La San-Felice, Tome 08. Dumas Alexandre

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La San-Felice, Tome 08 - Dumas Alexandre

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batteries furent établies, et, au bout de deux heures, la muraille offrait une brèche praticable.

      On envoya alors un parlementaire au commandant: il offrait la vie sauve.

      –Lis ce qui est écrit sur la porte du fort, répondit le vieux prêtre: Nous venger, vaincre ou mourir! Si nous ne pouvons vaincre, nous mourrons et nous nous vengerons.

      Sur cette réponse, Russes et Calabrais s'élancèrent à l'assaut.

      La fantaisie d'un empereur, le caprice d'un fou, de Paul Ier, envoyait des hommes nés sur les rives de la Néva, du Volga et du Don, mourir pour des princes dont ils ignoraient le nom, sur les plages de la Méditerranée.

      Deux fois ils furent repoussés et couvrirent de leurs cadavres le chemin qui conduisait à la brèche.

      Une troisième fois, ils revinrent à la charge, les Calabrais conduisant l'attaque. Au fur et à mesure que ceux-ci déchargeaient leurs fusils, ils les jetaient; puis, le couteau à la main, ils s'élançaient dans l'intérieur du fort. Les Russes les suivaient, poignardant avec leurs baïonnettes tout ce qu'ils trouvaient devant eux.

      C'était un combat muet et mortel, un combat corps à corps, dans lequel la mort se faisait jour, au milieu d'embrassements si étroits, qu'on eût pu les croire des embrassements fraternels. Cependant, la brèche une fois ouverte, les assaillants croissaient toujours, tandis que les assiégés tombaient les uns après les autres sans être remplacés.

      De deux cents qu'ils étaient d'abord, à peine en restait-il soixante, et plus de quatre cents ennemis les entouraient. Ils ne craignaient pas la mort; seulement, ils mouraient désespérés de mourir sans vengeance.

      Alors, le vieux prêtre, couvert de blessures, se dressa au milieu d'eux, et, d'une voix qui fut entendue de tous:

      –Êtes-vous toujours décidés? demanda-t-il.

      –Oui! oui! oui! répondirent toutes les voix.

      A l'instant même, Antonio Toscano se laissa glisser dans le souterrain où était la poudre, il approcha d'un baril un pistolet qu'il avait conservé comme suprême ressource, et fit feu.

      Alors, au milieu d'une épouvantable explosion, vainqueurs et vaincus, assiégeants et assiégés, furent enveloppés dans le cataclysme.

      Naples fut secouée comme par un tremblement de terre, l'air s'obscurcit sous un nuage de poussière, et, comme si un cratère se fût ouvert au pied du Vésuve, pierres, solives, membres écartelés retombèrent sur une immense circonférence.

      Tout ce qui se trouvait dans le fort fut anéanti: un seul homme, étonné de vivre sans blessures, emporté dans l'air, retomba dans la mer, nagea vers Naples et regagna le Château-Neuf, où il raconta la mort de ses compagnons et le sacrifice du prêtre.

      Ce dernier des Spartiates calabrais se nommait Fabiani.

      La nouvelle de cet événement se répandit en un instant dans les rues de Naples et y souleva un enthousiasme universel.

      Quant au cardinal, il vit immédiatement le parti qu'il pouvait tirer de l'événement.

      Le feu du fort de Vigliana éteint, rien ne lui défendait plus d'approcher de la mer, et il pouvait, à son tour, avec ses pièces de gros calibre, foudroyer la petite escadre de Caracciolo.

      Les Russes avaient des pièces de seize. Ils établirent une batterie au milieu des débris mêmes du fort, qui leur servirent à construire des épaulements, et ils commencèrent, vers cinq heures du soir, à foudroyer la flottille.

      Caracciolo, écrasé par des boulets russes, dont un seul suffisait pour couler bas une de ses chaloupes, quelquefois deux, fut obligé de prendre le large.

