Les Maîtres sonneurs. Жорж Санд
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Читать онлайн книгу Les Maîtres sonneurs - Жорж Санд страница 6
Sa grande fidélité et le mépris qu'en toutes choses il marquait pour les actions injustes, le faisaient donc estimer de son maître, lequel disait encore de lui que c'était grand dommage de voir un garçon si honnête et si sage, avoir les bras si mols et le cœur si indifférent à son ouvrage. Mais tel qu'il était, il le gardait par habitude, et aussi par considération pour le père Brulet qui était un de ses amis très-ancien.
Dans ce que je viens de vous dire de lui, vous ne voyez point qu'il dût plaire aux filles. Aussi ne le regardaient-elles que pour s'étonner seulement de ne jamais rencontrer ses yeux, qui étaient grands et clairs comme ceux d'une chouette et semblaient ne lui servir de rien.
Et cependant, j'étais toujours jaloux de lui, parce que Brulette lui marquait toujours une attention qu'elle n'avait pour personne et qu'elle m'obligeait d'avoir aussi. Elle ne le taboulait plus et marquait de vouloir accepter son humeur telle que Dieu l'avait tournée, sans se fâcher ni s'inquiéter de rien. Ainsi, elle lui passait de manquer de galanterie, et mêmement de politesse, elle qui en exigeait tant de la part des autres. Il pouvait faire mille sottises, comme de s'asseoir sur la chaise qu'elle quittait et de la laisser en chercher une autre; de ne point lui ramasser ses pelotes de laine ou de fil quand elles venaient à choir; de lui couper la parole, ou de casser quelque épelette ou ustensile à son usage: et jamais elle ne lui disait un mot d'impatience, tandis qu'elle me grondait et me plaisantait s'il m'arrivait d'en faire seulement le quart.
Et puis, elle prenait soin de lui comme s'il eût été son frère. Elle avait toujours un morceau de viande en réserve, quand il venait la voir, et, soit qu'il eût faim ou non, le lui faisait manger, disant qu'il avait besoin de se nourrir le sang et de se renforcer l'estomac. Elle avait l'œil à ses hardes ni plus ni moins que la Mariton, et mêmement s'enchargeait de les renouveler, disant que la mère n'avait point le temps de coudre et de tailler. Et enfin, elle menait souvent pâturer ses bêtes du côté où il travaillait, et causait avec lui, encore qu'il causât bien peu et bien mal quand il s'y essayait.
Et en outre, elle ne souffrait point qu'on fît mépris ou moquerie de son air triste ou de sa figure ébervigée. Elle répondait à toutes les critiques qu'on en voulait faire, en disant qu'il n'avait pas une bonne santé, qu'il n'était pas plus sot que les autres, que s'il ne parlait mie, il n'en pensait pas moins; enfin qu'il valait mieux se taire que de parler pour ne rien dire.
J'avais quelquefois bonne envie de la contrecarrer, mais elle m'arrêtait vite, en disant:
– Il faut, Tiennet, que tu aies bien mauvais cœur d'abandonner ce pauvre gars à la risée des autres, au lieu de le défendre quand on lui fait de la peine. Je t'aurais cru meilleur parent pour moi.
Alors, je faisais sa volonté et défendais Joseph, ne voyant cependant pas quelle maladie ou quelle affliction il pouvait avoir, à moins que la défiance et la paresse ne fussent infirmités de nature, comme possible était, encore qu'il me parût au pouvoir de l'homme de s'en guérir.
De son côté, Joseph, sans me marquer d'aversion, me regardait aussi froidement que le reste du monde, et ne me témoignait point tenir compte de l'assistance qu'il recevait de moi en toute rencontre; et, soit qu'il fût épris de Brulette comme les autres, soit qu'il ne le fût que de lui-même, souriait d'une étrange manière et prenait quasiment un air de mépris pour moi quand elle me donnait la plus petite marque d'amitié.
Un jour qu'il avait poussé la chose jusqu'à lever les épaules, je résolus d'en avoir explication avec lui, aussi doucement que possible, pour ne point fâcher ma cousine, mais assez franchement pour lui faire sentir qu'étant souffert par moi auprès d'elle avec tant de patience, il devait m'y souffrir avec le même égard; mais, comme il y avait d'autres amoureux de Brulette autour de nous, je remis mon dessein à la première occasion où je le trouverais seul, et, à cette fin, j'allai, au lendemain, le joindre en un champ où il travaillait.
