La vie infernale. Emile Gaboriau
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Читать онлайн книгу La vie infernale - Emile Gaboriau страница 32
Il baissa la tête, et d’un ton de lamentable découragement:
– Que puis-je faire! balbutia-t-il. Comment démêler une trame ourdie avec une si infernale habileté?.. Sur le moment, si j’avais eu mon sang-froid, je pouvais peut-être me défendre et me justifier. Maintenant le mal est irréparable… Comment démasquer le traître, et quelles preuves de son infamie lui jeter à la face…
– Encore faudrait-il lutter avant de s’avouer vaincu, interrompit sévèrement Mme Férailleur… On ne déserte pas une tâche parce qu’elle est trop rude: on l’accepte, et si on meurt à la peine, on meurt du moins avec la conscience d’avoir fait son devoir.
– Ma mère!..
– Je te dois la vérité, mon fils!.. Manquerais-tu donc d’énergie!.. Allons, debout, et redresse la tête… Me laisseras-tu combattre seule!.. car je combattrai, moi!
Sans mot dire, Pascal saisit les mains de Mme Férailleur et les porta à ses lèvres. Son visage était inondé de larmes. Ses nerfs tendus outre mesure se détendaient sous ces effluves de la tendresse et du dévouement maternels. La raison, d’ailleurs, reprenait son empire, et les généreux accents de sa mère trouvaient leur écho en lui. Il eût, à cette heure, repoussé le suicide comme un acte de démence ou une lâcheté…
Désormais, Mme Férailleur était sûre de la victoire; mais cette certitude ne lui suffisait pas, elle voulait engager Pascal.
– Il est évident, poursuivit-elle, que M. de Coralth est l’artisan de ce crime abominable… Mais quel intérêt y avait-il?.. Voyons, Pascal, avait-il quelque raison de te craindre?.. T’avait-il confié ou avait-il surpris un secret qui l’eût perdu si tu l’avais divulgué?..
– Non, ma mère.
– Alors il n’aura été que le vil instrument d’un autre aussi misérable que lui!.. Rappelle bien tes souvenirs, mon fils, n’as-tu blessé aucun de ses amis? Es-tu sûr de ne faire obstacle à personne de son monde?.. Réfléchis… Votre profession a ses périls et on s’y prépare des ennemis cruels. Il est de ces causes scandaleuses où un avocat est forcé de déchirer cruellement la vanité de ses adversaires…
Pascal tressaillit.
Il lui semblait qu’une lueur s’allumait au milieu des ténèbres, chétive et confuse, il est vrai, mais enfin une lueur.
– Qui sait!.. murmura-t-il, qui sait!..
Mme Férailleur réfléchissait, et l’effort de ses réflexions ou leur nature faisait monter le rouge à son front.
– Il est des circonstances, reprit-elle, où une mère doit savoir franchir les bornes de… l’austère pudeur… Si tu avais une maîtresse, mon fils…
– Je n’en ai pas, interrompit-il.
Il était devenu pourpre, et après une courte hésitation il ajouta:
– Mais j’aime du plus profond et du plus saint amour une jeune fille, la plus belle et la plus chaste qui soit au monde… et qui par l’intelligence et par le cœur est digne de toi, ma mère…
Elle hochait gravement la tête, comme si elle se fût attendue à trouver une femme au fond de ce mystère d’iniquité. Elle demanda:
– Et qui est cette jeune fille? Comment s’appelle-t-elle?
– Marguerite…
– Marguerite qui?
L’embarras de Pascal redoubla.
– Elle n’a pas d’autre nom, répondit-il très-vite, et elle ne connaît pas ses parents… Elle demeurait dans notre rue, autrefois, avec sa gouvernante, Mme Léon, et une vieille domestique… C’est là que je l’ai aperçue pour la première fois… Elle habite maintenant l’hôtel du comte de Chalusse, rue de Courcelles…
– A quel titre?
– C’est le comte qui a pris soin d’elle… c’est à lui qu’elle doit son éducation… Il est comme son tuteur… et sans que jamais elle m’ait rien dit à ce sujet, je suppose que M. de Chalusse est son père…
– Et cette jeune fille t’aime, Pascal?..
– Je le crois, ma mère… Elle m’a juré qu’elle n’aurait jamais d’autre mari que moi.
– Et le comte?..
– Il ne sait, il ne soupçonne rien… De jour en jour je remettais à tout te dire et à te prier d’aller trouver M. de Chalusse… Ma position est si modeste encore… Le comte est immensément riche, il a l’intention de donner à Marguerite une dot énorme, deux millions, je crois…
Mme Férailleur l’interrompit d’un geste.
– Ne cherche plus, prononça-t-elle, voilà d’où part le coup.
Pascal se dressa en pied, les joues pourpres, l’œil en feu, la lèvre frémissante.
Il lui semblait qu’un éclair déchirant les ténèbres venait d’illuminer les profondeurs du gouffre où on l’avait précipité.
– Si cela était, cependant, s’écria-t-il, si cela était!.. Cette fortune immense du comte de Chalusse peut avoir tenté quelque misérable… Qui me dit qu’on n’a pas épié Marguerite et qu’on n’a pas découvert que je suis un obstacle!.. Ne sais-je pas quelles convoitises terribles allument les reflets des millions…
Mieux que personne, en effet, il pouvait connaître les effroyables expédients de la cupidité. Sa vie avait toujours été calme et unie, mais on n’est pas impunément quatre ans maître-clerc d’avoué. La triste expérience du monde chasse vite les illusions, en ces études où affluent fatalement, comme le linge sale aux lavoirs publics, les infamies de détail, les bassesses des intérêts en conflit, toutes les iniquités et les scélératesses de la vie intime, qui échappent à la cour d’assises et à la police correctionnelle.
– Crois-moi, insista Mme Férailleur, quelque chose en moi-même me dit que je ne me trompe pas… Je n’ai aucune preuve, et cependant je suis sûre…
Lui, réfléchissait.
– Et, avec cela, reprit-il, quelle coïncidence étrange!.. Sais-tu ce qui est arrivé la dernière fois que je lui ai parlé, à ma chère Marguerite… il y a eu hier huit jours. Elle était si triste et si visiblement agitée que j’en ai été effrayé… Je l’ai interrogée, elle n’a pas voulu, tout d’abord, répondre à mes questions, puis comme j’insistais: «Eh bien!.. m’a-t-elle dit, je tremble qu’il n’y ait quelque projet de mariage pour moi… M. de Chalusse ne m’en a pas touché un mot, mais depuis quelque temps il s’enferme souvent et reste de longues heures en conférence avec un jeune homme, dont le père lui a rendu un grand service autrefois… Et ce jeune homme, toutes les fois que je me trouve avec lui, me regarde d’un air singulier!..»