Actes et Paroles, Volume 1. Victor Hugo
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Rien de plus colossal. Le total echappe. Regardez ce qui est deja derriere nous. La Terreur est un cratere, la Convention est un sommet. Tout l'avenir est en fermentation dans ces profondeurs. Le peintre est effare par l'inattendu des escarpements. Les lignes trop vastes depassent l'horizon. Le regard humain a des limites, le procede divin n'en a pas. Dans ce tableau a faire vous vous borneriez a un seul personnage, prenez qui vous voudrez, que vous y sentiriez l'infini. D'autres horizons sont moins demesures. Ainsi, par exemple, a un moment donne de l'histoire, il y a d'un cote Tibere et de l'autre Jesus. Mais le jour ou Tibere et Jesus font leur jonction dans un homme et s'amalgament dans un etre formidable ensanglantant la terre et sauvant le monde, l'historien romain lui-meme aurait un frisson, et Robespierre deconcerterait Tacite. Par moments on craint de finir par etre force d'admettre une sorte de loi morale mixte qui semble se degager de tout cet inconnu. Aucune des dimensions du phenomene ne s'ajuste a la notre. La hauteur est inouie et se derobe a l'observation. Si grand que soit l'historien, cette enormite le deborde. La Revolution francaise racontee par un homme, c'est un volcan explique par une fourmi.
XII
Que conclure? Une seule chose. En presence de cet ouragan enorme, pas encore fini, entr'aidons-nous les uns les autres.
Nous ne sommes pas assez hors de danger pour ne point nous tendre la main.
O mes freres, reconcilions-nous.
Prenons la route immense de l'apaisement. On s'est assez hai. Treve. Oui, tendons-nous tous la main. Que les grands aient pitie des petits, et que les petits fassent grace aux grands. Quand donc comprendra-t-on que nous sommes sur le meme navire, et que le naufrage est indivisible? Cette mer qui nous menace est assez grande pour tous, il y a de l'abime pour vous comme pour moi. Je l'ai dit deja ailleurs, et je le repete. Sauver les autres, c'est se sauver soi-meme. La solidarite est terrible, mais la fraternite est douce. L'une engendre l'autre. O mes freres, soyons freres!
Voulons-nous terminer notre malheur? renoncons a notre colere.
Reconcilions-nous. Vous verrez comme ce sourire sera beau.
Envoyons aux exils lointains la flotte lumineuse du retour, restituons les maris aux femmes, les travailleurs aux ateliers, les familles aux foyers, restituons-nous a nous-memes ceux qui ont ete nos ennemis. Est-ce qu'il n'est pas enfin temps de s'aimer? Voulez-vous qu'on ne recommence pas? finissez. Finir, c'est absoudre. En sevissant, on perpetue. Qui tue son ennemi fait vivre la haine. Il n'y a qu'une facon d'achever les vaincus, leur pardonner. Les guerres civiles s'ouvrent par toutes les portes et se ferment par une seule, la clemence. La plus efficace des repressions, c'est l'amnistie. O femmes qui pleurez, je voudrais vous rendre vos enfants.
Ah! je songe aux exiles. J'ai par moments le coeur serre. Je songe au mal du pays. J'en ai eu ma part peut-etre. Sait-on de quelle nuit tombante se compose la nostalgie? Je me figure la sombre ame d'un pauvre enfant de vingt ans qui sait a peine ce que la societe lui veut, qui subit pour ou ne sait quoi, pour un article de journal, pour une page fievreuse ecrite dans la folie, ce supplice demesure, l'exil eternel, et qui, apres une journee de bagne, le crepuscule venu, s'assied sur la falaise severe, accable sous l'enormite de la guerre civile et sous la serenite des etoiles! Chose horrible, le soir et l'ocean a cinq mille lieues de sa mere!
Ah! pardonnons!
Ce cri de nos ames n'est pas seulement tendre, il est raisonnable. La douceur n'est pas seulement la douceur, elle est l'habilete. Pourquoi condamner l'avenir au grossissement des vengeances gonflees de pleurs et a la sinistre repercussion des rancunes! Allez dans les bois, ecoutez les echos, et songez aux represailles; cette voix obscure et lointaine qui vous repond, c'est votre haine qui revient contre vous. Prenez garde, l'avenir est bon debiteur, et votre colere, il vous la rendra. Regardez les berceaux, ne leur noircissez pas la vie qui les attend. Si nous n'avons pas pitie des enfants, des autres, ayons pitie de nos enfants. Apaisement! apaisement! Helas! nous ecoutera-t-on?
N'importe, persistons, nous qui voulons qu'on promette et non qu'on menace, nous qui voulons qu'on guerisse et non qu'on mutile, nous qui voulons qu'on vive et non qu'on meure. Les grandes lois d'en haut sont avec nous. Il y a un profond parallelisme entre la lumiere qui nous vient du soleil et la clemence qui nous vient de Dieu. Il y aura une heure de pleine fraternite, comme il y a une heure de plein midi. Ne perds pas courage, o pitie! Quant a moi, je ne me lasserai pas, et ce que j'ai ecrit dans tous mes livres, ce que j'ai atteste par tous mes actes, ce que j'ai dit a tous les auditoires, a la tribune des pairs comme dans le cimetiere des proscrits, a l'assemblee nationale de France comme a la fenetre lapidee de la place des Barricades de Bruxelles, je l'attesterai, je l'ecrirai, et je le dirai sans cesse: il faut s'aimer, s'aimer, s'aimer! Les heureux doivent avoir pour malheur les malheureux. L'egoisme social est un commencement de sepulcre. Voulons-nous vivre, melons nos coeurs, et soyons l'immense genre humain. Marchons en avant, remorquons en arriere. La prosperite materielle n'est pas la felicite morale, l'etourdissement n'est pas la guerison, l'oubli n'est pas le paiement. Aidons, protegeons, secourons, avouons la faute publique et reparons-la. Tout ce qui souffre accuse, tout ce qui pleure dans l'individu saigne dans la societe, personne n'est tout seul, toutes les fibres vivantes tressaillent ensemble et se confondent, les petits doivent etre sacres aux grands, et c'est du droit de tous les faibles que se compose le devoir de tous les forts. J'ai dit.
Paris, juin 1875.
ACTES ET PAROLES
1841-1851
Institut. – Chambre des Pairs Reunions electorales. – Enterrements. – Cour d'assises Conseils de guerre. – Congres de la Paix Assemblee constituante. – Assemblee legislative Le Deux decembre 1851.
ACADEMIE FRANCAISE
1841-1844
DISCOURS DE RECEPTION
2 JUIN 1841.
[Note: M. Victor Hugo fut nomme membre de l'academie francaise, par 18 voix contre 16, le 7 janvier 1841. Il prit seance le 2 juin.]
Messieurs,
Au commencement de ce siecle, la France etait pour les nations un magnifique spectacle. Un homme la remplissait alors et la faisait si grande qu'elle remplissait l'Europe. Cet homme, sorti de l'ombre, fils d'un pauvre gentilhomme corse, produit de deux republiques, par sa famille de la republique de Florence, par lui-meme de la republique francaise, etait arrive en peu d'annees a la plus haute royaute qui jamais peut-etre ait etonne l'histoire. Il etait prince par le genie, par la destinee et par les actions. Tout en lui indiquait le possesseur legitime d'un pouvoir providentiel. Il avait eu pour lui les trois conditions supremes, l'evenement, l'acclamation et la consecration. Une revolution l'avait enfante, un peuple l'avait choisi, un pape l'avait couronne. Des rois et des generaux, marques eux-memes