      Alors le cardinal put faire avancer ses hommes par la plage, demeurée sans défense depuis la prise du fort de Vigliana, et les deux champs de bataille de la journée restèrent aux sanfédistes, qui campèrent sur les ruines du fort et poussèrent leurs avant-postes jusqu'au delà du pont de la Madeleine.

      Bassetti, nous l'avons dit, défendait Capodichino, et, jusque-là, avait paru combattre franchement pour la République, qu'il trahit depuis. Tout à coup, il entendit retentir derrière lui les cris de «Vive la religion! vive le roi!» poussés par fra Pacifico et les lazzaroni sanfédistes qui, profitant de ce que les rues de Naples étaient demeurées sans défenseurs, s'en étaient emparés. En même temps, il apprit la blessure et la mort de Writz. Il craignit alors de demeurer dans une position avancée où la retraite pouvait lui être coupée. Il croisa la baïonnette et s'ouvrit, à travers les rues encombrées de lazzaroni, un passage jusqu'au Château-Neuf.

      Manthonnet, avec sept ou huit cents hommes, avait vainement attendu une attaque sur les hauteurs de Capodimonte; mais, ayant vu sauter le fort de Vigliana, ayant vu la flottille de Caracciolo forcée de s'éloigner, ayant appris la mort de Writz et la retraite de Bassetti, il se retira lui-même par le Ramero sur Saint-Elme, où le colonel Mejean refusa de le recevoir. Il s'établit en conséquence, lui et ses patriotes, dans le couvent Saint-Martin, placé au pied de Saint-Elme, moins fortifié que lui par l'art, mais aussi fortifié par la position.

      De là, il pouvait voir les rues de Naples livrées aux lazzaroni, tandis que les patriotes se battaient au pont de la Madeleine et sur toute la plage, du port de Vigliana à Portici.

      Exaspérés par le prétendu complot dressé contre eux par les patriotes, et à la suite duquel ils devaient être tous étranglés si saint Antoine, meilleur gardien de leur vie que ne l'était saint Janvier, ne fût venu en personne révéler le complot au cardinal, les lazzaroni, excités par fra Pacifico, se livraient à des cruautés qui dépassaient toutes celles qu'ils avaient commises jusque-là.

      Pendant le trajet que Salvato dut parcourir pour aller de l'endroit où il avait été arrêté à celui où il devait attendre la mort que lui promettait le beccaïo, il put voir quelques-unes de ces cruautés auxquelles se livraient les lazzaroni.

      Un patriote attaché à la queue d'un cheval passa, emporté par l'animal furieux, laissant, sur les dalles qui pavent les rues, une large traînée de sang et achevant de laisser aux angles des rues et des vicoli les débris d'un cadavre chez lequel le supplice survivait à la mort.

      Un autre patriote, les yeux crevés, le nez et les oreilles coupés, le croisa trébuchant. Il était nu, et des hommes qui le suivaient en l'insultant, le forçaient de marcher en le piquant par derrière avec des sabres et des baïonnettes.

      Un autre, à qui l'on avait scié les pieds, était forcé à coups de fouet de courir sur les os de ses jambes comme sur des échasses, et, chaque fois qu'il tombait, à coups de fouet était forcé de se relever et de reprendre cette course effroyable.

      Enfin à la porte était dressé un bûcher sur lequel on brûlait des femmes et des enfants que l'on y jetait vivants ou moribonds, et dont ces cannibales, et, entre autres, le curé Rinaldi, que nous avons déjà eu l'occasion de nommer deux ou trois fois, s'arrachaient les morceaux à moité cuits pour les dévorer1.

      Ce bûcher était fait d'une partie des meubles du palais jetés par les fenêtres. Mais, la rue s'étant trouvée encombrée, le rez-de-chaussée avait été moins dévasté que les autres pièces, et dans la salle à manger restaient une vingtaine de chaises et une pendule qui continuait à marquer l'heure avec l'impassibilité des choses mécaniques.

