Les Maîtres sonneurs. Жорж Санд

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Les Maîtres sonneurs - Жорж Санд

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vu, ils se séparèrent; l'homme noir dévalla on ne sait où, et son camarade, s'approchant de Véret, lui dit d'une voix qui lui parut tout étranglée:

      – Où vas-tu donc comme ça, Denis Véret?

      Le sabotier commença de s'étonner, et, sachant qu'on ne doit point répondre aux choses de la nuit, surtout à côté des mauvais arbres, il passa son chemin en détournant la tête; mais il fut suivi de celui qu'il jugeait être un esprit, et qui marchait derrière lui, mettant son pas dans le sien.

      Quand ils furent en haut de la plaine, le poursuivant tourna à main gauche, disant:

      – Bonsoir, Denis Véret!

      Et ce ne fut que là que Véret reconnut Joseph et se moqua de lui-même, mais toutefois sans pouvoir s'imaginer pour quel motif et en quelle société il s'était trouvé à l'orme, entre une et deux heures du matin.

      Quand cette dernière chose vint à ma connaissance, j'en eus du regret et me fis reproche de n'avoir point détourné Joseph du mauvais chemin qu'il paraissait vouloir prendre. Mais j'avais laissé passer tant de temps là-dessus, que je n'osai y revenir. J'en parlai à Brulette, qui ne fit que s'en moquer, d'où je commençai à croire qu'ils avaient une amour cachée et que j'avais été pris pour dupe, ainsi que les gens qui voulaient y voir de la magie et n'y voyaient que du feu.

      J'en fus plus affligé que courroucé; Joseph si toqué et si mou à l'ouvrage, me paraissait pour Brulette une triste compagnie et un pauvre soutien. Je pouvais bien lui dire que, sans parler de moi, elle aurait pu faire un meilleur tri; mais je ne m'en sentais point le courage, craignant de la fâcher et de perdre son amitié, qui me paraissait encore douce, même sans le restant de ses bonnes grâces.

      Un soir, revenant à mon logis, je trouvai Joseph assis au bord de la fontaine qu'on appelle la font de Fond. Ma maison, connue alors sous le nom de la croix de Par-Dieu, parce qu'elle se trouvait bâtie auprès d'un carroir de chemins dont on a retranché depuis la moitié, donnait sur cette grande pelouse fine que vous avez vue vendre et dépecer, comme bien communal et terre vague, il n'y a pas longtemps. C'est grand dommage pour le petit monde qui y nourrissait ses bêtes et qui n'a pu y rien acheter. C'était chemin et pâturage bien large, bien vert, et arrosé, à l'aventure, des belles eaux de la source, qui n'étaient point réglées et s'en allaient de ci et de là sur un herbage court, tondu à toute heure par les troupeaux et réjouissant à voir par son étendue.

      Je me contentais de dire bonsoir à Joseph, quand il se leva et se mit à marcher à mon côté, cherchant à avoir conversation avec moi, et paraissant si agité que j'en fus inquiet. – Qu'est-ce que tu as donc? lui dis-je enfin, voyant qu'il parlait tout de travers et se tourmentait le corps de soupirs et de contorsions comme s'il eût passé dans une fourmilière.

      – Tu me demandes ça? dit-il avec impatience. Ça ne te fait donc rien? Tu es donc sourd?

      – Qui? quoi? qu'est-ce que c'est? m'écriai-je, pensant qu'il avait quelque vision, et ne me souciant pas d'en avoir ma part.

      Puis j'écoutai, et saisis tout au loin le son d'une musette qui me parut n'avoir rien que de naturel.

      – Eh bien, lui dis-je, c'est quelque cornemuseux qui revient d'une noce du côté de la Berthenoux? En quoi est-ce que ça te gêne?

      Joseph répondit d'un air assuré: – C'est la musette à Carnat, mais ce n'est point lui qui en joue… C'est quelqu'un qui est encore plus maladroit que lui!

      – Maladroit? Tu trouves Carnat maladroit sur la musette?

      – Maladroit de ses mains, non pas! mais maladroit de son idée, Tiennet! Oh, le pauvre homme! Il n'est pas digne d'avoir le moyen d'une musette! Et celui qui s'en essaye, à cette heure, mériterait que le bon Dieu lui retire son vent de la poitrine.

