Actes et Paroles, Volume 1. Victor Hugo
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Actes et Paroles, Volume 1 - Victor Hugo страница 7
L'improvisation a un avantage, elle saisit l'auditoire; elle saisit aussi l'orateur, c'est la son inconvenient; Elle le pousse a ces exces de polemique oratoire qui sont comme le pugilat de la tribune. Celui qui parle ici, reserve faite de la meditation prealable, n'a prononce dans les assemblees que des discours improvises. De la des violences de paroles, de la des fautes. Il s'en accuse.
IX
Ces hommes des anciennes majorites ont fait tout le mal qu'ils ont pu. Voulaient-ils faire le mal? Non; ils trompaient, mais ils se trompaient, c'est la leur circonstance attenuante. Ils croyaient avoir la verite, et ils mentaient au service de la verite. Leur pitie pour la societe etait impitoyable pour le peuple. De la tant de lois et tant d'actes aveuglement feroces. Ces hommes, plutot cohue que senat, assez innocents au fond, criaient pele-mele sur leurs bancs, ayant des ressorts qui les faisaient mouvoir, huant ou applaudissant selon le fil tire, proscrivant au besoin, pantins pouvant mordre. Ils avaient pour chefs les meilleurs d'entre eux, c'est-a-dire les pires. Celui-ci, ancien liberal rallie aux servitudes, demandait qu'il n'y eut plus qu'un seul journal, le Moniteur, ce qui faisait dire a son voisin l'eveque Parisis: Et encore! Cet autre, pesamment leger, academicien de l'espece qui parle bien et ecrit mal. Cet autre, habit noir, cravate blanche, cordon rouge, gros souliers, president, procureur, tout ce qu'on veut, qui eut pu etre Ciceron s'il n'avait ete Guy-Patin, jadis avocat spirituel, le dernier des laches. Cet autre, homme de simarre et grand juge de l'empire a trente ans, remarquable maintenant par son chapeau gris et son pantalon de nankin, senile dans sa jeunesse, juvenile dans sa vieillesse, ayant commence comme Lamoignon et finissant comme Brummel. Cet autre, ancien heros deforme, interrupteur injurieux, vaillant soldat devenu clerical trembleur, general devant Abd-el-Kader, caporal derriere Nonotte et Patouillet, se donnant, lui si brave, la peine d'etre bravache, et ridicule par ou il eut du etre admire, ayant reussi a faire de sa tres reelle renommee militaire un epouvantail postiche, lion qui coupe sa criniere et s'en fait une perruque. Cet autre, faux orateur, ne sachant que lapider avec des grossieretes, et n'ayant de ce qui etait dans la bouche de Demosthene que les cailloux. Celui-ci, deja nomme, d'ou etait sortie l'odieuse parole Expedition de Rome a l'interieur, vanite du premier ordre, parlant du nez par elegance, jargonnant, le lorgnon a l'oeil, une petite eloquence impertinente, homme de bonne compagnie un peu poissard, melant la halle a l'hotel de Rambouillet, jesuite longtemps echappe dans la demagogie, abhorrant le czar en Pologne et voulant le knout a Paris, poussant le peuple a l'eglise et a l'abattoir, berger de l'espece bourreau. Cet autre, insulteur aussi, et non moins zele serviteur de Rome, intrigant du bon Dieu, chef paisible des choses souterraines, figure sinistre et douce avec le sourire de la rage. Cet autre … – Mais je m'arrete. A quoi bon ce denombrement? Et caetera, dit l'histoire. Tous ces masques sont deja des inconnus. Laissons tranquille l'oubli reprenant ce qui est a lui. Laissons la nuit tomber sur les hommes de nuit. Le vent du soir emporte de l'ombre, laissons-le faire. En quoi cela nous regarde-t-il, un effacement de silhouette a l'horizon?
Passons.