      Salvato jeta un coup d'oeil machinal sur cette pendule: elle marquait quatre heures un quart.

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Comme on pourrait croire que nous faisons de l'horreur à plaisir, nous allons citer les différents textes auxquels nous empruntons ces détails.

«En outre, – dit Bartolomeo Nardini dans ses Mémoires pour servir à l'histoire des révolutions de Naples, par un témoin oculaire, – en outre, le cardinal avait fait fabriquer une quantité de lacets qu'il faisait jeter dans les maisons pour donner à ce mensonge l'apparence de la vérité. Les jeunes gens de la ville, qui avaient été forcés de s'inscrire aux rôles de la garde nationale, fuyaient, quelques-uns travestis en femmes, les autres en lazzaroni, et se cachaient dans les maisons les plus misérables, pensant que celles-là seraient les plus respectées. Mais ceux qui avaient eu la chance de passer à travers le peuple sans être reconnus, ne trouvaient point d'hôtes qui voulussent les recevoir. On savait trop bien que les maisons où on les trouverait seraient livrées au pillage et à l'incendie. Les frères fermèrent la porte à leurs frères, les épouses à leurs époux, les parents à leurs enfants. Il se trouva à Naples un père si dénaturé, que, pour prouver son attachement au parti royaliste, il livra de sa propre main son fils à cette populace, sans même qu'il fût poursuivi par elle, et se fit une cuirasse avec le sang de son enfant.

»Ces malheureux fugitifs, ne trouvant personne qui consentît à leur donner asile, étaient contraints de se cacher dans les égouts de la ville, où ils rencontraient d'autres malheureux, forcés de s'y cacher comme eux, et hors desquels la faim les forçait de sortir la nuit pour aller chercher quelque nourriture. Les lazzaroni les attendaient à l'affût, s'emparaient d'eux, les faisaient expirer au milieu des tortures; puis, à ces corps mutilés, ils coupaient les têtes, qu'ils portaient au cardinal Ruffo.»

Attendez-vous à mieux que cela.

»Durant l'assaut des châteaux et de la ville, raconte l'historien Cuoco, – le même que, dans sa lettre à Ruffo, le roi condamna irrévocablement à mort, – durant l'assaut des châteaux, le peuple napolitain commit des barbaries qui font frémir et deviennent inexplicables, même à l'endroit des femmes. Il éleva sur les places publiques des bûchers où il faisait cuire et mangeait les membres des malheureux qu'il y jetait vivants ou moribonds.»

Or, notez que l'homme qui raconte ceci est Vicenzo Cuoco, l'auteur du Précis sur les événements de Naples, c'est-à-dire un des magistrats les plus distingués du barreau napolitain. Malgré la recommandation de Ferdinand, il parvint à échapper au massacre populaire et au massacre juridique qui le suivit. Exilé pendant dix ans de sa patrie, il y rentra avec le roi Joseph, fut ministre sous Murat, et devint fou de terreur parce que, Murat tombé, le prince Léopold lui fit demander son Précis historique.

Un autre auteur, qui garde l'anonyme et qui intitule son livre Mes Périls, raconte que, s'étant sauvé, déguisé en femme, dans une maison où l'on voulut bien lui donner l'hospitalité, il y fit connaissance avec le curé Rinaldi, qui, ne sachant point écrire, le tourmentait pour lui faire rédiger pour Ferdinand un mémoire où il sollicitait de Sa Majesté la faveur d'être nommé gouverneur de Capoue, énumérant au nombre de ses droits incontestables à ce poste d'avoir, à cinq ou six reprises différentes, mangé du jacobin, et, entre autres, une épaule d'enfant tiré du sein de sa mère éventrée.

On ferait un livre à part du simple récit des différentes tortures infligées aux patriotes, tortures qui font le plus grand honneur à l'imagination des lazzaroni napolitains, en ce que ces tortures ne sont portées ni sur le répertoire de l'inquisition, ni sur le catalogue des supplices des Indiens rouges.