      – Voilà des choses bien étranges que tu me dis, et je ne sais point où tu les prends. Comment peux-tu connaître que cette musette-là est celle à Carnat? Il me semble, à moi, que musette pour musette, ça braille toujours de la même mode. J'entends bien que celle qui sonne là-bas n'est pas soufflée comme il faut, et que l'air est estropié un si peu; mais ça ne me gêne point, car je n'en saurais pas faire autant. Est-ce que tu crois que tu ferais mieux?

      – Je ne sais pas! mais, pour sûr, il y en a qui font mieux que ce cornemuseux-là, et mieux que Carnat, son maître. Il y en a qui sont dans la vérité de la chose.

      – Où les as-tu trouvés? Où sont-ils, ces gens dont tu parles?

      – Je ne sais pas; mais il y a quelque part une vérité, c'est le tout de la rencontrer, puisqu'on n'a pas le temps et le moyen de la chercher.

      – C'est donc, Joset, que tu aurais ton idée tournée à la musiquerie? Voilà qui m'étonnerait bien. Je t'ai toujours connu muet comme une tanche, ne retenant et ne ruminant aucune chanson; car, quand tu t'essayais sur le chalumeau de paille, comme font beaucoup de pâtours, tu changeais tous les airs que tu avais entendus, de telle manière qu'on ne les reconnaissait plus. De ce côté-là, on te jugeait encore plus innocent que tous les enfants innocents qui s'imaginent de cornemuser sur les pipeaux; or, si tu dis que Carnat ne te contente pas, lui qui fait danser si bien en mesure et qui mène ses doigts si subtilement, tu me donnes encore plus à penser que tu n'as pas l'oreille bonne.

      – Oui, oui, répondit Joseph, tu as raison de me reprendre, car je dis des sottises, et je parle de ce que je ne sais pas. Or donc, bonne nuit, Tiennet; oublie ce que je t'ai dit, car ça n'est pas ce que j'aurais voulu dire; mais j'y penserai, pour tâcher de te le dire mieux une autre fois.

      Et il s'en alla vitement, comme regrettant d'avoir parlé; mais Brulette, qui sortait de chez nous avec ma sœur, l'arrêta, le ramena vers moi, et nous dit: – Il est temps que ces histoires-là finissent. Voilà ma cousine qui s'en est tant laissé dire, qu'elle tient Joset pour un loup-garou, et il faut s'expliquer, à la fin!

      – Qu'il soit donc fait selon ton vouloir, répondit Joseph, car je suis fatigué de passer pour sorcier, et j'aime encore mieux passer pour imbécile.

      – Non, tu n'es ni imbécile ni fou, reprit Brulette, mais tu es bien obstiné, mon pauvre Joset! Sache donc, Tiennet, que ce gars-là n'a rien de mauvais dans la tête, sinon une fantaisie de musique qui n'est pas si déraisonnable que dangereuse.

      – Alors, répondis-je, je comprends ce qu'il me disait tout à l'heure; mais où diable a-t-il pris pareille idée?

      – Un petit moment! reprit Brulette; ne le fâchons pas injustement; ne te dépêche pas de dire qu'il est incapable de musiquer; car tu penses peut-être, comme sa mère et comme mon grand-père, qu'il a l'esprit bouché à cela, comme autrefois au catéchisme. Moi, je dirai que c'est toi, et mon grand-père, et la bonne Mariton qui n'y connaissez rien. Joseph ne peut chanter, non qu'il soit court d'haleine, mais parce qu'il ne fait point de son gosier ce qu'il veut; et comme il ne se contente point lui-même, il aime mieux ne jamais faire usage de sa voix, qui lui est rétive. Alors, bien naturellement, il souhaite de musiquer sur un instrument qui ait une voix en place de la sienne, et qui chante tout ce qui vient dans son idée. C'est pour avoir toujours manqué de cette voix d'emprunt, que notre gars a toujours été triste, ou songeur, ou comme ravi en lui-même.

      – C'est tout justement comme elle te le dit! m'observa Joseph, qui paraissait soulagé d'entendre cette belle jeunesse le débarrasser de ses pensées en les rendant compréhensibles pour moi. Mais ce qu'elle ne te dit point, c'est qu'elle a une voix en ma place, et une voix si douce, si claire, et qui dit si justement les choses entendues, que je prenais déjà, étant petit enfant, mon plus grand plaisir à l'écouter.

      – Mais,

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