Actes et Paroles, Volume 1. Victor Hugo

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Actes et Paroles, Volume 1 - Victor Hugo

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cherche a faire en tout prevaloir la liberte. La liberte, c'est, dans la philosophie, la Raison, dans l'art, l'Inspiration, dans la politique, le Droit.

      VI

      En 1848, son parti n'etait pas pris sur la forme sociale definitive. Chose singuliere, on pourrait presque dire qu'a cette epoque la liberte lui masqua la republique. Sortant d'une serie de monarchies essayees et mises au rebut tour a tour, monarchie imperiale, monarchie legitime, monarchie constitutionnelle, jete dans des faits inattendus qui lui semblaient illogiques, oblige de constater a la fois dans les chefs guerriers qui dirigeaient l'etat l'honnetete et l'arbitraire, ayant malgre lui sa part de l'immense dictature anonyme qui est le danger des assemblees uniques, il se decida a observer, sans adhesion, ce gouvernement militaire ou il ne pouvait reconnaitre un gouvernement democratique, se borna a proteger les principes quand ils lui parurent menaces et se retrancha dans la defense du droit meconnu. En 1848, il y eut presque un dix-huit fructidor; les dix-huit fructidor ont cela de funeste qu'ils donnent le modele et le pretexte aux dix-huit brumaire, et qu'ils font faire par la republique des blessures a la liberte; ce qui, prolonge, serait un suicide. L'insurrection de juin fut fatale, fatale par ceux qui l'allumerent, fatale par ceux qui l'eteignirent; il la combattit; il fut un des soixante representants envoyes par l'assemblee aux barricades. Mais, apres la victoire, il dut se separer des vainqueurs. Vaincre, puis tendre la main aux vaincus, telle est la loi de sa vie. On fit le contraire. Il y a bien vaincre et mal vaincre. L'insurrection de 1848 fut mal vaincue. Au lieu de pacifier, on envenima; au lieu de relever, on foudroya; on acheva l'ecrasement; toute la violence soldatesque se deploya; Cayenne, Lambessa, deportation sans jugement; il s'indigna; il prit fait et cause pour les accables; il eleva la voix pour toutes ces pauvres familles desesperees; il repoussa cette fausse republique de conseils de guerre et d'etat de siege. Un jour, a l'assemblee, le representant Lagrange, homme vaillant, l'aborda et lui dit: "Avec qui etes-vous ici? il repondit: Avec la liberte. – Et que faites-vous? reprit Lagrange; il repondit: J'attends."

      Apres juin 1848, il attendait; mais, apres juin 1849, il n'attendit plus.

      L'eclair qui jaillit des evenements lui entra dans l'esprit. Ce genre d'eclair, une fois qu'il a brille, ne s'efface pas. Un eclair qui reste, c'est la la lumiere du vrai dans la conscience.

      En 1849, cette clarte definitive se fit en lui.

      Quand il vit Rome terrassee au nom de la France, quand il vit la majorite, jusqu'alors hypocrite, jeter tout a coup le masque par la bouche duquel, le 4 mai 1848, elle avait dix-sept fois crie: Vive la republique! quand il vit, apres le 13 juin, le triomphe de toutes les coalitions ennemies du progres, quand il vit cette joie cynique, il fut triste, il comprit, et, au moment ou toutes les mains des vainqueurs se tendaient vers lui pour l'attirer dans leurs rangs, il sentit dans le fond de son ame qu'il etait un vaincu. Une morte etait a terre, on criait: c'est la republique! il alla a cette morte, et reconnut que c'etait la liberte. Alors il se pencha vers ce cadavre, et il l'epousa. Il vit devant lui la chute, la defaite, la ruine, l'affront, la proscription, et il dit: C'est bien.

      Tout de suite, le 15 juin, il monta a la tribune, et il protesta. A partir de ce jour, la jonction fut faite dans son ame entre la republique et la liberte. A partir de ce jour, sans treve, sans relache, presque sans reprise d'haleine, opiniatrement, pied a pied, il lutta pour ces deux grandes calomniees. Enfin, le 2 decembre 1851, ce qu'il attendait, il l'eut; vingt ans d'exil.

      Telle est l'histoire de ce qu'on a appele son apostasie.

