Actes et Paroles, Volume 1. Victor Hugo

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Actes et Paroles, Volume 1 - Victor Hugo

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y eut encore un silence. On entendait le grand bruit de Paris joyeux, les arbres etaient roses, le reflet de la fete eclairait les visages de ces hommes, les constellations s'effacaient au-dessus de nos tetes dans le flamboiement de Paris illumine, la lueur de Napoleon semblait remplir le ciel.

      Tout a coup l'homme si brusquement apparu se tourna vers moi qui avais peur et me cachais un peu, me regarda fixement, et me dit:

      – Enfant, souviens-toi de ceci: avant tout, la liberte.

      Et il posa sa main sur ma petite epaule, tressaillement que je garde encore.

      Puis il repeta:

      – Avant tout la liberte.

      Et il rentra sous les arbres, d'ou il venait de sortir.

      Qui etait cet homme?

      Un proscrit.

      Victor Fanneau de Lahorie etait un gentilhomme breton rallie a la republique. Il etait l'ami de Moreau, breton aussi. En Vendee, Lahorie connut mon pere, plus jeune que lui de vingt-cinq ans. Plus tard, il fut son ancien a l'armee du Rhin; il se noua entre eux une de ces fraternites d'armes qui font qu'on donne sa vie l'un pour l'autre. En 1801 Lahorie fut implique dans la conspiration de Moreau contre Bonaparte. Il fut proscrit, sa tete fut mise a prix, il n'avait pas d'asile; mon pere lui ouvrit sa maison; la vieille chapelle des Feuillantines, ruine, etait bonne a proteger cette autre ruine, un vaincu. Lahorie accepta l'asile comme il l'eut offert, simplement; et il vecut dans cette ombre, cache.

      Mon pere et ma mere seuls savaient qu'il etait la.

      Le jour ou il parla aux trois generaux, peut-etre fit-il une imprudence.

      Son apparition nous surprit fort, nous les enfants. Quant au vieux pretre, il avait eu dans sa vie une quantite de proscription suffisante pour lui oter l'etonnement. Quelqu'un qui etait cache, c'etait pour ce bonhomme quelqu'un qui savait a quel temps il avait affaire; se cacher, c'etait comprendre.

      Ma mere nous recommanda le silence, que les enfants gardent si religieusement. A dater de ce jour, cet inconnu cessa d'etre mysterieux dans la maison. A quoi bon la continuation du mystere, puisqu'il s'etait montre? Il mangeait a la table de famille, il allait et venait dans le jardin, et donnait ca et la des coups de beche, cote a cote avec le jardinier; il nous conseillait; il ajoutait ses lecons aux lecons du pretre; il avait une facon de me prendre dans ses bras qui me faisait rire et qui me faisait peur; il m'elevait en l'air, et me laissait presque retomber jusqu'a terre. Une certaine securite, habituelle a tous les exils prolonges, lui etait venue. Pourtant il ne sortait jamais. Il etait gai. Ma mere etait un peu inquiete, bien que nous fussions entoures de fidelites absolues.

      Lahorie etait un homme simple, doux, austere, vieilli avant l'age, savant, ayant le grave heroisme propre aux lettres. Une certaine concision dans le courage distingue l'homme qui remplit un devoir de l'homme qui joue un role; le premier est Phocion, le second est Murat. Il y avait du Phocion dans Lahorie.

      Nous les enfants, nous ne savions rien de lui, sinon qu'il etait mon parrain. Il m'avait vu naitre; il avait dit a mon pere: Hugo est un mot du nord, il faut l'adoucir par un mot du midi, et completer le germain par le romain. Et il me donna le nom de Victor, qui du reste etait le sien. Quant a son nom historique, je l'ignorais. Ma mere lui disait general, je l'appelais mon parrain Il habitait toujours la masure du fond du jardin, peu soucieux de la pluie et de la neige qui, l'hiver, entraient par les croisees sans vitres; il continuait dans cette chapelle son bivouac. Il avait derriere l'autel un lit de camp, avec ses pistolets dans un coin, et un Tacite qu'il me faisait expliquer.

      J'aurai toujours present a la memoire le jour ou il me prit sur ses genoux, ouvrit ce Tacite qu'il avait, un in-octavo relie en parchemin, edition Herhan, et me lut cette ligne: Urbem Romam a principio reges habuere.

