Les Maîtres sonneurs. Жорж Санд
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Читать онлайн книгу Les Maîtres sonneurs - Жорж Санд страница 9
Moquez-vous de moi si vous voulez. Cette musique, dans un lieu si peu fréquenté, me parut endiablée. Elle chantait trop fort pour être naturelle, et surtout elle chantait un air si triste et si singulier, que ça ne ressemblait à aucun air connu sur la terre chrétienne. Je doublai le pas, mais je m'arrêtai, étonné d'un autre bruit. Tandis que la musique braillait d'un côté, une clochette sonnait de l'autre, et ces deux résonnances venaient sur moi, comme pour m'empêcher d'avancer ou de reculer.
Je me jetai de côté en me baissant dans les fougères; mais, au mouvement qui s'ensuivit, quelque chose fit feu des quatre pieds tout auprès de moi, et je vis un grand animal noir, que je ne pus envisager, bondir, prendre sa course et disparaître.
Tout aussitôt, de tous les points de la fougeraie, sautèrent, coururent, trépignèrent une quantité d'animaux pareils, qui me parurent gagner tous vers la clochette et vers la musique, lesquelles s'entendaient alors comme proches l'une de l'autre. Il y avait peut-être bien deux cents de ces bêtes, mais j'en vis au moins trente mille, car la peur me galopait rude, et je commençais à avoir des étincelles et des taches blanches dans la vue, comme la frayeur en donne à ceux qui ne s'en défendent point.
Je ne sais par quelles jambes je fus porté auprès du chêne; je ne sentais plus les miennes. Je me trouvai là, tout étonné d'avoir fait ce bout de chemin comme un tourbillon de vent, et, quand je repris mon souffle, je n'entendis plus rien, au loin ni auprès; je ne vis plus rien, ni sous l'arbre, ni sur la fougeraie; et je ne fus pas bien sûr de n'avoir point rêvé un sabbat de musique folle et de mauvaises bêtes.
Je commençais à me ravoir et à regarder en quel lieu j'étais; La branchure du chêne couvre une grande place herbue, et il y faisait si noir que je ne voyais point mes pieds; si bien que je me heurtai contre une grosse racine et tombai les mains en avant, sur le corps d'un homme qui était allongé là comme mort ou endormi. Je ne sais point ce que la peur me fit dire ou crier, mais ma voix fut reconnue, et tout aussitôt celle de Joset me répondit: – C'est donc toi, Tiennet? Et qu'est-ce que tu viens faire ici à pareille heure?
– Et toi-même, qu'y fais-tu, mon vieux? lui dis-je, bien content et bien consolé de le trouver là. Je t'ai cherché tout le tantôt; ta mère a été en peine de toi, et je te croyais retourné vers elle depuis longtemps.
– J'avais affaire par ici, répondit-il, et, avant de m'en aller, je me reposais là, voilà tout.
– Tu n'as donc pas peur de te trouver comme ça, de nuit, dans un endroit si laid et si triste?
– Peur de quoi, et pourquoi, Tiennet? je ne t'entends point!
J'eus honte de lui confesser combien j'avais été sot. Cependant, je me risquai à lui demander s'il n'avait pas vu du monde et des bêtes dans la clairière.
– Oui, oui, répondit-il; j'ai vu beaucoup de bêtes, et du monde aussi, mais tout ça n'est pas bien méchant, et nous pouvons nous en aller tous deux sans que mal nous en arrive.
Je m'imaginai, à sa voix, qu'il se gaussait un peu de ma frayeur, et je quittai le chêne avec lui; mais quand nous fûmes hors de son ombrage, il me sembla que Joset n'avait ni sa taille ni sa figure des autres fois. Il me paraissait plus grand, portant plus haut la tête, marchant d'un pas plus vif, et parlant avec plus de hardiesse. Ça ne me rassura point, car toutes sortes de folies me traversèrent la remembrance. Ce n'était, point seulement par ma grand'mère que je m'étais laissé conter que les gens qui ont la figure blanche, l'œil vert, l'humeur triste et la parole difficile à comprendre, sont portés à s'accointer avec les mauvais esprits, et, en tout pays, les vieux arbres sont mal famés pour la hantise des sorciers et des autres.
