La San-Felice, Tome 08. Dumas Alexandre
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Au grand étonnement de Giovanni, le vieux Basso Tomeo ne vit point à ce mariage une insurmontable difficulté. C'était un grand philosophe que le pêcheur de Mergellina, et la même raison qui lui avait fait refuser sa fille à Michele le poussait à offrir son fils à Marina.
Michele, au su de tout le monde, n'avait pas le sou, tandis que maître Donato, exerçant un métier, exceptionnel, c'est vrai, mais, par cela même, lucratif, devait avoir une escarcelle bien garnie.
Le vieux pêcheur consentit donc à s'aboucher avec maître Donato.
Il alla le trouver et lui exposa le motif de sa visite.
Quoique Marina, ainsi que nous l'avons dit, fût charmante, et quoique le préjugé social soit moins grand chez les Méridionaux que chez les hommes du Nord, à Naples qu'à Paris, une fille de bourreau n'est point marchandise facile à placer, et maître Donato ouvrit l'oreille aux propositions du vieux Basso Tomeo.
Toutefois, le vieux Basso Tomeo, avec une franchise qui lui faisait honneur, avouait que l'état de pêcheur, suffisant à nourrir son homme, ne suffisait pas à nourrir une famille, et qu'il ne pouvait pas donner à son fils le moindre ducat en mariage.
Il fallait donc que les jeunes époux fussent dotés par maître Donato, ce qui lui serait d'autant plus facile qu'on entrait dans une phase de révolution, et, comme il est de tradition qu'il n'est point de révolution sans exécutions, maître Donato, qui, à six cents ducats, c'est-à-dire à deux mille quatre cents francs de fixe par an, joignait dix ducats de prime, c'est-à-dire quarante francs à chaque exécution, allait, en quelques mois, faire une fortune, non-seulement rapide, mais colossale.
Dans la perspective de ce travail lucratif, il promit de donner à Marina une dot de trois cents ducats.
Seulement, voulant donner cette somme, non point sur ses économies déjà faites, mais sur son gain à venir, il avait remis le mariage à quatre mois. C'était bien le diable si la révolution ne lui donnait point à faire huit exécutions en quatre mois, une par quinzaine.
Ce bas chiffre représentait trois cents vingt ducats; ce qui lui donnait encore vingt ducats de bénéfice.
Par malheur pour Donato, on a vu de quelle façon philanthropique s'était faite la révolution de Naples; de sorte que, trompé dans son calcul et n'ayant pas eu la moindre pendaison à exécuter, maître Donato se faisait tirer l'oreille pour consentir au mariage de Marina avec Giovanni, ou plutôt au versement de la dot qui devait assurer l'existence des deux jeunes gens.
Voilà pourquoi il était assis à la même table que Basso Tomeo; car, nous ne le cacherons pas plus longtemps à nos lecteurs, cet homme qui leur est inconnu, qui est assis en face du vieux pêcheur, qui saisit le fiasco par son col mince et flexible et qui remplit le verre de son partner, c'est maître Donato, le bourreau de Naples.
–Si, ce n'est pas fait pour moi! Comprenez-vous, compère Tomeo? c'est-à-dire que, quand j'ai vu s'établir la République, que j'ai demandé à des gens instruits ce que c'était que la République, et que ceux-ci m'ont expliqué que c'était une situation politique dans laquelle la moitié des citoyens coupait le cou à l'autre, je me suis dit: «Ce n'est point trois cents ducats que je vais gagner, c'est mille, cinq mille, dix mille ducats, c'est-à-dire une fortune!»
–C'était à penser, en effet. On m'a assuré qu'en France il y avait un citoyen nommé Marat qui demandait trois cent mille têtes dans chaque numéro de son journal. Il est vrai qu'on ne les lui donnait pas toutes; mais enfin on lui en donnait quelques-unes.
