La vie infernale. Emile Gaboriau

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La vie infernale - Emile Gaboriau

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Elle psalmodiait les prières des morts, et de temps à autre s’interrompait pour tremper sa branche de buis dans l’eau et asperger le lit.

      Les deux fenêtres avaient été entr’ouvertes malgré le froid, et devant la cheminée, sur le marbre, on avait placé un réchaud plein de braise où un domestique jetait alternativement du vinaigre et du sucre en poudre, dont la fumée montait en épaisses spirales et emplissait la chambre.

      A la vue du juge de paix tout le monde s’était levé… Lui, après un assez long examen, se découvrit respectueusement et entra.

      – Pourquoi tant de monde ici? demanda-t-il.

      – C’est moi qui ai eu cette idée, répondit M. Casimir, parce que…

      – Vous êtes… défiant, interrompit le magistrat…

      Déjà le greffier avait tiré de sa serviette des plumes et du papier, et il relisait l’ordonnance rendue par le juge en son cabinet, sur la requête du sieur Bourigeau, et en vertu de laquelle il allait être procédé à l’apposition des scellés…

      Les yeux du juge, depuis son entrée, ne quittaient pas Mlle Marguerite, qui pâle, les yeux rouges, se tenait debout près de la cheminée.

      Enfin, il s’avança vers elle, et d’un ton où éclatait une pitié profonde:

      – Vous êtes Mlle Marguerite?.. demanda-t-il.

      Elle leva sur lui son beau regard clair, plus beau à travers les larmes qui tremblaient à ses cils, et d’une voix altérée elle répondit: Oui, monsieur.

      – Êtes-vous parente, mademoiselle… à un degré quelconque, de M. le comte de Chalusse?.. avez-vous quelques droits à sa succession?..

      – Non, monsieur…

      – Excusez-moi, mademoiselle, mais ces questions sont indispensables… Qui vous a confiée à M. de Chalusse, et à quel titre?.. Votre père… votre mère?..

      – Je n’ai ni père ni mère, monsieur, je suis seule au monde!.. Seule…

      Lentement, le perspicace regard du juge fit le tour de la chambre.

      – Alors… je comprends, fit-il. On aura profité de votre isolement, pour vous manquer… pour vous outrager, peut-être!..

      Toutes les têtes se baissèrent, et M. Casimir regretta de n’être pas resté dans la cour.

      Mlle Marguerite, elle, contemplait le magistrat d’un air étonné, ne concevant pas sa clairvoyance. Elle ignorait son entretien avec le sieur Bourigeau et ne savait pas qu’à travers les contes ridicules et les allégations mensongères du portier il avait discerné en partie la vérité.

      – J’aurai l’honneur, mademoiselle, reprit-il, de vous demander tout à l’heure un moment d’entretien… Mais, avant, une question encore: Le comte de Chalusse avait pour vous, m’a-t-on dit, l’affection la plus vive. Êtes-vous sûre qu’il ne se soit pas préoccupé de votre avenir?.. Êtes-vous sûre qu’il ne laisse pas de testament?

      La jeune fille hocha la tête.

      – Il en avait fait un autrefois en ma faveur, répondit-elle… Je l’ai vu… il me l’a donné à lire… Mais il a été déchiré quinze jours après mon installation ici, et sur ma prière…

      Depuis un moment, Mme Léon sentait sa langue se sécher dans sa bouche.

      Aussi, triomphant de l’appréhension que lui causait le magistrat, se décida-t-elle à s’approcher.

      – Comment pouvez-vous dire cela! chère demoiselle, s’écria-t-elle. Ne savez-vous pas combien M. le comte, Dieu ait son âme! était un homme inquiet. Je parierais, voyez-vous, qu’il y a un bout de testament quelque part.

      L’œil du juge ne quittait plus le chaton de sa bague.

      – On peut toujours chercher avant d’apposer les scellés… Vous avez qualité pour me requérir… ainsi, si vous le voulez?

      Elle ne répondit pas.

      – Oh! oui… insista Mme Léon, je vous en prie, monsieur, cherchez…

      – Mais où serait ce testament?..

      – Ici, pour sûr, dans ce secrétaire, ou dans un des meubles du cabinet de défunt M. le comte.

      Le juge de paix connaissait l’histoire de la clef, mais peu importe.

      – Où est la clef de ce secrétaire? demanda-t-il.

      – Hélas!.. monsieur, répondit Mlle Marguerite, je l’ai brisée hier soir quand on a rapporté M. de Chalusse mourant. Pourquoi?.. vous devez le comprendre… J’espérais éviter ce qui est néanmoins arrivé… Puis, je savais que dans ce secrétaire se trouve une forte somme en or, et plus de deux millions en billets de banque et en valeurs au porteur… Cela tenait toute la tablette supérieure.

      Deux millions… là!.. Tous les assistants eurent un éblouissement. Le greffier en laissa tomber un pâté sur son papier. Deux millions!..

      Évidemment le magistrat délibérait.

      – Hum!.. murmurait-il, porte close… il y aurait peut-être lieu à référé… D’un autre côté, il y a certainement urgence… Ma foi!.. je vais toujours statuer par provision.

      Et se décidant:

      – Qu’on aille quérir un serrurier, dit-il…

      On partit, et en attendant, il alla s’asseoir près du greffier, lui expliquant comment il faudrait relater l’incident au procès-verbal.

      Enfin, l’ouvrier parut, sa trousse de cuir pendue à l’épaule, et aussitôt il se mit à l’œuvre.

      Ce fut long, ses crochets ne mordaient pas et il parlait de scier le pêne, quand tout à coup il trouva le joint et l’abattant tomba…

      Le secrétaire était vide, il n’y avait sur la tablette que quelques papiers et un flacon bouché à l’émeri, aux trois-quarts plein d’une liqueur rouge…

      Le cadavre de M. de Chalusse secouant son linceul et se dressant, eût à peine produit une plus formidable impression…

      Un même frisson de peur secoua tous les gens rassemblés dans cette chambre…

      Le secrétaire était vide. Une fortune énorme avait disparu. Les mêmes soupçons allaient peser sur tous… Et chacun déjà se voyait arrêté, emprisonné, traîné devant les tribunaux…

      Puis, au premier moment d’effarement la colère succédant, une furieuse clameur s’éleva.

      – Un vol a été commis! criaient-ils tous ensemble. Mademoiselle a eu la clef à sa disposition… Il ne faut pas qu’on accuse des innocents!..

      Si émouvante que fût cette scène, elle n’était pas capable d’altérer l’impassible sang-froid du magistrat. Il en avait vu d’autres, lui qui, vingt fois dans sa vie, avait dû se jeter entre des héritiers, entre des enfants prêts à en venir aux mains devant le cadavre non encore refroidi de leur père…

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