Les Maîtres sonneurs. Жорж Санд

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Les Maîtres sonneurs - Жорж Санд

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en gardant leurs bêtes, de crier leurs chansons à pleine tête, pour se faire entendre au loin; et comme en criant comme ça, j'outrepassais ma force, je gâtais tout, et je faisais mal aux oreilles de Joset. Et puis, quand je me suis rangée à chanter raisonnablement, il s'est trouvé que j'avais si bonne mémoire pour retenir toutes choses chantables, celles qui contentent notre gars comme celles qui l'encolèrent, que plus d'une fois je l'ai vu me brûler compagnie tout d'un coup et s'en aller sans rien me dire, encore qu'il m'eût priée de chanter. Pour ce qui est de ça, il n'est pas toujours bien honnête ni gracieux; mais comme c'est lui, j'en ris au lieu de m'en fâcher. Je sais bien qu'il y reviendra, car il n'a pas la souvenance certaine, et quand il a entendu quelque chansonnette qu'il ne juge point trop laide, il accourt me la demander, et il est bien sûr de la trouver dans ma tête.

      J'observai à Brulette que Joseph n'ayant pas de souvenance, ne me paraissait point né pour cornemuser.

      – Oh dame! c'est là qu'il faut encore retourner ton jugement de l'envers à l'endroit, répondit-elle. Vois-tu, mon pauvre Tiennet, ni toi ni moi ne connaissons la vérité de la chose, comme dit ce gars-là. Mais, à force de vivre avec ses songeries, j'ai fini par comprendre ce qu'il ne sait pas ou n'ose pas dire. La vérité de la chose, c'est que Joset prétend inventer lui-même sa musique, et qu'il l'invente, de vrai. Il a réussi à se faire une flûte d'un roseau, et il chante là-dessus, je ne sais comment, car il n'a jamais voulu se laisser ouïr de moi, ni de personne de chez nous. Quand il veut flûter, il s'en va le dimanche, et mêmement la nuit, dans des endroits non fréquentés où il flûte à sa guise; et quand je lui demande de flûter pour moi, il me répond qu'il ne sait pas encore ce qu'il veut savoir, et qu'il m'en régalera quand ça en vaudra la peine. Voilà pourquoi, depuis qu'il a inventé ce flûteriot, il s'absente tous les dimanches, et quelquefois sur la semaine, pendant la nuit, quand sa musique le tient trop fort.

      Tu vois, Tiennet, que toutes ces affaires-là sont bien innocentes; mais c'est à présent qu'il faut nous expliquer tous les trois, mes amis; car voilà Joset qui se met dans la volonté d'employer son premier gage (ayant jusqu'à cette heure tout donné en garde à sa mère) à faire achat d'une musette, et comme il dit qu'il est mince ouvrier, et que son cœur voudrait retirer la Mariton de ses fatigues, il prétendrait se faire cornemuseux de son état, parce que, de vrai, on y gagne gros.

      – L'idée serait bonne, dit ma sœur, qui nous écoutait, si, pour de vrai, Joseph avait le talent; mais, avant d'acheter la musette, m'est avis qu'il faudrait s'assurer de la manière de s'en servir.

      – Ça, c'est affaire de temps et de patience, dit Brulette; mais là n'est point l'empêchement. Est-ce que vous ne savez pas que voilà, depuis un tour de temps, le garçon à Carnat qui s'essaye aussi à cornemuser, à seules fins de garder au pays la place de son père?

      – Oui, oui, répondis-je, et je vois ce, qui en résulte. Carnat est vieux, et on aurait pu avoir sa succession; mais son fils, qui la veut, la gardera, parce qu'il est riche et bien appuyé dans le pays; tandis que toi, Joset, tu n'as encore ni argent pour acheter ta musette, ni maître pour t'enseigner, ni amis de ta musique pour te soutenir.

      – C'est la vérité, répondit Joset tristement. Je n'ai encore que mon idée, mon roseau et elle!

      Ce disant, il désignait Brulette, qui lui prit la main bien amiteusement en lui répondant: – Joset, je crois bien à ce qui est dans ta tête, mais je ne peux pas être assurée de ce qui en sortira. Vouloir et pouvoir sont deux; songer et flûter diffèrent grandement. Je sais que tu as dans les oreilles, ou dans la cervelle, ou dans le cœur, une vraie musique du bon Dieu, parce que j'ai vu ça dans tes yeux quand j'étais petite, et que, plus d'une fois, me prenant sur tes genoux, tu me disais d'un air charmé: – Écoute, ne fais pas de bruit, et tâche de te souvenir. Alors, moi, j'écoutais bien fidèlement, et je n'entendais que le vent qui causait dans les feuillages, ou l'eau qui grelottait au long des cailloux; mais toi, tu entendais autre chose, et tu en étais si assuré, que je l'étais par contre.

