Le magasin d'antiquités, Tome II. Чарльз Диккенс
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«Ainsi, dit Jowl chauffant ses mains au feu, voilà qui est fait, enfin. Il a fallu, pour le convaincre, plus d'efforts que je ne l'aurais cru. Savez-vous qu'il n'y a pas moins de trois semaines que nous avons commencé à chauffer ça. Qu'est-ce qu'il apportera, à votre idée?
– Quoi qu'il apporte, part à deux,» répondit Isaac List.
L'autre secoua la tête et dit:
«Il faudra aller vite en besogne et lui brûler la politesse; autrement, nous serions soupçonnés, et ce n'est pas une plaisanterie.»
List et le bohémien donnèrent leur assentiment à ces paroles. Après s'être divertis quelque temps aux dépens de la crédulité de leur victime, les trois hommes laissèrent là ce sujet comme épuisé, et se mirent à causer dans un argot que l'enfant ne pouvait comprendre. Cependant, comme ils paraissaient s'entretenir de choses qui les intéressaient vivement, Nelly jugea que le moment était opportun pour s'enfuir sans être aperçue; elle se glissa d'un pas lent et discret, suivant l'ombre des haies et franchissant les fossés jusqu'à ce qu'elle eût gagné la route et fût assez loin d'eux pour se croire en sûreté. Alors elle courut de toutes ses forces vers le logis, déchirée et ensanglantée par les ronces et les épines, mais le coeur bien autrement meurtri; enfin elle se jeta tout accablée sur son lit.
La première idée qui se présenta à son esprit, ce fut la fuite, une fuite immédiate; ce fut d'entraîner le vieillard et de mourir plutôt de faim au bord de la route que de laisser son grand-père en butte à de si terribles tentations. Nelly se souvint alors que le crime ne devait pas être commis avant la nuit suivante: elle avait donc le temps nécessaire pour réfléchir et pour aviser à ce qu'il fallait faire. Mais une horrible crainte s'empara d'elle: si en cet instant même le crime allait être commis!.. Elle tremblait d'entendre des cris inarticulés et des gémissements rompre le silence de la nuit; elle songeait en frémissant à ce que son grand-père pourrait être conduit à faire, s'il venait à être surpris au milieu du vol, n'ayant à lutter que contre une femme. Supporter une pareille torture, c'était impossible. Nelly se glissa jusqu'à la chambre où se trouvait l'argent; elle ouvrit la porte et regarda. Dieu soit loué! le vieillard n'était pas là… et mistress Jarley dormait paisiblement! L'enfant revint à sa propre chambre pour se mettre au lit.
Mais le sommeil était-il possible? le sommeil! mais le repos même était-il possible au sein de pareilles terreurs toujours croissantes? À demi habillée, les cheveux en désordre, elle courut au lit du vieillard, qu'elle saisit par le poignet en l'arrachant au sommeil.
«Qu'est-ce qu'il y a? s'écria-t-il, tressaillant dans son lit et fixant ses yeux sur cette figure de fantôme.
– J'ai fait un rêve effrayant, dit l'enfant avec une énergie qui ne pouvait naître que de l'excès de sa terreur. Un rêve effrayant, horrible! Ce n'est pas la première fois. Dans ce rêve il y a des hommes aux cheveux gris comme vous; ces hommes sont au milieu d'une chambre obscurcie par la nuit, et ils volent l'or de ceux qui dorment. Debout! debout!..»
Le vieillard trembla de tous ses membres et joignit les mains dans l'attitude de la prière.
«Si ce n'est pour moi, dit l'enfant, si ce n'est pour moi, au nom du ciel! debout, pour nous soustraire à de telles extrémités. Ce rêve n'est que trop réel. Je ne puis dormir, je ne puis demeurer ici, je ne puis vous laisser seul dans une maison où il se fait de ces rêves-là. Debout! il faut fuir!»
Il la contemplait comme un spectre, et elle en avait toute l'apparence; elle avait l'air d'une déterrée, et le vieillard éprouvait un tremblement redoublé.