      VII

      1849. Grande date pour lui.

      Alors commencerent les luttes tragiques.

      Il y eut de memorables orages; l'avenir attaquait, le passe resistait.

      A cette etrange epoque le passe etait tout-puissant. Il etait omnipotent, ce qui ne l'empechait pas d'etre mort. Effrayant fantome combattant.

      Toutes les questions se presenterent; independance nationale, liberte individuelle, liberte de conscience, liberte de pensee, liberte de parole, liberte de tribune et de presse, question du mariage dans la femme, question de l'education dans l'enfant, droit au travail a propos du salaire, droit a la patrie a propos de la deportation, droit a la vie a propos de la reforme du code, penalite decroissante par l'education croissante, separation de l'eglise et de l'etat, la propriete des monuments, eglises, musees, palais dits royaux, rendue a la nation, la magistrature restreinte, le jury augmente, l'armee europeenne licenciee par la federation continentale, l'impot de l'argent diminue, l'impot du sang aboli, les soldats retires au champ de bataille et restitues au sillon comme travailleurs, les douanes supprimees, les frontieres effacees, les isthmes coupes, toutes les ligatures disparues, aucune entrave a aucun progres, les idees circulant dans la civilisation comme le sang dans l'homme. Tout cela fut debattu, propose, impose parfois. On trouvera ces luttes dans ce livre.

      L'homme qui esquisse en ce moment sa vie parlementaire, entendant un jour les membres de la droite exagerer le droit du pere, leur jeta ce mot inattendu, le droit de l'enfant. Un autre jour, sans cesse preoccupe du peuple et du pauvre, il les stupefia par cette affirmation: On peut detruire la misere.

      C'est une vie violente que celle des orateurs. Dans les assemblees ivres de leur triomphe et de leur pouvoir, les minorites etant les trouble-fete sont les souffre-douleurs. C'est dur de rouler cet inexorable rocher de Sisyphe, le droit; on le monte, il retombe. C'est la l'effort des minorites.

      La beaute du devoir s'impose; une fois qu'on l'a comprise, on lui obeit, plus d'hesitation; le sombre charme du devouement attire les consciences, et l'on accepte les epreuves avec une joie severe. L'approche de la lumiere a cela de terrible qu'elle devient flamme. Elle eclaire d'abord, rechauffe ensuite, et devore enfin. N'importe, on s'y precipite. On s'y ajoute. On augmente cette clarte du rayonnement de son propre sacrifice; bruler, c'est briller; quiconque souffre pour la verite la demontre.

      Huer avant de proscrire, c'est le procede ordinaire des majorites furieuses; elles preludent a la persecution materielle par la persecution morale, l'imprecation commence ce que l'ostracisme achevera; elles parent la victime pour l'immolation avec toute la rhetorique de l'injure; et elles l'outragent, c'est leur facon de la couronner.

      Celui qui parle ici traversa ces diverses facons d'agir, et n'eut qu'un merite, le dedain. Il fit son devoir, et, ayant pour salaire l'affront, il s'en contenta.

      Ce qu'etaient ces affronts, on le verra en lisant ce recueil de verites insultees.

      En veut-on quelques exemples?

      Un jour, le 17 juillet 1851, il denonca a la tribune la conspiration de Louis Bonaparte, et declara que le president voulait se faire empereur. Une voix lui cria:

      – Vous etes un infame calomniateur!

      Cette voix a depuis prete serment a l'empire moyennant trente mille francs par an.

      Une autre fois, comme il combattait la feroce loi de deportation, une voix lui jeta cette interruption:

      – Et dire que ce discours coutera vingt-cinq francs a la France!

      Cet interrupteur-la aussi a ete senateur de l'empire.

      Une autre fois, on ne sait qui, senateur egalement plus tard, l'apostrophait ainsi:

      – Vous etes l'adorateur du soleil levant!

      Du soleil levant de l'exil, oui.

      Le jour ou il dit a la tribune ce mot que personne encore n'y avait prononce: les Etats-Unis d'Europe, M. Mole fut remarquable. Il leva les yeux au ciel, se dressa debout, traversa toute la salle, fit signe aux membres de la majorite de le suivre, et sortit. On ne le suivit pas, il rentra. Indigne.

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