      Eh bien! mon garçon, conserve dans ton secret ces jolies musiques qui te sont bonnes et douces; mais n'essaye point de faire le ménétrier, car il arrivera ceci ou cela: ou tu ne pourras jamais faire dire à ta musette ce que l'eau et le vent te racontent dans l'oreille; ou bien, si tu deviens musiqueux fin, les autres petits musiqueux du pays te chercheront noise et t'empêcheront de pratiquer. Ils te voudront mal et te causeront des peines, comme ils ont coutume de faire, pour empêcher qu'on n'ait part à leurs profits et à leur renom. Ils y mettent de l'intérêt et de la gloriole aussi. Ils sont ici et aux alentours une douzaine, qui ne s'accordent guère entre eux, mais qui s'entendent et se soutiennent pour ne point laisser pousser de nouvelles graines sur leurs terres. Ta mère, qui entend causer les cornemuseux le dimanche, car ils sont tous gens très-asséchés de soif et coutumiers de boire bien avant dans la nuit après les danses, est très-chagrinée de te voir penser à entrer dans une pareille corporation. Ils sont rudes et méchants, et toujours des premiers exposés dans les querelles et batteries. L'habitude d'être en fête et chômage les rend ivrognes et dépensiers. Enfin, c'est du monde qui ne te ressemble point, et où tu te gâterais, selon elle. Selon moi, c'est du monde jaloux et porté à la vengeance, qui t'écraserait l'esprit et peut-être le corps. Par ainsi, Joset, je te prie de reculer au moins ton dessein et d'ajourner ton envie, et mêmement d'y renoncer tout à fait, si ça n'est pas trop demander à ton amitié pour moi, pour ta mère et pour Tiennet.

      Comme je soutenais les raisons de Brulette, qui me paraissaient bonnes, Joset fut bien désolé; mais il reprit courage et nous dit:

      – Mes amis, je vous suis obligé de vos conseils, qui sont dans l'intention de mes vrais intérêts, je le sais; mais je vous prie de me donner encore liberté d'esprit pour un bout de temps. Quand j'en serai venu où je crois arriver, je vous prierai de m'entendre flûter ou cornemuser, s'il plaît à Dieu que je puisse acheter une musette. Alors, si vous jugez que je suis bon à quelque chose, ma musique vaudra la peine que je m'en serve, et que je soutienne la guerre pour l'amour d'elle. Sinon, je continuerai à piocher la terre, et à me divertir le dimanche avec mon flûtage, sans en tirer profit ni faire ombrage à personne. Promettez-moi ça, et je patienterai.

      Nous lui en fîmes promesse pour le tranquilliser, car il paraissait plus choqué de nos craintes que touché de notre intérêt. Je le regardais dans la nuit, qui était toute semée d'étoiles, et le voyais d'autant mieux que la belle eau de la fontaine était devant nous comme un miroir qui nous renvoyait à la figure la blancheur du ciel. J'observai ses yeux, qui avaient la couleur de l'eau même et qui paraissaient toujours regarder des choses que les autres ne voyaient point.

      Un mois environ après ce jour-là, Joseph me vint trouver à la maison. – Le temps est arrivé, me dit-il avec un regard net et une parole sûre, où je veux que les deux seules personnes en qui j'ai confiance connaissent mon flûter. Je veux donc que Brulette vienne ici demain soir, parce que nous y serons tranquilles, tous, les trois. Je sais que tes parents partent le matin pour aller en pèlerinage, rapport à la fièvre de ton frère cadet; tu seras donc seul dans la maison, qui est si bien éloignée dans la campagne que nous ne risquons pas d'être entendus. J'ai averti Brulette, elle est consentante à sortir du bourg à la nuit; je l'attendrai dans le petit chemin, et nous viendrons ici te trouver sans que personne s'en avise. Brulette compte sur toi pour ne jamais parler de ça, et son grand-père, qui veut tout ce qu'elle souhaite, y est consentant aussi, moyennant ta parole, que j'ai donnée d'avance.

      À l'heure dite, j'étais devant ma porte, ayant poussé toutes les huisseries pour que les passants (s'il en passait) me crussent couché ou absent, et j'attendais l'arrivée de Brulette et de Joseph. On était alors au printemps, et, comme il avait tonné dans le jour, le ciel était encore chargé de nuages très-épais. Il faisait de bons coups de vent tiède qui apportaient toutes les jolies senteurs du mois de mai. J'écoutais les rossignols qui se répondaient dans la campagne aussi loin que l'ouïe pouvait s'étendre, et je me disais que Joseph aurait grand'peine à flûter aussi finement. Je regardais

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