La vie infernale. Emile Gaboriau
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Читать онлайн книгу La vie infernale - Emile Gaboriau страница 38
Et ce fut tout… comme si cet effort suprême eût brisé le dernier lien qui retenait encore l’âme près de s’envoler!..
– Un prêtre!.. cria Mme Léon d’une voix lamentable, un prêtre, au nom du ciel…
– Un notaire plutôt, opina M. Casimir, vous voyez bien qu’il voudrait tester…
Ce fut le médecin qui parut pâle, tout effaré…
Il marcha au lit, n’y jeta qu’un coup d’œil, et d’une voix grave:
– Le comte de Chalusse est mort… prononça-t-il.
Il y eut une minute de stupeur.
De cette stupeur profonde qui se dégage de la mort, quand elle est soudaine surtout, et pour ainsi dire inattendue.
Sentiment mêlé de doute, d’égoïsme et d’épouvante. Cette furtive survenue du néant force chacun à un retour sur soi que précise cette phrase populaire:
«Ce que c’est que de nous!»
– Oui, c’est fini, murmurait le docteur, bien fini!..
Et comme il était familiarisé avec ces scènes funèbres, lui, comme il avait tout son sang-froid, il étudiait sournoisement l’attitude de Mlle Marguerite.
Elle semblait foudroyée, ou plutôt pétrifiée…
L’œil fixe et sec, le visage contracté, elle restait en place, le cou tendu vers le cadavre de M. de Chalusse comme si elle eût attendu un miracle, comme si elle eût encore espéré entendre sortir de sa bouche à jamais glacée le secret qu’il n’avait pu dire et qu’il emportait dans la tombe.
Le médecin fut d’ailleurs le seul à remarquer cela.
Les autres, pâles et consternés, échangeaient des regards de détresse… Les femmes s’étaient laissées glisser à genoux et pleuraient, tout en bégayant des prières.
Mais plus haut que toutes les autres sanglotait Mme Léon.
Ce furent d’abord des gémissements inarticulés, puis tout à coup elle se jeta sur Mlle Marguerite, et se mit à la presser entre ses bras en criant:
– Quel malheur! Chère enfant adorée, quelle perte!
Absolument incapable de prononcer une parole, la pauvre jeune fille repoussait doucement la femme de charge et essayait de se dégager… Mais l’autre s’obstinait et poursuivait:
– Pleurez, chère demoiselle, pleurez… N’enfermez pas ainsi votre douleur en vous-même…
Elle-même l’enfermait si peu que le docteur lui en fit un peu impérieusement la remarque. Alors, elle parut se faire une violence extraordinaire, et tout en se tamponnant les yeux avec son mouchoir, elle poursuivit d’une voix entrecoupée et convulsive:
– Oui, docteur, oui, vous avez raison… je saurai me modérer… Mais, au nom de votre mère, docteur, arrachez ma bien-aimée Marguerite à ce spectacle trop cruel pour son jeune cœur… Qu’elle se retire dans sa chambre, prier Dieu de lui envoyer des forces pour supporter le coup qui la frappe…
Certes, la malheureuse enfant ne songeait pas à se retirer; mais avant qu’elle eût pu manifester son intention, M. Casimir s’avança.
– Je crois, opina-t-il d’un ton sec, que mademoiselle fera mieux de rester ici…
– Hein! fit Mme Léon, se redressant soudain, et pourquoi, s’il vous plaît…
– Parce que… parce que…
La colère avait séché les pleurs de la femme de charge.
– Qu’est-ce que cela signifie, dit-elle, prétendriez-vous empêcher mademoiselle de faire ce que bon lui semble chez elle…
M. Casimir se permit un sifflement qui, la veille, eût fait tomber sur sa joue la main de l’homme étendu là, à trois pas.
– Chez elle, répondit-il, chez elle!.. Hier… je ne dis pas! ce matin, c’est une autre paire de manches… Est-elle parente du comte? Non, n’est-ce pas. Que me chantez-vous donc?.. Nous sommes tous égaux ici.
Son accent goguenard avait un tel degré d’impudence, il dissimulait si peu toutes sortes de honteuses et viles réticences, que le docteur en fut indigné.
– Drôle!.. fit-il.
Mais l’autre se rebiffa d’un air qui prouvait bien qu’il connaissait le domestique du médecin, et, par contre, tous les secrets de son intérieur.
– Appelez drôle votre valet de chambre, si cela lui convient, riposta-t-il; moi, cela ne me va pas, monsieur le médecin… Votre besogne est terminée ici, n’est-ce pas?.. Laissez-nous donc arranger nos affaires nous-mêmes… Je sais ce que je dis, Dieu merci!.. On connaît les précautions qu’il faut prendre dans une maison mortuaire, pleine de richesses de la cave au grenier, quand au lieu de parents il s’y trouve des… personnes qui… y sont… sans qu’on sache ni pourquoi ni comment… A qui s’en prendrait-on, s’il manquait des valeurs?.. Aux pauvres domestiques, comme toujours… Ah! ils ont bon dos, eux!.. on fouillerait leurs malles, on n’y trouverait rien, et tout de même on les enverrait en prison… Les autres, pendant ce temps, s’en iraient avec leur butin… Pas de ça, Lisette!.. Personne ne bougera d’ici avant l’arrivée de la justice…
Mme Léon écumait de colère.
– C’est bien!.. interrompit-elle, je vais faire prévenir l’ami intime de M. de Chalusse, le général…
– Eh!.. je me moque bien de votre général…
– Malhonnête!..
L’intervention de Mlle Marguerite l’arrêta.
Le bruit toujours croissant de cette indécente discussion avait tiré la malheureuse jeune fille de son anéantissement.
L’insolence du valet se vengeant lâchement de ses bassesses de la veille, avait fait monter le rouge à son front, et elle s’avançait d’un pas roide.
– Vous oubliez, prononça-t-elle, qu’on n’élève pas la voix dans la chambre d’un mort!
Cela fut si bien dit, et avec un tel accent de majesté hautaine, que M. Casimir en demeura écrasé.
Du doigt elle lui montra la porte, et froidement:
– Allez chercher le juge de paix, commanda-t-elle… Vous ne remettrez les pieds ici qu’avec lui…
Il s’inclina, balbutiant quelques excuses confuses et sortit…
– C’est encore elle qui est la plus raisonnable, grommelait-il… Ah! mais oui, on mettra les scellés; ah! mais oui…
Quand il entra dans le pavillon du concierge, M. Bourigeau se levait, ayant dormi sa grasse nuit pendant que sa femme veillait.
– Vite!.. lui dit M. Casimir, finissez de vous habiller pour courir chez le juge de paix… il nous le faut… tout est réglé là-haut,