieu, de la part du patron, vous demander si vous avez enfin obtenu les renseignements que vous espériez; mais, voyant qu’il y a du nouveau chez vous, je n’ai pas osé entrer, j’ai préféré vous guetter…
– Et