      Il s'interrompit et murmura a demi-voix:

      – Si Rome eut garde ses rois, elle n'eut pas ete Rome.

      Et, me regardant tendrement, il redit cette grande parole:

      – Enfant, avant tout la liberte.

      Un jour il disparut de la maison. J'ignorais alors pourquoi.5 Des evenements survinrent, il y eut Moscou, la Beresina, un commencement d'ombre terrible. Nous allames rejoindre mon pere en Espagne. Puis nous revinmes aux Feuillantines. Un soir d'octobre 1812, je passais, donnant la main a ma mere, devant l'eglise Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Une grande affiche blanche etait placardee sur une des colonnes du portail, celle de droite; je vais quelquefois revoir cette colonne. Les passants regardaient obliquement cette affiche, semblaient en avoir un peu peur, et, apres l'avoir entrevue, doublaient le pas. Ma mere s'arreta, et me dit: Lis. Je lus. Je lus ceci: " – Empire francais. – Par sentence du premier conseil de guerre, ont ete fusilles en plaine de Grenelle, pour crime de conspiration contre l'empire et l'empereur, les trois ex-generaux Malet, Guidal et Lahorie." – Lahorie, me dit ma mere. Retiens ce nom.

      Et elle ajouta:

      – C'est ton parrain.

      V

      Tel est le fantome que j'apercois dans les profondeurs de mon enfance.

      Cette figure est une de celles qui n'ont jamais disparu de mon horizon.

      Le temps, loin de la diminuer, l'a accrue.

      En s'eloignant, elle s'est augmentee, d'autant plus haute qu'elle etait plus lointaine, ce qui n'est propre qu'aux grandeurs morales.

      L'influence sur moi a ete ineffacable.

      Ce n'est pas vainement que j'ai eu, tout petit, de l'ombre de proscrit sur ma tete, et que j'ai entendu la voix de celui qui devait mourir dire ce mot du droit et du devoir: Liberte.

      Un mot a ete le contre-poids de toute une education.

      L'homme qui publie aujourd'hui ce recueil, Actes et Paroles, et qui dans ces volumes, Avant l'exil, Pendant l'exil, Depuis l'exil, ouvre a deux battants sa vie a ses contemporains, cet homme a traverse beaucoup d'erreurs. Il compte, si Dieu lui en accorde le temps, en raconter les peripeties sous ce titre: Histoire des revolutions interieures d'une conscience honnete. Tout homme peut, s'il est sincere, refaire l'itineraire, variable pour chaque esprit, du chemin de Damas. Lui, comme il l'a dit quelque part, il est fils d'une vendeenne, amie de madame de la Rochejaquelein, et d'un soldat de la revolution et de l'empire, ami de Desaix, de Jourdan et de Joseph Bonaparte; il a subi les consequences d'une education solitaire et complexe ou un proscrit republicain donnait la replique a un proscrit pretre. Il y a toujours eu en lui le patriote sous le vendeen; il a ete napoleonien en 1813, bourbonnien en 1814; comme presque tous les hommes du commencement de ce siecle, il a ete tout ce qu'a ete le siecle; illogique et probe, legitimiste et voltairien, chretien litteraire, bonapartiste liberal, socialiste a tatons dans la royaute; nuances bizarrement reelles, surprenantes aujourd'hui; il a ete de bonne foi toujours; il a eu pour effort de rectifier son rayon visuel au milieu de tous ces mirages; toutes les approximations possibles du vrai ont tente tour a tour et quelquefois trompe son esprit; ces aberrations successives, ou, disons-le, il n'y a jamais eu un pas en arriere, ont laisse trace dans ses oeuvres; on peut en constater ca et la l'influence; mais, il le declare ici, jamais, dans tout ce qu'il a ecrit, meme dans ses livres d'enfant et d'adolescent, jamais on ne trouvera une ligne contre la liberte. Il y a eu lutte dans son ame entre la royaute que lui avait imposee le pretre catholique et la liberte que lui avait recommandee le soldat republicain; la liberte a vaincu.

      La est l'unite de sa vie.

      Il

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Voir le livre Victor Hugo raconte par un temoin de sa vie.