La vie infernale. Emile Gaboriau
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Читать онлайн книгу La vie infernale - Emile Gaboriau страница 39
– Fameuse, l’idée, grommela le concierge, mais pas pratique…
– Bast!.. qui sait?.. En attendant, je suis joliment vexé… Le comte m’allait énormément, je l’avais dressé à mes habitudes… et puis patatras!.. C’est une éducation à refaire.
M. Bourigeau n’était pas à la hauteur de cette sereine philosophie, et tout en endossant son pardessus, il geignait:
– Ah! vous n’êtes pas embarrassé, vous, Casimir; vous n’avez que votre corps à placer… J’ai mes meubles, moi… et si je ne trouve pas une porte de deux pièces, il faudra que j’en vende une partie… Quel guignon!..
Cependant il était prêt, il partit, et M. Casimir, qui n’osait remonter, se mit à faire les cent pas devant le pavillon.
Il avait bien fait trente tours, et commençait à s’impatienter, quand il aperçut, se glissant par l’entre-bâillure de la grande porte, une tête éveillée et futée comme celle d’une belette explorant avant de sortir l’alentour de son trou.
– Eh!.. c’est Victor Chupin, fit-il en s’avançant, mais sortons, sortons…
Et une fois dans la rue:
– Vous tombez comme marée en carême, poursuivit-il, n, i, ni, c’est fini.
Chupin bondit.
– Alors notre affaire tient, fit-il vivement; vous savez, pour les funérailles. Le premier commis de notre administration est prévenu.
– Diable! c’est que je ne sais si je serai le maître… Enfin, repassez toujours sur les trois heures.
– C’est bon, on y sera, m’sieu, et vous savez… défiez-vous de la concurrence.
Mais M. Casimir était préoccupé.
– Et M. Fortunat? demanda-t-il.
– Dame!.. je vous l’avais dit, m’sieu, il a reçu ce qui s’appelle un fier coup, hier soir… V’lan sur l’œil! Mais il s’est mis des compresses, cette nuit, et ce matin, ça va mieux… Même il m’a chargé de vous dire qu’il vous attendrait de midi à une heure, où vous savez…
– Je tâcherai d’y aller, quoique… Ah! si, pourtant. Je lui montrerai la lettre qui a causé l’attaque… Car je l’ai telle que le comte l’a recollée après l’avoir déchirée en menus morceaux… et j’ai même retrouvé sept ou huit morceaux que ni le comte, ni mademoiselle n’avaient su voir. C’est très-curieux, parole sacrée!
Chupin le regardait d’un air d’admiration ébahie.
– Mon Dieu!.. fit-il, que je voudrais donc être riche, m’sieu, pour avoir un valet de chambre comme vous!..
L’autre daigna sourire… Puis tout à coup:
– A tantôt, fit-il vivement, j’aperçois là-bas Bourigeau qui ramène le juge de paix!
VII
Celui qui arrivait à l’hôtel de Chalusse réalisait d’une façon saisissante toutes les idées qu’éveille ce titre simple et grand de Juge de Paix.
Il était bien tel qu’on aime à se représenter le magistrat de la famille et de la conciliation, l’incorruptible gardien des intérêts de l’absent, du petit et du faible, l’arbitre délicat et prudent des douloureux débats entre proches, l’homme d’expérience et de bien que dépeignait Thouret du haut de la tribune, le sage dont la paternelle justice se passe d’appareil, et que la loi autorise à donner audience au coin de son foyer, en sa maison, pourvu que les portes en restent ouvertes.
C’était un homme qui avait dépassé la cinquantaine, maigre, assez grand, un peu voûté, vêtu selon une mode vieillie, mais non antique ni ridicule.
L’expression de sa physionomie était la douceur poussée jusqu’à la débonnaireté. Mais on eût eu tort de s’y fier; on le comprenait à son regard vif et tranchant, un regard exercé à pénétrer jusqu’au fond des consciences pour y faire tressaillir la vérité.
Du reste, comme tous les hommes accoutumés à délibérer intérieurement en public, il s’était fait un masque immobile. Il pouvait tout entendre et tout voir, tout soupçonner et tout comprendre, sans qu’un muscle de son visage bougeât…
Et cependant les habitués de son prétoire, les agréés de ses audiences, son greffier même, prétendaient distinguer toutes ses impressions.
Une bague ayant une fort belle pierre, que le juge portait au doigt, servait aux autres de baromètre…
Un cas difficile, embarrassant pour sa conscience, se présentait-il? Ses yeux s’attachaient obstinément à sa bague. Satisfait, il la remontait et la faisait jouer entre la première et la seconde phalange. Mécontent, il tournait brusquement le chaton en dedans…
Quoiqu’il en soit, il était assez imposant en sa simplicité pour intimider M. Casimir.
Le fier valet de chambre s’inclina, dès qu’il le vit à cinq pas, et l’échine en cerceau, la bouche en cœur, de sa voix la plus obséquieuse:
– C’est moi, dit-il, qui me suis permis de faire appeler M. le juge…
– Ah!..
Déjà le magistrat en savait sur l’hôtel de Chalusse et sur les événements de la veille et de la matinée, tout autant que M. Casimir lui-même…
Le long de la route, avec une douzaine seulement de questions bénignes, il avait retourné comme un gant le sieur Bourigeau.
– Si Monsieur veut, poursuivit M. Casimir, je puis lui expliquer…
– Rien… inutile!.. Conduisez-nous…
Ce «nous» étonna le valet de chambre, mais il en eut l’explication au perron.
Là, seulement, il remarqua un personnage à mine florissante et hilare, qui marchait dans l’ombre du juge de paix, portant sous le bras un gros portefeuille de chagrin noir où on lisait en lettres d’or: Greffe.
Ce personnage était le greffier.
Il paraissait d’ailleurs aussi satisfait de son emploi que de soi, et tout en suivant M. Casimir, il examinait d’un œil d’huissier priseur les splendeurs de l’hôtel de Chalusse, les mosaïques du vestibule, les marbres, les fresques des murailles.
Peut-être supputait-il ce qu’il eût fallu d’années des appointements d’un greffier réunis au maigre traitement d’un juge, pour payer les magnificences de ce seul escalier.
Sur le seuil de la chambre de M. de Chalusse, le magistrat s’arrêta.
Il y avait eu du changement en l’absence de M. Casimir. D’abord le docteur