Je fus étonné de l'y trouver justement en compagnie de Brulette, qui était assise sur les racines d'un gros arbre, au revers du fossé où il était censé couper de l'épine pour faire des bouchures. Mais il ne coupait rien du tout, et, pour tout travail, chapusait quelque chose qu'il mit vitement dans sa poche dès qu'il me vit, fermant son couteau et s'accotant de causer, comme si j'eusse été son maître le prenant en faute, ou comme s'il était en train de dire à ma cousine de choses bien secrètes où je le venais déranger.
J'en fus si troublé et fâché que j'allais me retirer sans rien dire, quand Brulette m'arrêta, et, se remettant à filer, car elle aussi avait mis de côté son ouvrage en causant avec lui, me dit de m'asseoir auprès d'elle.
Il me parut que c'était une avance pour endormir mon dépit et je m'y refusai, disant que le temps n'engageait guère à s'arrêter dans les fossés. De vrai, il faisait, sinon froid, du moins très-humide; le dégel rendait les eaux troubles et les herbes fangeuses. Il y avait encore de la neige dans les sillons, et le vent était désagréable. Il fallait, à mon sens, que Brulette trouvât Joseph bien intéressant pour mener ses ouailles dehors ce jour-là, elle qui les faisait si souvent et si volontiers garder par sa voisine.
– Joset, dit Brulette, voilà notre ami Tiennet qui boude, parce qu'il voit que nous avons un secret tous les deux. Ne veux-tu point que je lui en fasse part? Son conseil n'y gâterait rien, et il te dirait ce qu'il pense de ton idée.
– Lui? dit Joseph, qui recommença à lever les épaules comme il avait fait la veille.
– Est-ce que le dos te démange quand tu me vois? lui dis-je un peu émalicé. Je le pourrais bien gratter d'une manière qui t'en guérirait une bonne fois.
Il me regarda en dessous, comme prêt à mordre; mais Brulette lui toucha doucement l'épaule du bout de sa quenouille, et, l'appelant ainsi à elle, lui parla dans l'oreille:
– Non, non, répondit-il, sans prendre la peine de me cacher sa réponse. Tiennet n'est bon à rien pour me conseiller; il n'y connaît pas plus que ta chèvre; et si tu lui dis la moindre chose, je ne te dirai plus rien. Là-dessus, il ramassa sa tranche et sa serpe et s'en alla travailler plus loin.
– Allons, dit Brulette en se levant pour rassembler ses ouailles, le voilà encore mécontent; mais va, Tiennet, ça n'est rien de sérieux, je connais sa fantaisie, il n'y a rien à y faire, et le mieux, c'est de ne pas le tourmenter. C'est un garçon qui a une petite folleté dans la tête depuis qu'il est au monde. Il ne sait ni ne peut s'en expliquer, et le mieux est de le laisser tranquille; car si on l'assassine de questions, il se prend à pleurer et on lui fait de la peine pour rien.
– M'est avis pourtant, cousine, dis-je à Brulette, que tu sais bien le confesser.
– J'ai eu tort, répondit-elle. Je pensais qu'il avait une plus grosse peine. Celle qu'il a te ferait rire si je pouvais te la raconter; mais puisqu'il ne veut la dire qu'à moi, n'y pensons plus.
– Si c'est peu de chose, lui dis-je encore, tu n'en prendras, peut-être plus tant de souci.
– Tu trouves donc que j'en prends trop? dit-elle. Est-ce que je ne dois pas ça à la femme qui l'a mis au monde et qui m'a élevée avec plus de soins et de caresses que son propre enfant?
– Voilà une bonne raison, Brulette. Si c'est la Mariton que tu aimes dans son fils, à la bonne heure; mais, alors, je souhaiterais d'avoir la Mariton pour ma mère: ça me vaudrait encore mieux que d'être ton cousin.
– Laisse donc dire des sottises comme ça à mes autres galants, répondit Brulette