Oui, soyons indulgents. S'il y a eu pour plusieurs d'entre nous quelque labeur et quelque epreuve, une tempete plus ou moins longue, quelques jets d'ecume sur l'ecueil, un peu de ruine, un peu d'exil, qu'importe si la fin est bonne pour toi, France, pour toi, peuple! qu'importe l'augmentation de souffrance de quelques-uns s'il y a diminution de souffrance pour tous! La proscription est dure, la calomnie est noire, la vie loin de la patrie est une insomnie lugubre, mais qu'importe si l'humanite grandit et se delivre! qu'importe nos douleurs si les questions avancent, si les problemes se simplifient, si les solutions murissent, si a travers la claire-voie des impostures et des illusions on apercoit de plus en plus distinctement la verite! qu'importe dix-neuf ans de froide bise a l'etranger, qu'importe l'absence mal recue au retour, si devant l'ennemi Paris charmant devient Paris sublime, si la majeste de la grande nation s'accroit par le malheur, si la France mutilee laisse couler par ses plaies de la vie pour le monde entier! qu'importe si les ongles repoussent a cette mutilee, et si l'heure de la restitution arrive! qu'importe si, dans un prochain avenir, deja distinct et visible, chaque nationalite reprend sa figure naturelle, la Russie jusqu'a l'Inde, l'Allemagne jusqu'au Danube, l'Italie jusqu'aux Alpes, la France jusqu'au Rhin, l'Espagne ayant Gibraltar, et Cuba ayant Cuba; rectifications necessaires a l'immense amitie future des nations! C'est tout cela que nous avons voulu. Nous l'aurons.
Il y a des saisons sociales, il y a pour la civilisation des traversees climateriques, qu'importe notre fatigue dans l'ouragan! et qu'est-ce que cela fait que nous ayons ete malheureux si c'est pour le bien, si decidement le genre humain passe de son decembre a son avril, si l'hiver des despotismes et des guerres est fini, s'il ne nous neige plus de superstitions et de prejuges sur la tete, et si, apres toutes les nuees evanouies, feodalites, monarchies, empires, tyrannies, batailles et carnages, nous voyons enfin poindre a l'horizon rose cet eblouissant floreal des peuples, la paix universelle!
X
Dans tout ce que nous disons ici, nous n'avons qu'une pretention, affirmer l'avenir dans la mesure du possible.
Prevoir ressemble quelquefois a errer; le vrai trop lointain fait sourire.
Dire qu'un oeuf a des ailes, cela semble absurde, et cela est pourtant veritable.
L'effort du penseur, c'est de mediter utilement.
Il y a la meditation perdue qui est reverie, et la meditation feconde qui est incubation. Le vrai penseur couve.
C'est de cette incubation que sortent, a des heures voulues, les diverses formes du progres destinees a s'envoler dans le grand possible humain, dans la realite, dans la vie.
Arrivera-t-on a l'extremite du progres?
Non.
Il ne faut pas rendre la mort inutile. L'homme ne sera complet qu'apres la vie.
Approcher toujours, n'arriver jamais; telle est la loi. La civilisation est une asymptote.
Toutes les formes du progres sont la Revolution.
La Revolution, c'est la ce que nous faisons, c'est la ce que nous pensons, c'est la ce que nous parlons, c'est la ce que nous avons dans la bouche, dans la poitrine, dans l'ame,
La Revolution, c'est la respiration nouvelle de l'humanite.
La Revolution, c'est hier, c'est aujourd'hui, et c'est demain.
De la, disons-le, la necessite et l'impossibilite d'en faire l'histoire.
Pourquoi?
Parce qu'il est indispensable de raconter hier et parce qu'il est impossible de raconter demain.
On ne peut que le deduire et le preparer. C'est ce que nous tachons de faire.
Insistons, cela n'est jamais inutile, sur cette immensite de la Revolution.
XI
La Revolution tente tous les puissants esprits, et c'est a qui s'en approchera, les uns, comme Lamartine, pour la peindre, les autres, comme Michelet, pour l'expliquer, les autres, comme Quinet, pour la juger, les autres, comme Louis Blanc, pour la feconder.
Aucun fait humain n'a eu de plus magnifiques narrateurs, et pourtant cette histoire sera toujours offerte aux historiens comme a faire.
Pourquoi? Parce que toutes les histoires sont l'histoire du passe, et que, repetons-le, l'histoire de la Revolution est l'histoire de l'avenir. La Revolution a conquis en avant, elle a decouvert et annonce le grand Chanaan de l'humanite, il y a dans ce qu'elle nous a apporte encore plus de terre promise que de terrain gagne, et a mesure qu'une de ces conquetes faites d'avance entrera dans le domaine humain, a mesure