«Il n'y a pas de temps à perdre, dit l'enfant, pas une minute.
Debout! venez avec moi!
– Quoi! cette nuit? murmura le vieillard.
– Oui, cette nuit. Demain soir il serait trop tard. Le rêve reviendrait. La fuite seule peut nous sauver. Debout!»
Le vieillard sortit de son lit, le front humide, couvert d'une froide sueur, la sueur de l'épouvante, et, se courbant devant l'enfant, comme si c'était un ange envoyé en mission pour le conduire à sa volonté, il fut bientôt prêt à la suivre. Elle le prit par la main et l'emmena. Au moment où ils passaient devant la porte de la chambre où le vieillard s'était proposé de commettre le vol, Nelly frissonna et regarda son grand-père en face. Qu'il était pâle! et quel regard il rencontra dans les yeux de l'enfant!
Elle le conduisit à sa propre chambre, et le tenant toujours par la main, comme si elle craignait de le perdre un instant de vue, elle rassembla son modeste bagage et suspendit son panier à son bras. Le vieillard reçut d'elle son bissac qu'il jeta sur son dos, son bâton qu'elle avait apporté, puis Nelly le fit sortir.
Ils traversèrent des rues resserrées, des ruelles étroites; leur pas était à la fois timide et rapide. Ils gravirent aussi, toujours courant, la colline escarpée, couronnée par le vieux château noir, sans s'être seulement retournés pour jeter un regard derrière eux.
Mais comme ils approchaient des murs en ruine, la lune se leva dans tout son éclat; et alors, du pied de ce monument garni de lierre, de mousse et d'herbes grimpantes, l'enfant contempla la ville endormie, couchée dans l'ombre de la vallée; puis plus loin la rivière avec ses sillages mouvants de lumière, puis encore les collines lointaines; et pendant ce temps elle pressait moins fortement la main du vieillard, quand tout à coup, fondant en larmes, elle se jeta au cou de son grand-père.
CHAPITRE VI
Cette faiblesse momentanée une fois passée, l'enfant évoqua de nouveau la résolution qui l'avait soutenue jusqu'alors; et ne perdant pas de vue cette idée salutaire, que c'était le crime des hommes qui précipitait sa fuite, que de sa seule fermeté dépendait le salut de son grand-père, sans qu'elle eût pour s'aider l'appui d'un bon conseil ou d'une main secourable, elle pressa le pas de son compagnon et s'interdit de regarder désormais en arrière.
Tandis que le vieillard, soumis et abattu, semblait se courber devant elle, se faire humble et petit comme s'il était en présence de quelque être supérieur, l'enfant éprouvait en elle-même un sentiment nouveau qui élevait sa nature et lui inspirait une énergie et une confiance qu'elle ne s'était jamais connues. Maintenant la responsabilité ne se divisait plus: le poids tout entier de leurs deux existences retombait sur Nelly, et désormais c'était elle qui devait penser et agir pour deux.
«C'est moi qui l'ai sauvé, pensait-elle. Dans tous les dangers, dans toutes les épreuves, je saurai m'en souvenir.»
En tout autre temps, l'idée d'avoir abandonné sans un mot d'explication l'amie qui leur avait montré une bienveillance si franche, l'idée qu'elle et son grand-père seraient coupables, au moins en apparence, de trahison et d'ingratitude; joint à cela, le regret d'avoir dû s'éloigner des deux soeurs, l'eussent remplie de chagrin. Mais maintenant toute autre considération s'effaçait devant les incertitudes, les anxiétés de leur vie sauvage et errante; et dans le désespoir même de leur situation Nelly puisait plus d'élévation et de force.
Aux pâles lueurs du clair de lune qui ajoutaient à la blancheur mate de son teint, ce visage délicat sur lequel la pensée soucieuse s'unissait à la grâce charmante et à la douceur de la jeunesse, ces yeux brillants, cette tête tout intellectuelle, ces lèvres qui se pressaient avec tant de résolution