Je n'osai respirer tant que nous fûmes dans la fougeraie, je m'attendais toujours à voir repasser ce qui m'était apparu en songe de l'âme ou en vérité des sens. Tout resta tranquille, et il n'y eut d'autre bruit que celui des branches sèches qui se cassaient à notre passage, ou d'un restant de glace qui craquait sous nos pieds.
Joseph, marchant le premier, ne prit point la grande allée, mais coupa à travers le fourré. On eût dit d'un lièvre au fait de tous les recoins, et il me mena si vite au gué de l'Igneraie, sans traverser le bourg des potiers, que je me crus arrivé par enchantement. Là, il me quitta sans avoir desserré les dents, sinon pour me dire qu'il voulait se faire voir à sa mère, puisqu'elle était en peine de lui, et il reprit le chemin de Saint-Chartier, tandis que je tranchais droit sur ma demeurance par les grands communaux.
Je ne me sentis pas plutôt dans le pays que je connaissais, que mon angoisse me quitta et que j'eus grande honte de ne pas l'avoir surmontée. Sans doute, Joseph m'aurait parlé des choses que je désirais savoir, si je l'eusse questionné; car, pour la première fois, il avait quitté son air endormi, et je lui avais, surpris, pour un moment, comme un rire dans la voix et comme une intention d'assistance dans la conduite.
Pourtant, après que j'eus dormi sur l'aventure, mes sens étant bien calmés, je m'assurai de n'avoir point rêvé ce qui s'était passé dans la fougeraie, et je trouvais, dans la quiétise de Joseph, quelque chose de louche. Les bêtes que j'avais vues là, en si grosse quantité, n'étaient point d'une présence ordinaire. Dans nos pays on n'a, par troupeaux, que des ouailles, et ma vision était d'animaux d'une autre couleur et d'une autre mesure. Ce n'était ni chevaux, ni bœufs, ni moutons, ni chèvres; et on ne souffrait, d'ailleurs, aucun bétail paître dans la forêt.
À l'heure où je vous parle, je trouve que j'étais bien sot. Pourtant, il y a bien de l'inconnu dans les affaires de ce monde où l'homme met le nez; à meilleure enseigne, dans celles dont le bon Dieu s'est réservé le secret.
Tant il y a que je n'osai point questionner Joseph, car si l'on peut être curieux des bonnes idées, on ne doit point l'être des mauvaises, et mêmement, on répugne toujours à se fourrer dans les affaires où l'on peut trouver plus qu'on ne cherche.
Quatrième veillée
Une chose me donna encore plus à penser par la suite des jours. C'est que l'on s'aperçut à l'Aulnières que Joset découchait de temps en temps.
On l'en plaisantait, s'imaginant qu'il avait une amourette: mais on eût beau le suivre et l'observer, jamais on ne le vit s'approcher d'un lieu habité, ni rencontrer une personne vivante. Il s'en allait à travers champs et gagnait le large, si vite et si malignement, qu'il n'y avait aucun moyen de surprendre son secret. Il revenait au petit jour et se trouvait à son ouvrage comme les autres, et, au lieu de paraître las, il paraissait plus léger et plus content qu'à son habitude.
Cela fut observé par trois fois dans le courant de l'hiver, qui eut pourtant grande rigueur et longue durée cette année-là. Il n'y eût neige ou bise capable d'empêcher Joset de courir de nuit, quand l'heure était venue pour sa fantaisie. On s'imagina aussi qu'il était de ceux qui marchent ou travaillent dans le sommeil; mais, de tout cela, il n'était rien, comme vous verrez.
Mêmement, la nuit de Noël, comme Véret le sabotier s'en allait faire réveillon chez ses parents à l'Ourouer, il vit sous l'orme Râteau, non pas le géant qu'on dit s'y promener souvent avec son râteau sur l'épaule, mais un grand homme noir qui n'avait pas bonne mine et qui