–Eh bien, pendant cinq mois qu'a duré notre révolution, à nous, pas un seul Marat: des Cirillo, des Pagano, des Charles Laubert, des Manthonnet tant qu'on en a voulu, c'est-à-dire des philanthropes qui ont crié sur les terrasses: «Ne touchez pas aux individus! respectez les propriétés!»
–Ne m'en parlez pas, compère, dit Basso Tomeo en haussant les épaules; on n'a jamais vu une pareille chose. Aussi, vous voyez où ils en sont, MM. les patriotes: cela ne leur a point porté bonheur.
–C'est au point que, quand j'ai vu qu'on pendait à Procida et à Ischia, j'ai réclamé. Partout où l'on pend, il me semble que je dois en être; mais savez-vous ce que l'on m'a répondu?
–Non.
–On m'a répondu qu'on ne pendait pas dans les îles pour le compte de la République, mais pour le compte du roi; que le roi avait envoyé de Palerme un juge pour juger, et que les Anglais avaient fourni un bourreau pour pendre. Un bourreau anglais! Je voudrais bien voir comment il s'y prend!
–C'est un passe-droit, compère Donato.
–Enfin, il me restait un dernier espoir. Il y avait dans les prisons du Château-Neuf deux conspirateurs; ceux-là ne pouvaient m'échapper: ils avouaient hautement leur crime, ils s'en vantaient même.
–Les Backer?
–Justement… Avant-hier, on les condamne à mort. Je dis: «Bon! c'est toujours vingt ducats et leur défroque.» Comme ils étaient riches, leurs habits auraient une valeur. Pas du tout: savez-vous ce que l'on fait?
–On les fusille: je les ai vu fusiller.
–Fusiller! A-t-on jamais vu fusiller à Naples? Tout cela pour faire sur un pauvre diable une économie de vingt ducats! Oh! tenez, compère, un gouvernement qui ne pend pas et qui fusille ne peut pas tenir. Aussi, voyez, dans ce moment-ci, comment nos lazzaroni les arrangent, vos patriotes!
–Mes patriotes, compère? Ils n'ont jamais été à moi. Je ne savais pas même ce que c'était qu'un patriote. Je l'ai demandé à fra Pacifico, qui m'a répondu que c'était un jacobin; alors, je lui ai demandé ce que c'était qu'un jacobin, et il m'a répondu que c'était un patriote, c'est-à-dire un homme qui avait commis toute sorte de crimes, et qui serait damné.
–En attendant, nos pauvres enfants?
–Que voulez-vous, père Tomeo! Je ne peux pourtant pas me tirer le sang des veines pour eux. Qu'ils attendent. J'attends bien, moi! Peut-être que, si le roi rentre, cela changera et que j'aurai à pendre (maître Donato grimaça un sourire), même votre gendre Michele.
–Michele n'est pas mon gendre, Dieu merci! Il a voulu l'être; j'ai refusé.
–Oui, quand il était pauvre; mais, depuis qu'il est riche, il n'a plus reparlé de mariage.
–Ça, c'est vrai. Le bandit! Aussi, le jour où vous le pendrez, je tirerai la corde; et, s'il nous faut l'aide de nos trois fils, ils la tireront avec moi.
En ce moment, et comme Basso Tomeo offrait obligeamment son aide et celle de ses trois fils à maître Donato, la porte de cette espèce de cave qui servait de demeure à maître Donato s'ouvrit, et beccaïo, secouant toujours sa main sanglante, parut devant les deux amis.
Le beccaïo était bien connu de maître Donato, étant son voisin. Aussi, à la vue du beccaïo, appela-t-il sa fille Marina pour qu'elle apportât un verre.
Marina parut, belle et gracieuse comme une vision. On se demandait comment une si belle fleur avait pu pousser en un pareil charnier.
–Merci, merci, dit le beccaïo. Il ne s'agit point ici de boire, même à la santé du roi: il s'agit, maître Donato, de venir pendre un rebelle.
–Pendre un rebelle? dit maître Donato, cela me va.
–Et un vrai rebelle, maître, vous